« L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus »
(nouvelle extraite du recueil « La Ruche », 1953)
Anna Seghers
Lu par Ariane Ascaride
Office 25/01/2007
En Allemagne, une classe de jeunes filles part en excursion. Sur le bateau qui les ramène à leur village en traversant le Rhin, une institutrice demande à l’une d’entre elles, Netty, de préparer pour un cours prochain le récit de cette excursion.
Netty est la narratrice, mais une narratrice un peu particulière puisque qu’elle a attendu longtemps avant de faire le devoir dont on l’avait chargée : c’est d’outre-tombe que le récit nous parvient, c’est une femme déjà morte qui nous raconte cette excursion qu’il lui est donné de revivre. Mais elle la revit en narratrice omnisciente qui connaît l’avenir réservé à chacun de ceux qui l’entourent ce jour-là.
Un triste avenir, car l’excursion a lieu quelques années avant la Première Guerre mondiale dans laquelle mourront certains des garçons rencontrés cet après-midi-là, garçons avec lesquels des jeunes filles ont déjà lié une relation amoureuse.
Et elle a lieu aussi avant la sombre période où tous devront choisir leur camp, sauf bien sûr ceux qui, parce qu’ils sont juifs, n’auront d’autre possibilité que fuir ou se cacher. L’amitié de deux jeunes filles, inséparables pendant l’excursion, n’y résistera pas : l’une, mariée à un nazi, refusera de protéger la seconde, persécutée en tant que juive. En aurait-elle fait autant si elle avait pu épouser le garçon tant aimé cet après-midi-là, s’il n’était pas mort en 1914 ?
L’omniscience de la narratrice colore son récit d’une teinte profondément nostalgique, presque mélancolique : la confrontation brutale entre le présent de l’excursion et l’avenir de ses participants fait apparaître cette journée comme une dernière parenthèse enchantée avant la noirceur des temps à venir. Et, pour la narratrice, la fin de l’enfance, cette enfance momentanément retrouvée puis de nouveau brusquement enfuie, coïncide avec la fin d’une période de bonheur serein et d’harmonie sans nuages.
Anna Seghers (1900-1983), romancière allemande, adhère en 1928 au parti communiste allemand, ce qui lui vaut d’être incarcérée en 1933 dans les prisons nazies. Elle parvient à s’enfuir en France, puis gagne le Mexique où elle est présidente du « Heine-Club » qui réunit des écrivains antifascistes de l’émigration. Elle revient en Allemagne en 1947 et devient très vite une personnalité officielle de la vie culturelle de la République démocratique allemande.