Forbes publie « L’ère du leader co-créateur : transformer les désaccords en synergies » de Dominique Vian et Quentin Tousart auteurs de « Partir de soi pour changer le monde »

TRIBUNE DANS FORBES DE QUENTIN TOUSART ET DOMINIQUE VIAN
Dominique Vian, professeur associé en cognition entrepreneuriale à SKEMA Business School. Docteur en sciences de gestion de Telecom ParisTech, Dominique Vian est l’auteur de six méthodes effectuales déjà utilisées dans une soixantaine d’incubateurs, pépinières, technopoles, mais aussi par des consultants en stratégie d’entreprise, des directions générales et d’innovation (notamment ISMA360 et FOCAL).
Quentin Tousart, entrepreneur passionné dans l’innovation numérique
Quentin Tousart a créé à l’âge de 22 ans, la startup e-commerce Webdistrib qu’il a pu revendre prospère en 2006. Avec un esprit créatif et novateur, il a alors créé Webpulser, une agence e-commerce qui connaît également un joli succèsSes valeurs principales sont la coopération, l’espoir et la liberté. 
L’ère du leader co-créateur : transformer les désaccords en synergies

Confronté aux frictions incessantes entre individus, équipes et échelons hiérarchiques, comment le leader navigue-t-il pour réaliser des changements bénéfiques ? Consciemment ou pas, le leader adopte un style parmi trois postures que sont l’autoritarisme, le compromis ou la co-création.

L’autoritarisme provient d’un héritage ancien et profond

Parce qu’il accorde la suprématie au chef, l’autoritarisme permet un processus décisionnel clair. Hélas, il tue l’initiative. Les relations interpersonnelles n’étant pas valorisées, elles ne peuvent que se dégrader. A la fin, il y aura des gagnants et des perdants. Ceci génère un sentiment d’injustice voire de colère du celui qui n’y trouve pas son compte. La fin tragique de Georges Besse (Renault) en 1986 est un exemple caricatural de l’échec de l’autoritarisme.

Le compromis est inhérent à la vie en société

Le compromis, reflet de nos sociétés modernes, s’est largement développé notamment dans les organisations intergouvernementales. En permettant la prise en compte de différents points de vue, il favorise la cohésion du groupe autour d’un intérêt partagé à défendre et l’évolution pacifique. En revanche, le processus décisionnel est plus long. Il instaure une logique perdant-perdant, même si chacun cherche à minimiser sa perte. Par exemple la COP15 de Copenhague a été perçue comme un échec car seul un accord minimal a été atteint pour le climat.

Autoritarisme et compromis visent à gommer ou à diminuer l’impact des divergences tandis que la co-création les valorise en les unifiant. Ils ne seront plus l’objet d’une lutte et deviendront des ressources.

 La co-création, un concept théorisé récemment

La co-création puise ses racines dans des pratiques sociales anciennes de collaboration, mais sa conceptualisation et son essor sont très contemporains. Cette attitude peut se résumer par l’idée de poursuivre un objectif atteignable que je veux et qu’un autre veut aussi. Bien que très puissant, son développement est sans aucun doute freiné par la variété terminologique (coopération, effectuation, intégration, transformation, invention). La co-création favorise l’innovation avec une création de valeur pour tous. Elle développe la confiance car elle s’appuie sur une logique gagnant-gagnant. Elle demande en revanche des compétences en gestion de la complexité. Basée sur une liberté d’engagement, cela ne marche pas à tous les coups.

Comment développer la co-création ?

La littérature décrit ce qu’est un leader efficace. Il est celui qui comprend les sources de divergence, construit la confiance, favorise l’interdépendance et crée des conditions pour intégrer diverses perspectives dans des solutions innovantes. Cependant, elle ne nous dit pas comment faire.

Un cas rencontré récemment est celui de la demande d’un salarié qui a besoin de l’accord de son employeur pour lancer une activité extérieure à l’entreprise et ainsi disposer de revenus complémentaires. 

L’’entrepreneur ne veut pas de conflit d’intérêt, ni que cela perturbe la vie de l’entreprise. Le salarié souhaite travailler en autonomie et varier ses activités perçues comme répétitives.

L’attitude autoritaire consiste à accepter ou à refuser. Le compromis serait de définir des conditions précises de l’exercice d’une activité qui minimise la perte des deux parties. L’attitude de co-création relie des objectifs faussement disjoints. Par exemple, l’employé souhaite diversifier ses activités et le salarié aussi. Tous deux recherchent une augmentation de revenu. L’employeur recherche des opportunités et des personnes motivées, autonomes pour développer de nouvelles activités. Un partage de la valeur à créer est possible.

La méthode “effectual goals”* reprend la co-création comme moteur du changement et propose une séquence en trois étapes. La première favorise l’expression d’une pluralité d’objectifs. Ceux-ci sont ensuite reliés selon la logique moyen-effet. Enfin, la méthode vise à connecter les moyens présents aux futurs souhaités. Cette méthode s’applique à des situations d’entreprises mais aussi à des situations politiques ou géopolitiques voire personnelles. Ces approches nouvelles visent à unifier des différences plutôt qu’à les éliminer.

Quentin Tousart et Dominique Vian « Effectual Impact, Partir de soi pour changer le monde à son échelle avec les méthodes effectuales»

les méthodes effectuales pour analyser l’erreur de Poutine (Ukraine) dans Entreprendre par Quentin Tousart et Dominique Vian)

Faiblesse d’une pensée subjective dans l’analyse des effets : le cas de l’Ukraine 

Pourquoi continuons-nous à rechercher l’homme fort alors que le stratège visionnaire tout-puissant serait voué à l’échec ? Solitaire dans sa prise de décision, n’est-il pas celui qui se prive de la force du collectif ?

