Actualités (NON EXHAUSTIF)

Saisons de culture fait l’éloge de Nathalie de Baudry d’Asson

Nathalie de Baudry d’Asson, une femme d’histoires

Par Rodolphe Ragu

Dans Miniatures et pointes sèches, Nathalie de Baudry d’Asson raconte des destins de femmes. En découvrant ces histoires, au tempo très rapide, le lecteur passe sans interruption du rire aux larmes et de la compassion à l’admiration. Si la mémoire émotionnelle est la plus persistante, alors ce livre ne tombera pas dans l’oubli.

Pourquoi cette double référence, dans le titre, à l’art pictural ? Les cinquante petits textes qui composent Miniatures et pointes sèches dressent, en quelques lignes ou au plus quelques pages, les portraits de femmes d’hier et d’aujourd’hui, tels de petits tableaux, avec une écriture à l’os, un sens de la concision et une spontanéité – bien sûr très travaillés – qui renvoient à l’art du graveur.

Nathalie de Baudry d’Asson est d’abord la biographe de celles qui ignorent tout du métier d’écrire : elles sont médecins, journalistes, artistes, parfois encore lycéennes, ou même religieuses consacrées. Ce sont tantôt des vies entières, tantôt des « tranches de vie », de simples anecdotes, qui prennent forme sous sa plume. Mais ce qui intéresse à chaque fois l’auteure dans la vie des unes et des autres, ce sont les péripéties, les rebondissements, ces moments incertains entre l’échec et le succès, ces dialogues en apparence anodins, mais qui peuvent conduire d’un cabinet de radiologie à la salle Pleyel. Les enjeux sont donc énormes – il s’agit de mener la vie qui correspond à ses aspirations – et l’existence semble être un jeu à somme nulle : « Le bonheur d’Emmanuelle a été la souffrance atroce de Philippe », lit-on à la fin de l’un de ces récits. Les héroïnes de Nathalie de Baudry d’Asson font preuve d’ingéniosité face à l’adversité : quand elles se vengent, c’est avec sang-froid et subtilité. Elles vivent à l’occasion des expériences étranges, à faire réfléchir les plus rétifs à l’ésotérisme : quand elles guérissent d’un mal, elles le font en défiant la science. Elles se soumettent parfois, se rebellent le plus souvent.

Entre peinture et littérature

Si l’auteur manifeste par le titre un goût pour les arts plastiques, c’est toutefois sa longue expérience d’éditrice qui donne à son livre toute sa variété, toute sa richesse. Ainsi, de biographe – ou d’ « écrivain public » –, elle se fait épistolière, quand elle rédige une cruelle et émouvante lettre d’adieux à un amoureux… qui a tout fait pour gagner sa disgrâce. Elle est aussi parfois historienne : Miniatures et pointes sèches dresse le portrait de Résistantes encore peu connues, telle la Britannique Noor Inayat Khan, opératrice radio en France dans les années décisives, trahie et capturée, puis évadée et héroïque jusqu’au bout.

Enfin, à la marge, Nathalie de Baudry d’Asson offre au lecteur quelques fragments d’autobiographie, tel ce séjour new age à la campagne, forcément un peu étrange, avec ses namasté et son inévitable pleine conscience, ou des instants d’émotion artistique, avec des cantatrices légendaires : Dame Felicity Lott ou Jessye Norman. Il est ainsi souvent question de poésie et d’art lyrique dans son livre : Franz Schubert, le maître du lied, est au cœur de la plus belle histoire d’amour du recueil.

Une écriture romanesque

Miniatures et pointes sèches est en fait bien plus qu’un simple recueil d’anecdotes et d’histoires vraies. À tous ces épisodes de vie, dont les grandes lignes lui ont un jour été confiées par des amies ou des anonymes, l’auteure donne corps et voix, action et dialogue, par son imagination et sa faculté à transposer (car les noms et les circonstances ont été modifiés pour préserver la vie privée). On ne dirige pas en vain des maisons d’édition, comme ce fut son cas au sein du groupe Hachette, où l’on accompagne les auteurs par un travail suivi sur le manuscrit. Nathalie de Baudry d’Asson recourt ainsi aux techniques de l’écriture romanesque pour sublimer des histoires qui, autrement, seraient simplement intéressantes.

