« des nouvelles qui se lisent avec bonheur » selon Argoul

Christian de Moliner, Les exploits de Jasmine Catou

La chatte détective poursuit ses enquêtes dans l’actualité la plus immédiate, le salon des mathématiques qui se tient chaque année en juin à Paris et le confinement Covid.

Pas sûr que le salon, cette fois-ci, soit physique – mais les mathématiciens concurrents se livrent une lutte à mort pour gagner le prix. Et celui qui l’emporte ne l’emporte pas en paradis. Quoique : Who done it ? comme disent les vieilles anglaises, expertes en intrigues mortelles : Qui l’a fait ? Malgré ses talents d’observation aiguë pour tout ce qui bouge, Jasmine la chatte n’est pas sûre – mais après tout, si c’était vrai ? Si son hypothèse audacieuse était la bonne ? Reste le problème fondamental de tout chat : comment communiquer ce qu’elle sait à un humain ?

Quiconque côtoie de près ces petits félins adaptés à l’homme depuis des millénaires sait très bien que le chat communique. Mais pas avec les instruments humains. Si son miaulement se module selon ce qu’il ressent et ce qu’il veut, c’est surtout par son attitude et sa mimique faciale qu’il s’exprime. Mais ce ne sont que des réactions simples de plaisir, de requête et d’amour – rien de sophistiqué. Dès lors, comment « dire » ce que l’on a compris d’une question qu’il faudrait poser ou d’un indice à examiner ?

C’est pourquoi l’auteur qui fait agir la chatte est ingénieux. Le lecteur est surpris à chaque fois a de constater que dire ce qu’on sait est possible, même quand on est une chatte devant des humains raisonneurs. La logique fait-elle partie de l’organisation mentale d’un chat ? En tout cas, la relation directe de cause à effet est indispensable aux prédateurs, dont les félins sont les plus affûtés.

Un seul mort dans ces trois nouvelles qui renouvellent les exploits de Jasmine la chatte. L’auteur se sert de la vie de sa maitresse, l’attachée de presse parisienne Agathe, pour mettre en scène des intrigues. Une recette de cuisine d’une autrice qui va sortir un second tome de son best-seller se retrouve malencontreusement livrée à la presse concurrente. Par qui ? l’amant d’Agathe qui a utilisé son ordinateur à son insu soi-disant pour envoyer un mél ? Par un stagiaire de la chaîne de production de l’article prévu pour dans quelques jours ?

Covid-19 relate une émission de radio qui a réellement eu lieu… avec Jasmine Catou en vedette. Mais elle est transposée aujourd’hui, sous le confinement pandémique. Un vieux professeur arrive avec son chien philosophe, Agathe avec sa chatte fourrée détective ; leur sont confronté un vétérinaire rationaliste que l’anthropomorphisme systématique appliqué aux bêtes agace. Un test : il a perdu son portable, Jasmine sera-t-elle capable de le retrouver ?

D’un ton léger, d’un style agréable, ces nouvelles policières à la manière de dame Agatha, se lisent avec bonheur. De quoi en faire tout un recueil pour éditeur policier.

Christian de Moliner, Les exploits de Jasmine Catou, 2020, Les éditions du Val, 97 pages, €6.50 e-book Kindle €3.00

Les exploits précédents de Jasmine Catou sur ce blog

« Un bon roman d’entreprise qui sonne comme une vérité vécue » selon Argoul

Paula Marchioni, N’en fais pas une affaire personnelle

Publié le 2 juin 2020 par argoul

Ecrit au présent par une autrice qui l’a vécu, ce roman « vrai » un brin arrangé pour les besoins de la clause drastique de non-concurrence après séparation, donne le ton du management dans les sociétés multinationales. Notamment les françaises qui imitent servilement le modèle américain sans bénéficier du même écosystème de liberté d’entreprise. Au lieu de faciliter l’innovation et l’efficacité par le meilleur, le management de la peur conduit les egos surdimensionnés à révéler leur perversité narcissique pour manipuler à leur profit (et non à celui de la firme) inférieurs et sous-traitants.

