Paris et Berlin accueillent Zelensky mais ne parviennent pas à cacher leurs désaccords sur la défense et l’économie
La visite de Vladimir Zelensky est spectaculaire, sauf qu’elle souligne le déficit de politique de défense et d’économie. Français et Allemands n’ont toujours pas de positions communes alors que la Russie prépare une nouvelle offensive contre l’Ukraine.
Les pilotes, mais pas les avions
L’Union européenne n’a toujours pas pris la mesure de la guerre en Ukraine et surtout l’ampleur des besoins de Vladimir Zelensky. La visite surprise du président Zelensky à Londres, puis à Paris, puis à Bruxelles ne sera sans doute pas suivi d’un renforcement des aides militaires, civiles et économiques à l’Ukraine. En bref, on va sans doute annoncer à la fin de la semaine l’envoi de pilotes d’avion, mais pour les avions, il faudra attendre encore.
Un chiffre, un seul, mesure la gravité de la situation. Le montant des aides toutes catégories confondues, en matériels militaires, en logistique et en aides financières directes accordées par les Etats-Unis représente près de 85% du total des aides reçues par l’Ukraine. L’Europe est aux environ de 15 % avec un problème supplémentaire : le manque d’homogénéité, de cohérence et surtout de stratégie entre les principaux partenaires de l’Union européenne.
Le livre de Pierre Menat, ancien conseiller de Jacques Chirac, ancien ambassadeur et ancien directeur Europe au ministère des affaires étrangères, montre bien les failles de l’Union européenne face à un problème aussi grave et violent que la guerre en Ukraine. L’Union européenne et la guerre aux éditions L’harmattan.
L’Union européenne a fait preuve de grande résilience face à la pandémie et d’ambition en mettant entre parenthèses les contraintes de Maastricht, autorisant dans la plupart des pays membres une politique de protection type « quoi qu’il en coute ». Mais plus encore, l’Union européenne a réussi à mutualiser et regrouper ses achats de vaccins et en plus, elle a pour la première fois de son histoire, lancé un programme commun de 750 milliards d’euros financé par un emprunt européen.
Mais face à la guerre en Ukraine, la situation des Européens a été beaucoup plus difficile à lire et à décrypter. Les 27 États membres ont été unanimes, ils ont condamné l’agression russe, la violation de frontières territoriales et le nom respect des traités internationaux, les 27 pays membres de l’Union ont tous condamné les actes barbares et terroristes qui violent toutes les règles de la guerre. Les 27 ont aussi adopté tous les paquets de sanctions et décidé une aide massive financière à l’Ukraine.
Mais en dépit de toutes ces initiatives, on a aussi vu les graves tensions entre la France et l’Allemagne sur la question de l’énergie notamment, mais pas seulement. On a bien senti les différences de position entre les pays membres mais frontaliers de la Russie et les autres. Pour des raisons politiques différentes, la Pologne s’est très investie alors que la Hongrie est restée à l’écart.
L’Europe faiblement engagée, selon l’Ukraine
Cette guerre en Ukraine a entrainé des positions fortes des Etats-Unis avec des livraisons d’armement considérables, des relations économiques renforcées … cette guerre en Ukraine a aussi renforcé la cohésion des pays de l’Otan mais l’OTAN relaie la position américaine. En bref, l’Europe qui a fourni des armes, l’Europe qui a pris conscience que ce qui se jouait c’était l’avenir de ses valeurs, de ses organisations démocratique et de son style de vie, a été « faible » dans son engagement.
Principalement sur deux terrains stratégiques.
1e) Le terrain de la défense commune est resté en jachère. Conscients de la nécessite d’une autonomie stratégique de l’Union européenne au sein de l’OTAN, mais à coté de l’autonomie stratégique américaine, les 27 pays de l’Union ont sans doute trouvé des financements originaux pour les aides militaires mais on ne peut pas dire que les 27 aient progressé dans la définition d’une politique de défense commune. Il n’y a pas actuellement de défense européenne. Et Vladimir Zelensky n’a pas obtenu d’assurance de ce côté-là. Il a été rassuré sur la perspective de son entrée dans l’Union européenne et cela lui sera confirmé à Bruxelles en fin de semaine, mais il n’a pas obtenu de signal sur l’existence d’une position européenne commune.
Ce sont les Américains qui ont fait un retour massif sur le théâtre de la sécurité européenne mais ignorant les Européens.
2e) Sur le terrain de l’économies et des échanges, il faut reconnaitre que l’Europe n’est pas le partenaire privilégié de l’Europe mais il faut dire aussi que l’Europe n’a pas fait beaucoup d’effort. L’Ukraine attend beaucoup de l’Europe, sur le plan sécuritaire mais ne compte pas sur le plan économique. L’aide militaire est relativement faible, mais l’aide humanitaire et l’aide d’économie d’urgence, d’assistance aux réfugiés a été très importante.
Cela dit, le partenariat commercial est très marginal. Alors que les échanges avec Moscou ont été complètement coupés, on aurait pensé que les échanges soient réorientés vers l’Europe. Ça n’a pas été le cas. Le blocage des ports de la mer noire a provoqué une flambée des cours du blé et du tournesol, la fermeture des robinets du Gaz russe a aussi fait flamber les cours. Mais après quelques mois d’explosion des prix, tout est retombe à son niveau d’avant-guerre.
Où est le pragmatisme ?
L’Ukraine est un tout petit partenaire commercial des Européens.
L’Ukraine est le 17e client de l’Union européenne. Nos exportations représentent moins de 1,1% du total des exportations européennes. L’Ukraine est notre 15e fournisseur, 1% de nos importations.
A l’inverse, l’Union européenne est un très gros partenaire commercial de l’Ukraine. Près de 50 % de son commerce se fait avec les pays de l’Union européenne. Nous, Européens, nous sommes plus lourds que les Chinois dans le commerce international de l’Ukraine. Sans parler de la diaspora et des réfugiés qui drainent des flux financiers importants.
Ce décalage-là mériterait de la part des Européens une analyse spécifique à la fois sur la question de la reconstruction parce que les Américains sont en train de prendre des options, mais sur la réindustrialisation.
Sur ce terrain-là qui commande l’autonomie de l’Ukraine, il n’y a aucune étude en cours à Bruxelles.
Or beaucoup d’observateurs considèrent que si l’Ukraine manque de forces économiques, ça lui sera fatal.
Des armes oui, les Ukrainiens vont sans doute recevoir une aide importante mais si la logistique n’opèrent pas l’Ukraine tombera.
La visite de Zelensky en Europe n’aura évidemment pas été inutile. Le président Ukrainien va repartir avec des promesses mais surtout avec la satisfaction peut être d’avoir convaincu les europeens que cette guerre était une guerre pour des « valeurs » qui concernait les Européens beaucoup plus fortement que les américains qui resteront protèges par L’Atlantique.
Lire, l’union européenne et la guerre par Pierre Ménat. Éditions L’Harmattan