L’histoire de Jacqueline, la nourrice en apparence irréprochable, est exemplaire : la narratrice omnisciente, comme dans un bon roman réaliste du XIXe siècle, feint un moment de ne pas tout savoir des pensées du mari et de sa femme qui l’emploient, pour réserver une surprise dans le dénouement. Et mettre en valeur la profonde humanité des personnages. Entre par moments en jeu la licence de l’auteure : une femme vit seule ses derniers instants ou va commettre le geste fatal, et nul ne peut savoir avec certitude quelles ont été ses pensées. Personne sauf le romancier ou l’auteur, qui conclut : « Avec une joie absolue, elle s’immole. » Ces « tranches de vie » se lisent souvent comme des nouvelles, aussi cruelles que celles d’un Maupassant. La chute est brutale : l’auteur ouvre le tiret du dialogue et un personnage prononce une seule phrase, glaçante, violente, que le lecteur gardera longtemps en mémoire.

Si Miniatures et pointes sèches revendique de mettre à l’honneur les femmes et de pratiquer un féminisme par l’exemple, Nathalie de Baudry d’Asson n’est pas non plus béate devant son propre sexe : il y a aussi dans son livre quelques personnages repoussoirs, à l’égoïsme incurable ou à l’arrogance crasse, que l’auteur tient à distance en les moquant, entraînant le lecteur dans son rire sarcastique. Ils ne sont qu’une minorité.

Nathalie de Baudry d’Asson

Miniatures et pointes sèches (préface de Marc Lambron, de l’Académie française)