Ce n’est pas nouveau, ayant débuté dans les années 1990 avec l’ouverture à la mondialisation yankee, mais l’apprentissage du « modèle » est difficile car il doit entrer de force dans le carcan mental, bureaucratique et juridique français pour avoir la possibilité de se mesurer aux grands du monde. Nous ne sommes pas formatés pour ça comme aux Etats-Unis depuis l’enfance. La formation par les maths ou le droit n’a rien à voir avec le laisser-faire sportif yankee selon lequel le (ou la) meilleur gagne. L’université américaine est moins un lieu où l’on apprend qu’un lieu où l’on révèle ses instincts, alors que les écoles de commerce en France sont un lieu de diversité où l’on cumule les expériences – mais seulement après une sélection sur les connaissances.

La narratrice, qui se surnomme Bobette, se retrouve en fin de carrière dans la même agence de pub, appelée Chabadabada qui a pour client principal une sorte de L’Oréal ou de Clarins appelée la National Cosmectic Company (en abrégé NCC). Le danger d’avoir un gros client fait qu’on en devient dépendant et, au lieu de stratégiquement tenter d’en acquérir un autre comme contrepouvoir, on en vient à désirer se soumettre totalement à tous ses désirs. D’où le stress, les changements par caprice, les engueulades perpétuelles, les exigences folles, le burnout. L’autrice abuse des mots anglomaniaques car telle est la loi de la pub : la soumission au modèle ultime qui est américain. La France n’est pourtant pas trop mal placée dans le luxe et les cosmétiques, pourtant ! Mais comme devant Allah, il faut effectuer la grande prosternation cinq fois par jour devant le Maître du monde, en abdiquant sa propre personne humaine…

Rien d’étonnant à ce que se perde le sens du travail, que la saine émulation devienne harcèlement et que l’effort devienne paranoïa égoïste. Ladite Super Power, qui représente NCC auprès de l’agence de pub, presse le citron – qui se laisse faire. Elle manifeste sa toute-puissance par des demandes impossibles et contradictoires, des changements de cap in extremis, des hésitations sans fin, une inflation de l’absurde… Le lecteur se dira avec bon sens : à métier inepte, pratiques ineptes d’un modèle inepte. Car il s’agit d’exploiter la nature pour crémer belles et bellâtres, de profiter de l’image du naturel pour faire vendre ce qui ne sert à rien, de manipuler le mythe de la pureté originelle comme une vulgaire religion au service du fric. Pourquoi donc se lancer dans la pub, cette activité inutile à l’existence, nocive à ceux qui y travaillent, mauvaise pour la planète ? Paula Marchioni n’analyse pas le pourquoi de ce choix, ou très peu. Elle donne pourtant en contre-modèle son père, Guy Marchioni, décédé à 86 ans, qui était ingénieur, donc dans le concret, et qui a vécu une carrière en humaniste, n’hésitant pas à dénoncer les egos nocifs lorsqu’il n’était encore que stagiaire. Mais il était d’une autre génération.

Ni la rentabilité, ni l’exigence d’efficacité n’exigent la perversion : ce sont bien les hommes qui gouvernent, pas les choses. La gestion de la pandémie Covid-19 le confirme à l’envi : les incapables sont au pouvoir depuis Hollande, malgré les mesures prises par les gouvernements qui précédaient après le premier SRAS en 2003. Nous étions pourtant bien dans la même « idéologie néo-libérale » comme on le dit un peu vite pour évacuer toute analyse sérieuse. Il est contreproductif d’accuser on ne sait quel « capitalisme » ou « néolibéralisme » des maux auxquelles on se soumet trop volontiers, évitant ainsi notre propre implication. Les jeunes le montrent, qui évitent soigneusement les entreprises toxiques dont l’image se dégrade : ils souhaitent rejoindre une société où ils contribuent à rendre le monde meilleur. Les plus de 50 ans croient ne pas avoir le choix, mais aux Etats-Unis ils le prennent. La mentalité fonctionnaire d’Etat-providence, qui nous a été inculquée depuis tout-petit dès la génération Mitterrand (née vers 1980), n’encourage pas à se prendre en main, hélas, contrairement à la génération précédente (née vers 1960) et la quête boucs émissaires est commode pour se dédouaner de toute responsabilité… La bourse le montre pourtant : les sociétés familiales sont les mieux gérées, les plus durables et font le plus de profits dans le temps. C’est qu’elles tiennent à l’humain et pas aux mots fumeux à la mode comme c-llectif, co-entreprise, co-décision, co-développement – en bref conneries du green washing – pour rester dans le ton américano soumis !

