Le Roman des Macron par François Cardinali
Amour, pouvoir et chute, le tout saupoudré à la sauce people : jouant sur le réel et la politique fiction, Alain Llense signe dans Emmanuel, Brigitte et moi (*), un roman de l’ère Macron. Une époque où l’image est reine.
Toute ressemblance est tout, sauf fortuite, dans Emmanuel, Brigitte et moi. L’histoire est transparente… Lorsqu’ils se rencontrent et tombent éperdument amoureux l’un de l’autre, Emmanuel a 15 ans et Brigitte 40. Lui est un prodige en devenir de la gastronomie française, elle est une bourgeoise, mère de famille épanouie de trois enfants dont la plus jeune a l’âge d’Emmanuel. Ensemble, ils vont affronter le scandale, courir après la gloire matérialisée par un restaurant prestigieux de la Côte d’azur surnommé « le Château » et connaître toutes les vicissitudes liées au succès. Le narrateur, le « moi » du titre est, pour sa part, un journaliste qui les retrouve par hasard, quinze ans après qu’ils aient tout perdu et chuté de leur Olympe…
En jouant sur trois narrateurs – outre l’auteur du livre, un ancien reporter reconverti dans la lucrative presse dite « people » – Alain Llense s’inspire plus ou moins librement de la réalité et s’amuse même à glisser vers la politique fiction puisque l’ex-couple présidentiel est décrit après sa chute et des soubresauts politiques qui ont vu une certaine Marion accéder au pouvoir, c’est-à-dire à la tête de cette cuisine d’un grand restaurant symbolisant les coulisses de la vie politique. Avec Emmanuel Macron, il peut ainsi décrire le parcours d’un jeune arriviste qui se décrit comme tel sans barguigner. Verbatim : « On m’a traité d’arriviste sans savoir que je n’en prenais aucun ombrage et que si, par ce terme, on désignait celui qui veut toujours aller plus haut, loin de m’insulter, on visait juste, mieux on me flattait. »Fonctionnaire de l’Éducation nationale – il est le principal adjoint d’un collège de Perpignan – passionné d’histoire, l’auteur jongle avec les codes de la vie politique française, montrant bien comment les hommes de pouvoir cultivent des liens troubles avec la presse people. Le narrateur n’est-il pas un des héros de cet univers où tous les coups sont permis pour attirer lecteur et spectateur. N’est-il pas l’auteur du « scoop-coup monté contre François lors de l’élection d’Emmanuel » ?
Décrivant ce couple vieillissant et un brin oublié, l’auteur s’amuse à retracer la vie de ce duo politique inattendu et uni par la même volonté de gravir tous les échelons, à partir d’une histoire d’amour qui fait scandale dans la bourgeoisie provinciale dont ils sont issus. Si cette partie du roman est attendue, tant le couple Macron lui-même a documenté une histoire d’amour qui fit scandale dans la bourgeoisie du Nord – l’auteur rend même hommage au courage des deux futures figures de la vie politique française – il est plus décapant dans la partie de politique fiction où le pays vit un séisme. Extrait : « La passation se déroula à l’intérieur de la salle de restaurant car la foule avait avancé jusqu’au perron que, cinq ans plus tôt, nous avions atteint en imperator. La populace bruyante faisait pression sur les portes d’entrées gardées par deux vigiles apeurés, collait son nez curieux contre les vitres, vociférait dans un mélange d’acclamation de la nouvelle élue et de haine d’Emmanuel devenu le symbole de tous leurs maux. » Il faut juste espérer que cette évocation ne soit point trop prémonitoire.
L’auteur aime l’actualité tout en ne maquant pas d’imagination, mais le plus gros défaut de son histoire tient à l’unicité de son style. On a du mal notamment à penser que Brigitte et Emmanuel, même si le couple reste fusionnel, s’exprime exactement de la même manière. Jouer sur deux, voire trois, styles de confessions aurait donné plus de caractère à l’ensemble de l’opus.
François Cardinali