Éditions la Trace, 170 pages

Versailles Culture a adoré le Marie-Antoinette de Marianne Vourch

Entre les pages et les notes, la voix de Marianne Vourch fait renaître la dernière reine de France dans un portrait d’une rare justesse.
Son ouvrage, Portrait en musique de Marie-Antoinette, paru aux éditions Villanelle, s’accompagne d’un livre audio où l’autrice prête elle-même son timbre à la narration. Par un jeu subtil entre récits et extraits musicaux accessibles via QR code, elle recompose le destin d’une femme souvent réduite à sa légende, et dont la musique fut à la fois la langue maternelle et l’ultime refuge.
La musique comme fil d’Ariane
Dès les premières pages, le dispositif se révèle d’une grande maîtrise : la voix, la musique et le silence s’y répondent dans une tension constante.
Le récit s’ouvre sur Les adieux, moment d’intense dépouillement où la jeune archiduchesse quitte Schönbrunn. Sur la Sicilienne de Jean-Féry Rebel, l’émotion ne se dit pas, elle s’entend. La narration, presque chuchotée, souligne la fragilité de celle que l’on nomme encore « la petite Antoine ».
À travers Mozart, Gluck ou Haydn, Marianne Vourch fait de la musique non pas un simple commentaire, mais une architecture de la mémoire : les œuvres deviennent des espaces de résonance intérieure, où chaque mesure semble pressentir le drame à venir.
De la cour de Vienne à celle de Versailles : la diplomatie du son
Dans le chapitre consacré à la jeune Dauphine, la musique change de rôle.
Là où Vienne vibrait de spontanéité, Versailles impose la mesure. Gluck y règne, et la voix de l’autrice souligne cette transition : « Elle incline doucement la tête puis, d’un pas léger, rejoint les appartements qui lui sont destinés. »
Tout est dit : l’éducation du geste, la contrainte du protocole, la solitude d’une adolescente devenue symbole.
Marianne Vourch, musicologue avertie, lit dans les inflexions musicales les dissonances d’une âme étrangère à la pompe versaillaise. Cette approche sensible, plus incarnée qu’analytique, restitue avec une rare acuité la tension d’une époque où la musique servait autant à se divertir qu’à se taire.
Les jardins du Trianon : un théâtre d’illusions
Le passage dédié à Versailles et à ses plaisirs fait basculer le ton.
La reine s’y montre actrice d’une comédie imposée, jouant la pastorale que l’on attend d’elle. Les airs de Lully et de Rameau, choisis par l’autrice, ne chantent pas la frivolité : ils expriment la contrainte, la répétition d’un rôle.
Sous l’élégance du phrasé, affleure la blessure intime : « Il ne l’a pas embrassée. Il ne l’a pas aimée cette première nuit. »
Ce moment suspendu, que Marianne Vourch fait résonner sur la musique de Gluck, annonce la solitude d’une femme que l’Histoire ne cessera de juger.
Le Petit Trianon, dans cette lecture, n’est plus un décor de légende, mais une scène d’exil intérieur.
L’ombre grandissante
Au fil des chapitres Une reine enfant et La fin de l’innocence, le ton se durcit.
Les citations de Marie-Thérèse – « Le théâtre, la toilette, les diamants… » – rappellent les reproches d’une mère impuissante à comprendre. Pourtant, Marianne Vourch ne tombe jamais dans la condamnation : elle montre une jeune femme qui cherche, dans les harmonies de Haydn ou de Grétry, une consolation fragile.
La narration s’allège, se fait presque prière.
La voix de l’autrice, dans la version audio, s’adoucit au point de devenir confidentielle : on y perçoit la fatigue d’un cœur sans repère. Les tonalités mineures gagnent du terrain, comme si la lumière du clavecin s’éteignait lentement derrière les grilles de Versailles.
De la fuite à la chute
Vient ensuite le temps de la débâcle : la fuite à Varennes, l’arrestation, puis l’attente.
« Le roi boit, la reine mange et le peuple crie » — cette phrase, énoncée d’une voix blanche, résume la violence d’un basculement.
Marianne Vourch retire la musique pour ne laisser qu’un adagio nu, presque silencieux. Dans cette économie de moyens, la dignité devient le dernier langage possible.
La lettre à Fersen, lue avec une émotion contenue, ferme le chapitre sur une note déchirante : la reine n’écrit plus, elle se tait — et ce silence devient musique.
L’ultime marche
Le dernier chapitre, Montée à l’échafaud, n’est pas un cri, mais une marche lente.
Sur un choral de Haydn et des extraits de Requiem, la voix s’élève sans pathos.
« C’est dans le malheur qu’on apprend qui on est » : cette phrase, simple et droite, clôt le livre dans une lumière d’humanité.
Marianne Vourch restitue à Marie-Antoinette sa noblesse véritable — celle d’une femme restée fidèle à elle-même jusque dans la perte.
Le récit devient alors une forme d’oraison profane, où la culture et la dignité s’unissent en une même vibration.
Un objet d’écoute et de transmission
Plus qu’un essai, Portrait en musique de Marie-Antoinette est une œuvre de médiation.
Le QR code qui ouvre sur les extraits musicaux transforme la lecture en expérience sensible : le texte ne se lit plus, il s’écoute.
Marianne Vourch, forte de son expérience radiophonique, y déploie une diction précise, sans emphase, où chaque respiration compte.
Le livre conjugue rigueur historique et émotion retenue, sans jamais céder à la tentation du pathos.
L’autrice s’inscrit dans la lignée de Michelet lorsqu’il écrivait que Marie-Antoinette « mourut pour ce qu’elle avait représenté : la beauté de la vie ».
Cette beauté, Marianne Vourch la rend audible — dans la mesure d’une voix qui ne juge pas, mais qui écoute.
Une reine retrouvée
En refermant l’ouvrage, il ne reste ni le faste ni la légende, mais une présence : celle d’une femme à la fois moderne et intemporelle.
Marianne Vourch réussit ici un pari rare : rendre audible l’Histoire, sans la simplifier ni la figer.
Entre rigueur documentaire et émotion musicale, Portrait en musique de Marie-Antoinette s’impose comme une œuvre de transmission, où l’art et la mémoire marchent d’un même pas — lent, grave et lumineux, comme celui qui mena Marie-Antoinette à l’échafaud.
Erwan d’Harmental
Screenshot

Souvenirs de la soirée de la fondatrice du site Saisons de culture Mylène Vignon « Florilège » qui a eu lieu au Café de Flore jeudi 25 septembre 2025 avec BALUSTRADE à l’honneur.

Souvenirs de la soirée de la fondatrice du site Saisons de culture Mylène Vignon « Florilège » qui a eu lieu au Café de Flore jeudi 25 septembre 2025 avec BALUSTRADE à l’honneur.

Etaient présents et ont pu présenter leurs livres : Alain Schmoll, Marianne Vourch, Frédéric Vissense, Christian Brûlard, Laurent Benarrous, Patrick Houlier et Nicolas Gorodetzky

 

L’article de Margaux Catalayoud sur Nathalie de Baudry d’Asson dans Zone critique en entier

L’article de Margaux Catalayoud dans Zone critique en entier
ici l’intégralité de l’article pour vous : 

Avec Miniatures et pointes sèches, publié aux éditions La Trace, Nathalie de Baudry d’Asson signe une entrée en littérature qui a la force de l’évidence. C’est un cri du cœur.Connue pour son parcours dans le monde de l’édition – elle a dirigé plusieurs grandes maisons et fondé Le Lien Public – elle se place cette fois du côté de l’écriture. Le résultat n’a rien d’un exercice de style ou d’un passe-temps d’initiée : c’est un véritable livre d’écrivain, au souffle singulier, qui s’impose d’emblée par la densité et la précision de sa prose.