Le récit romancé de Paula Marchioni, tiré de son expérience professionnelle de pub dans l’agroalimentaire, la cosmétique ou le service, reste à ras du présent, se développe en histoire – ô combien classique – de la Brune qui remplace la Rousse, éjectée à la demande de la Cliente pour reprendre une équipe épuisée et désorientée de « chatons » tout juste pubards (entre 20 et 30 ans) et tenter d’avancer dans le flou. Avec humour et un recul salutaire, la narratrice sait s’entourer : Petit Papa décédé qui lui parle au-delà, Nounours son mari chéri (qui se fera virer lui aussi), Psychiatre préféré qui l’aide à se connaître, la Coach qui la motive, Retors la Belle son avocate, « la » médecin du travail, l’atelier d’écriture. Il ne faut en effet pas se laisser bouffer, ni par le boulot qui boulotte la personne, ni par les exigences paranoïaques des clients exigeants (au moindre coût) qui ne veulent pas reconnaître le travail de qualité. Il faut résister : les pervers narcissiques en sont tout étonnés (j’en parle d’expérience). Bobette réussira à livrer ses contrats et certains seront plébiscités ; elle sera remise en concurrence par pur plaisir pervers de rabaisser les talents de l’équipe mais, pour une fois, son patron ne se laissera pas faire malgré les conséquences ; son agence perdra son gros client et elle sera virée mais non sans avoir pu recaser ses « chatons » sans dommage.

Cette fiction réelle est prenante et se lit agréablement. Ecrite en style très familier au ras du terrain et du vocabulaire branché de la pub (un vrai dépaysement), elle parlera à beaucoup de ma génération qui a vécu cela depuis les années 1990 (l’affairisme servilement imitateur des Yankees sous Mitterrand II) et il faudra probablement que celle qui arrive aujourd’hui se débarrasse de tous ces inadaptés au management moderne qui trustent les places au sommet malgré leur incompétence avérée, donc leur peur que cela se sache, donc leurs exigences sans bornes et leur mépris anxieux pour tous ceux qui pourraient leur faire de l’ombre dans les étages immédiatement inférieurs. Un bon roman d’entreprise qui sonne comme une vérité vécue.

Paula Marchioni, N’en fais pas une affaire personnelle, Eyrolles collection Roman, 2020, 319 pages, €16.00 e-book Kindle €7.99 

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Guy Vallancien, invité à parler de l’intelligence artificielle sur Radio Notre Dame

Du lundi au vendredi de 9h à 10h, émission animée par Marie Ange de Montesquieu

La vie, l’amour, la foi, le monde, les autres, la société,  l’argent, l’homme, ses paradoxes, la mort, etc…

Marie Ange de Montesquieu et ses invités (professionnels, médecins, psychothérapeute, sociologues, experts, prêtres, témoins…) vous emmènent chaque  jour pour 1 heure d’enquête sur… le sens des choses dans ce monde si complexe ! Et  Dieu sait qu’il en faut des clés pour comprendre ce drôle de siècle qui est le nôtre !

Guy Vallancien, chirurgien, membre de l’académie nationale de médecine et auteur de « J’aime donc je suis » (L’Harmattan)

Rasmus Michau, professeur associé à Sciences Po et auteur des « Robots n’auront pas notre peau ! » (Dunod)

Réécoutez l’émission ici https://radionotredame.net/emissions/enquetedesens/01-06-2020/