LA CORONOTENTATION D’UN VAGUE VACCIN
— Il va falloir que je te laisse, Werner, parce qu’on m’appelle sur le chantier. Vois-tu, même si ce que nous avions fait ensemble, chez Jonquart, était passionnant, mon activité ici me procure un sentiment de plénitude comme je n’ai jamais éprouvé. Et encore une fois, merci beaucoup pour ta générosité. Je t’embrasse.
— Tu es une femme exceptionnelle, Toni, répondis-je. Je t’admire vraiment. A bientôt.
J’étais sincère. Toni m’appelait depuis Patna, la capitale du Bihar, un état situé dans le nord-est de l’Inde. Après m’avoir cédé la présidence du groupe agro alimentaire qui porte mon nom, elle avait pris la direction d’une ONG indienne et entrepris de construire un hôpital de campagne, afin d’y traiter des malades du Covid-19. Dans une contrée aussi pauvre que le Bihar, le virus se déployait à une vitesse affolante.
Ses remerciements redoublés m’avaient mis mal à l’aise. Certes, la somme que j’avais fait virer sur le compte de son ONG était considérable, même si Axel Tischgart m’avait assuré qu’elle serait déduite de notre résultat fiscal. Je me sentais troublé parce que, pour des raisons beaucoup moins nobles, j’avais accordé des subventions, dont le total était presque équivalent, à des centres de recherches et de laboratoires de Cuba. Des dépenses pour lesquelles je n’avais pu faire autrement que de dévoiler mes intentions à Axel et de lui faire profiter, à lui et à sa famille, du même traitement que pour la mienne.
Il faut dire que j’avais été bien inspiré, le mois dernier, de téléphoner à Camilo, à La Havane. Nous avions été très copains, une quinzaine d’années plus tôt, lorsque nous combattions côte à côte pour la révolution mondiale voulue par Fidel Castro. Les temps avaient changé. Fidel avait disparu, mais son esprit planait encore sur la mémoire des jeunes guérilleros de l’époque.
Dans la République de Cuba, Camilo occupait depuis six ans le poste de vice-ministre de la Santé Publique et l’on sait bien que dans les démocraties vraiment populaires, les vice-ministres ont souvent plus de pouvoir que leurs ministres.
— Hola, Romain ! Comment vas-tu, vieux compañero ? avait-il lancé au téléphone, lorsque nous fûmes connectés.
— Camilo, ça me fait drôlement plaisir d’entendre ta voix, avais-je répondu. Mais il faut d’abord que je te fasse un aveu, mon vrai nom est Werner, pas Romain…
— Ha ha ! Parce que tu crois que moi je m’appelle réellement Camilo ? répliqua-t-il en partant d’un gros rire.
Nous échangeâmes quelques souvenirs. Je m’enquis de son mode de vie, était-il marié, avait-il des enfants ? Il me demanda si j’étais toujours avec Julia.
— Sacré veinard, me balança-t-il lorsque j’eus acquiescé. Maintenant, dis-moi, camarade, j’imagine que tu ne m’appelles pas juste pour prendre des nouvelles de ma famille ou de la revolución. Que puis-je pour toi ?
Je répondis que selon des indiscrétions qui m’étaient parvenues, des chercheurs cubains auraient réussi à isoler une molécule, inhibant, dans certaines conditions, les protéines les plus agressives du coronavirus nommé Covid-19, et que ces protéines se transformaient alors en agents anticorps. J’en avais déduit que cette molécule pourrait être le principe actif du vaccin que le monde attendait désespérément.
— Je vois que tu es bien informé, camarade, dit-il sèchement après un silence.
Je respectai à mon tour un silence, avant de reprendre la parole d’un ton mièvre.
— Ils ont beaucoup de chance, ceux qui parviennent à mettreleur famille à l’abri.
À nouveau, un silence pesant, que je me gardai bien de rompre. Je l’entendis grommeler, puis il reprit.
— Je me souviens du jour où tu m’as sauvé la vie, camarade. Et donc je vais te faire passer en Europe de quoi vacciner une vingtaine de personnes. Mais tu n’ignores pas que notre pays manque cruellement de moyens. Et comme moi aussi je suis bien informé, je sais que tu es devenu un homme très riche. Alors je vais t’adresser une liste de comptes bancaires d’instituts qui me sont rattachés, avec les sommes que tu vas leur transférer.
J’eus un choc lorsque je fis le total des montants qu’ilm’indiqua, mais je m’exécutai sans discuter.
Deux semaines plus tard, il me rappela pour s’assurer que le précieux élixir me soit bien parvenu.
— Tu sais, me dit-il, à part toi, il n’y a qu’une seule autre personne, hors de Cuba, à avoir reçu de quoi faire vacciner sa famille.
— Sans indiscrétion, qui est-ce ?
— Le président américain. Pourquoi crois-tu qu’il se soit mis à serrer les mains de tout le monde ?