Diversité des vies

Ce recueil se présente comme une série de récits courts, fragments narratifs à la première ou troisième personne, lettre,dialogue, etc., chacun centré sur un destin féminin. L’autrice choisit la forme brève pour dire l’essentiel : une vie entière peut tenir dans quelques paragraphes, une douleur ou une joie se condenser en une image. Cette économie de moyens n’appauvrit pas le propos ; au contraire, elle donne à chaque portrait une intensité saisissante. Les femmes que l’on rencontre au fil des pages viennent d’horizons divers : certaines sont entrées dans l’Histoire, comme Noor, résistante arrêtée puis exécutée par les nazis, d’autres appartiennent à la foule des anonymes, comme Louise, une femme transgenreou même à une femme quittée ou une autre encore qui admire une cantatrice. Chacune devient pourtant une figure de vérité et d’humanité. La diversité des vies évoquées compose une mosaïque qui met en valeur la pluralité de la condition féminine : héroïnes tragiques, mères courage, artistes inspirées ou simples fausses amatrices d’art contemporain, toutes sont convoquées dans une fresque qui échappe à toute hiérarchie. Ce chœur de voix rappelle que l’expérience féminine ne se réduit pas à une seule figure mais s’épanouit dans une multitude de formes.

Un féminisme poétique

En effet, cette pluralité évoquée conduit tout à chacun à parler des femmes et non de la femme… Plutôt qu’un manifeste ou un traité, Nathalie de Baudry d’Asson propose une écriture poétique, tendue, ciselée comme une pointe sèche. Le féminisme qui traverse ces pages n’est pas frontal, il ne s’impose pas par slogans, mais par la prosodie du langage. Le lecteur n’est pas sommé d’adhérer : il est enjoint à se laisser aller à la petite musique de l’autrice. Une phrase brève, une image juste suffisent à suggérer l’injustice subie ou l’aplombmanifesté. Cette discrétion confère aux textes une puissance paradoxale : en laissant une part d’implicite, ils obligent le lecteur à entrer dans l’espace laissé vacant, à se confronter lui-même aux vies dont le pouvoir évocateur résonnent chez l’Autre. C’est une forme de féminisme littéraire, qui ne cherche pas à démontrer mais à émouvoir, et qui par-là atteint une portée universelle. Dans cette sobriété se cache une exigence esthétique : chaque mot est choisi avec soin, chaque phrase s’impose par sa justesse, comme si l’écriture elle-même devenait un acte de résistance.

Un écrivain sensible aux à-coups du monde

Ce livre ne se contente pas d’aligner des portraits féminins ; il révèle une manière singulière d’habiter le monde. Derrière la sobriété apparente, on sent une profonde sensibilité aux secousses de l’histoire et aux fracas du quotidien. Les existences racontées ne sont pas isolées dans une bulle : elles résonnent avec les grandes tragédies du XXᵉ siècle, avec les injustices sociales, avec les tensions de notre époque. La plume de Nathalie de Baudry d’Asson, fine et attentive, se fait réceptacle des à-coups du monde. C’est peut-être là que se loge l’originalité de ce premier livre : dans la capacité à conjuguer la miniature et l’universel, à transformer une destinée particulière en miroir d’une expérience collective. On y retrouve l’œil exercé de l’éditrice, formée à reconnaître ce qui compte dans un texte, mais aussi la voix intime d’une femme qui observe et ressent avec acuité la beauté comme la violence du réel. À travers ces miniatures, l’autrice construit une œuvre à la fois discrète et essentielle. Elle ne cherche pas le spectaculaire, elle refuse l’emphase, mais elle atteint par la rigueur de son style et l’acuité de son regard une intensité rare. On sort de la lecture avec le sentiment d’avoir approché, par fragments, une vérité sur la condition féminine : vérité multiple, fragmentée, mais profondément incarnée. C’est là toute la réussite de ce livre : en choisissant l’humilité de la forme brève, il parvient à dire ce que de longs récits peinent parfois à transmettre.