Intersubjectivité démocratique contre subjectivité du visionnaire

L’intersubjectivité est un concept qui se rapporte à l’intersection entre les perspectives cognitives des individus [1]. Elle est souvent considérée comme une force intrinsèque aux démocraties, car elle est le résultat d’une communication et d’une compréhension mutuelle entre des individus ayant des points de vue différents. L’intersubjectivité porte sur un point de la situation et ne nécessite pas que les personnes soient d’accord sur tout. Cela peut être un point d’accord au milieu d’un océan de désaccord.  C’est cette petite victoire qui doit être considérée comme la valeur essentielle. Contrairement à l’intersubjectivité, la subjectivité, c’est la pensée d’un seul. Dans le cas de l’Ukraine, l’analyse des effets de la politique de Vladimir Poutine montre que la subjectivité d’un dictateur peut mener à des résultats contraires aux objectifs initiaux.

Le plan Poutine : envahir l’Ukraine pour étendre l’influence russe

Le plan de Poutine visait à envahir l’Ukraine et renverser le pouvoir en place pour empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTAN et ainsi augmenter la zone d’influence de la Russie. Cependant, le résultat a été exactement l’inverse du résultat recherché : l’OTAN s’est renforcée et la zone d’influence de la Russie n’a pas grandi, sauf en Afrique, très loin du théâtre des opérations.

La subjectivité du visionnaire : un plan rigide et peu efficace

Le dictateur s’en tient le plus souvent à la stricte application d’un plan autour d’un objectif défini et d’une causalité devenue obsessionnelle : la perte territoriale depuis la fin de l’Union soviétique à récupérer. Pourtant, le plan est une approche causale qui, en cas de guerre, ne peut se dérouler sans à-coups, car l’adversaire travaille à déjouer les plans du camp opposé. Pas de quoi s’en offusquer si la fin justifie les moyens. Le dictateur aura toujours le moyen de  minimiser rétrospectivement l’échec d’une partie du plan.

La subjectivité du visionnaire autoritaire se manifeste également dans son besoin de persuader qu’il a raison d’où la propagande. Le plan devient un élément central pour rassurer les Russes : si tout est sous contrôle, il n’y a pas de souci à se faire pour son pays. Cependant, les effets de la situation générée ne sont pas vus, et ce phénomène est amplifié par le fait que les échecs ne sont pas facilement révélés en raison de la peur qu’inspire le dictateur. Il se coupe progressivement de la réalité et renforce sa propre bulle de subjectivité.

L’intersubjectivité dans les démocraties : un atout pour agir efficacement

Dans les démocraties, des écarts de perception existent, mais au fil du temps, les boucles de rétroaction unissent plus qu’elles ne divisent, comme dans le cas des pays de l’Ouest de l’Europe qui ont su donner raison aux pays de l’Est à propos du risque que représentait Poutine. L’intersubjectivité devient une caractéristique des démocraties et est réduite voire inexistante dans une dictature qui ne connaît pas d’opposition interne. Il n’y a de place que pour une seule pensée et un seul discours du chef suprême.

Lors du conseil de sécurité retransmis à la télévision avant le déclenchement de l’opération spéciale en 2022, le président russe Vladimir Poutine n’a pas ménagé son chef des renseignements extérieurs, en lui demandant son avis sur l’indépendance des territoires séparatistes du Donbass. Il est évident qu’il n’avait pas le choix de s’opposer. La séquence semble tout droit sortie d’un film. 

Pourtant, les approches visionnaires solitaires sont souvent valorisées, y compris dans les démocraties, comme en témoigne la tentation de rechercher l’homme fort qui nous protège et à qui l’on remet tous les pouvoirs lors des élections. Il y a là un paradoxe.

La force des démocraties et l’intersubjectivité contre les dirigeants solitaires

A un moment où les démocraties pourraient avoir tendance à se flageller, l’intersubjectivité est une force intrinsèque dont ne dispose pas une dictature. L’intersubjectivité est une représentation partagée. Elle ne nécessite pas un consensus global mais elle est un point d’accord essentiel et suffisant pour décider d’une action. Il s’agit de se le rappeler pour justifier la force des démocraties et d’en tirer profit. En revanche, les dirigeants solitaires s’enferment dans leur propre bulle informationnelle, ce qui peut conduire à des résultats contre-productifs comme dans le cas de l’envahissement de l’Ukraine.

L’intersubjectivité apparaît donc comme une force essentielle pour la prise de décisions éclairées dans les démocraties, contrairement à la subjectivité qui ne peut que conduire à terme à l’échec. Elle est suffisante pour faire face à des situations complexes et permet de s’affranchir d’une prétendue objectivité qui n’est pas nécessaire pour décider de ce qu’il y a lieu de faire.

[1] https://en.wikipedia.org/wiki/Intersubjectivity

Dominique Vian et Quentin Tousart

Dominique Vian, professeur associé en cognition entrepreneuriale à SKEMA Business School. Docteur en sciences de gestion de Telecom ParisTech, Dominique Vian est l’auteur de six méthodes effectuales déjà utilisées dans une soixantaine d’incubateurs, pépinières, technopoles, mais aussi par des consultants en stratégie d’entreprise, des directions générales et d’innovation (notamment ISMA360, qui permet de choisir rationnellement un marché accessible pour une invention, et FOCAL, qui permet d’envisager des actions originales et pertinentes).

Quentin Tousart a créé à l’âge de 22 ans, la startup e-commerce Webdistrib qu’il a pu revendre prospère en 2006. Avec un esprit créatif et novateur, il a alors créé Webpulser, une agence e-commerce qui connaît également un joli succès. Ses valeurs principales sont la coopération, l’espoir et la liberté.