En définitive, Miniatures et pointes sèches s’impose comme une œuvre de mémoire et de transmission, mais aussi comme une promesse littéraire. Le regard que Nathalie de Baudry d’Asson porte sur ces femmes n’est jamais figé : il est tendu vers le lecteur, qui devient à son tour dépositaire de ces fragments d’existence.

Le Contemporain met en Une le livre de Nathalie de Baudry d’Asson

« Miniatures & Pointes sèches », la gravure vive du courage féminin

■ Nathalie de Baudry d’Asson.
 

Par Yves-Alexandre Julien – Critique littéraire.

Avec son premier livre, Miniatures & Pointes sèches, Nathalie de Baudry d’Asson signe un hommage rare aux femmes réelles, souvent invisibles, toujours émouvantes. Entre parcelles de mémoire et lignes incisées comme au burin, elle compose une fresque intime de destins féminins. Ni manifeste, ni discours, mais une écriture tendue, ciselée, qui éclaire sans juger. Préfacé par Marc Lambron de l’Académie française, ce recueil s’impose dès sa parution aux éditions La Trace comme un événement de la rentrée littéraire 2025.

Un art de la miniature et de la gravure

Le titre dit déjà beaucoup : « miniatures » et « pointes sèches ». Miniatures, comme ces portraits délicats où un visage se concentre en quelques traits. Pointes sèches, comme l’outil de gravure qui incise le métal pour toujours. La métaphore est transparente : Nathalie de Baudry d’Asson dresse des portraits courts, mais définitifs. Quelques lignes parfois suffisent à faire surgir une vie entière.

Ces textes sont des éclats d’existence, « des fragments de conscience, des éclairs d’humanité », qui trouvent leur force dans la concision. Montaigne l’avait pressenti : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » Ici, chaque femme incarne à sa manière ce tout universel.

Comme en peinture ou en gravure, l’art réside dans l’essentiel, non dans le détail accumulé. Baudelaire l’écrivait dans son Salon de 1846 : « Le dessin de l’artiste doit être une ligne juste et définitive. » Nathalie de Baudry d’Asson adopte cette même justesse, refusant le bavardage narratif pour tracer au contraire des lignes qui demeurent.

Des femmes qui affrontent, sans poser

La galerie de portraits proposée n’a rien d’héroïque au sens rhétorique. Ce sont des femmes qui affrontent, parfois malgré elles. Noor, princesse soufie et résistante, parachutée en France pendant la guerre, meurt sous les coups sans avoir trahi. Jeanne, silencieuse, découvre que son enfant grandira sans père. Une autre femme, chaque soir, s’allonge devant la porte close de l’homme qu’elle aime.

Ces récits condensent la fragilité et la puissance, l’élan et l’abandon. Ils rappellent ce que Simone de Beauvoir affirmait dans Le Deuxième Sexe : « On ne naît pas femme, on le devient. » Ces femmes ne sont pas héroïques par choix, mais par nécessité. Elles deviennent elles-mêmes dans la douleur, dans l’obstination, dans le refus de céder.

Marguerite Yourcenar, dans ses Mémoires d’Hadrien, donnait cette leçon : « Chaque vie est une tentative d’arrachement. » Les femmes de Nathalie de Baudry d’Asson ne posent pas, elles s’arrachent à la fatalité. C’est là que réside leur grandeur, dans ce combat muet contre l’effacement.

Une écriture de l’attention

Le recueil n’est pas un pamphlet féministe. Il ne cherche pas à démontrer, mais à faire entendre. « Nathalie de Baudry d’Asson ne juge pas, elle éclaire », souligne Marc Lambron. Son écriture, tendue mais ouverte, laisse place au silence, à l’implicite, à ce qui échappe au langage.

À rebours de l’autofiction nombriliste, l’autrice choisit le geste de l’hommage. Elle recueille, elle transmet. Ce choix la rapproche de Virginia Woolf, qui écrivait dans Une chambre à soi : « Pour la plupart des histoires de femmes, nous devons imaginer ce qui n’est pas écrit. » Ici, précisément, Nathalie de Baudry d’Asson imagine en donnant voix à celles qui n’ont pas laissé de traces.

L’attention qu’elle porte au moindre détail rejoint la démarche d’Annie Ernaux, lorsqu’elle revendique dans Les Années de « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais ». Ces portraits gravés sont une sauvegarde, une mémoire offerte.

Un féminisme tempéré et universel

Le livre refuse le piège de l’opposition binaire. « Pas tant la haine des hommes », insiste-t-on. Ce féminisme-là n’exclut pas, il élève l’humanité tout entière. Les femmes racontées n’incarnent pas une revanche, mais une liberté. Leur courage est une invitation adressée aussi aux hommes : entendre, vraiment.

George Sand, que Baudry d’Asson semble rejoindre, écrivait : « L’homme et la femme ne sont pas deux espèces ennemies. » Cette vision d’un féminisme inclusif, vigilant mais non vindicatif, nourrit le recueil. C’est un féminisme de la mémoire et de la transmission, qui se méfie autant de l’oubli que de l’idéologie.

Camus, dans L’Homme révolté, rappelait que la vraie révolte est celle qui refuse l’injustice tout en cherchant la mesure. C’est bien de cela qu’il s’agit ici : une révolte douce, mais ferme, qui refuse d’effacer les femmes sans pour autant condamner les hommes.

Une trajectoire au carrefour des mondes

L’autrice n’émerge pas dans le vide. Issue d’une famille de littéraires et d’artistes, elle a dirigé la Revue des Deux Mondes, ainsi que plusieurs grandes maisons d’édition. Elle a fondé Le Lien Public, espace de dialogue entre politiques, universitaires et entrepreneurs. Son parcours intellectuel, éditorial et politique l’a placée au cœur des débats contemporains.

Ce premier livre n’est donc pas une rupture, mais un prolongement intime. Il est nourri de ce qu’elle a vu, entendu, traversé. À travers lui, elle « tire le signal d’alarme, rend hommage, encourage, relie ».

Dans sa préface, Marc Lambron parle d’une « capacité projective remarquable ». Cette formule dit tout : Nathalie de Baudry d’Asson sait non seulement raconter, mais épouser l’expérience des autres, en faire sentir le poids, la respiration, la vibration.

Une œuvre discrète mais essentielle

La rentrée littéraire 2025 verra paraître des centaines de romans. Beaucoup hausseront la voix. Miniatures & Pointes sèches choisit l’inverse : la discrétion, la densité, la nuance. Dans un monde saturé de bruits et d’opinions, ce recueil propose une autre voie : écouter, se souvenir, accueillir.

Paul Valéry écrivait : « Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable. » L’équilibre rare de ce livre tient à ce paradoxe : dire l’essentiel en peu de mots, sans tomber dans la simplification. En cela, l’ouvrage se distingue comme une œuvre de résistance au bavardage contemporain.

La flamme des guerrières inconnues

Certains lecteurs voient dans Miniatures et Pointes sèches une entreprise comparable à l’hommage rendu au Soldat inconnu : « Nathalie de Baudry d’Asson a allumé la flamme des guerrières inconnues. » L’image souligne que ce recueil rend hommage aux femmes ordinaires, souvent effacées de l’Histoire, mais dont les vies disent l’essentiel.

« C’est une écriture sans fioriture, concentrée, parfois elliptique », observe-t-on encore. Cette sobriété rejoint ce que Roland Barthes appelait une « écriture blanche », où le silence fait partie du sens. Le livre apparaît alors comme un « hymne à la liberté », un geste de gratitude qui met à nu la « substantifique moelle » de l’éternel féminin

Dans un contexte où la question des droits des femmes demeure brûlante, ce regard insiste sur un féminisme « vigilant mais tempéré », entre mémoire des aînées et transmission aux jeunes générations. Comme l’écrivait Amélie Nothomb dans Biographie de la faim : « La liberté, c’est de pouvoir choisir celui qui vous asservira. » Les héroïnes de Nathalie de Baudry d’Asson, elles, transforment cet asservissement en résistance, parfois en création, toujours en affirmation de soi.

Des étincelles de liberté

À la fin, il ne reste pas des slogans, mais des vies. Ces femmes, qu’elles aient choisi ou subi leur destin, tracent toutes une réponse singulière à l’imprévisible. Entre rires et larmes, elles invitent chacun, chacune, à « vivre au vrai, à plein », comme l’écrit l’autrice.

Ainsi Miniatures & Pointes sèches se lit comme une mosaïque fragile et tenace. Une gravure fine, incisée dans la mémoire. Un hommage qui n’appartient pas seulement aux femmes, mais à l’humanité tout entière.