Un nouveau traité européen, pourquoi pas ?
Telle est la proposition de Pierre Ménat, ancien diplomate et conseiller de Jacques Chirac, qui publie « Dix Questions sur l’Europe post-covidienne. »
Entre les éructations d’Erdogan et la crainte d’un reconfinement, y a-t-il encore de la place pour la réflexion européenne ? C’est parce que nous le croyons que le livre de Pierre Ménat Dix Questions sur l’Europepost-covidienne (L’Harmattan, 97 pages) mérite d’être lu. Cet ancien conseiller aux affaires européennes du président Chirac pose 10 questions « entre défiance et puissance » (tel est le sous-titre) au moment où tous se demandent si l’Europe est capable tout à la fois de protéger les Européens, de bâtir des stratégies industrielles, de défendre une monnaie forte face au dollar, de contrer le retour des grands empires ou s’il ne vaudrait pas mieux revenir au « chacun chez soi »…
Pierre Ménat propose, in fine, un nouveau traité. On entend déjà les sceptiques s’indigner d’un nouveau transfert de souveraineté. La source d’inspiration de ce diplomate retraité est puisée dans l’œuvre inachevée d’un grand homme : le général de Gaulle, promoteur d’un plan Fouchet mort-né. On ne fera pas de l’Europe une puissance respectée et respectable sans se choisir des partenaires fiables et susceptibles d’affirmer une position dans le monde.
Le retour du plan Fouchet
Revenons donc à la source : le général de Gaulle distinguait nettement le marché commun de la souveraineté en matière de défense et de politique étrangère. Il jugeait du reste la seconde plus impérieuse que le premier. Le plan Fouchet a été rejeté au début des années 1960, car, comme le rappelle Pierre Ménat, les Belges et les Néerlandais ne le trouvaient pas assez atlantiste et souhaitaient y inclure le Royaume-Uni. Ils redoutaient l’hégémonie de la France, surtout entre les mains du général…
Or, Pierre Ménat fait l’inventaire des obstacles révolus : le Royaume-Uni est entré, puis sorti de l’Union ; les États-Unis se désengagent ou le prétendent de la sécurité européenne ; le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, créé dans les années 1970, a pris un essor considérable, conformément à ce que souhaitait de Gaulle… L’auteur y voit donc une opportunité : « Rassembler, écrit-il, ceux des États européens qui auraient la volonté de s’engager dans une Union étroite mais respectueuse des identités nationales. Mettre sur pied un Conseil de sécurité européen, indépendant des institutions de l’UE, qui traiterait des affaires étrangères et de la défense, mais qui pourrait élargir son action à d’autres domaines non couverts, ou insuffisamment, par les traités actuels, comme la santé, la culture ou la recherche. Bien entendu, un lien s’établirait entre cette Union politique et l’Union européenne. »
Josep Borrell, vaillant mais peu écouté
D’abord, on notera que la Commission et le Parlement n’en sont pas. Les institutions de l’UE ont été édifiées un peu au petit bonheur la chance des ouvertures politiques en ratant plusieurs fois le coche de l’approfondissement au moment des élargissements successifs. On se retrouve au bout du compte avec un ensemble qui poursuit plusieurs logiques sans jamais les rattraper : un bout de fédéralisme par-ci, un morceau de confédération par-là, une couche d’organisation internationale qui n’accueillerait pas seulement ses membres à part entière mais en associerait d’autres (Suisse, Norvège…) selon les compétences, les terrains de jeu… L’architecte de l’Europe n’existe pas. Ou plutôt, ils sont plusieurs, ont vécu à plusieurs époques, sous l’influence de divers courants. Imaginons une cathédrale commencée au XIe siècle, poursuivit dans le style Bauhaus, retouchée par Le Corbusier et dont l’emballage final aurait été confié à Christo et vous aurez une image assez exacte du monument européen. Pierre Ménat sollicite donc un dernier coup de main : celui du général de Gaulle pour achever l’Europe politique. Il faudrait aussi décider du sort de l’Otan, dont la Turquie est membre, ce qui laisse songeur… Là, l’auteur ne tranche pas.
Il existe bien cependant un « haut représentant pour les Affaires extérieures » au sein de l’UE. Il a même statut de vice-président de la Commission et jouit d’une administration volumineuse. Depuis que l’Espagnol Josep Borrell occupe le poste avec l’instauration de la Commission von der Leyen, le Catalan ne manie pas la langue de bois, mais, pour son plus grand malheur, il ne dispose que d’une épée… de bois. Ses analyses sont fameuses, mais ses moyens d’action inexistants. Appeler à des cessez-le-feu sans être en mesure de faire peser la moindre menace sur les belligérants est un exercice déprimant dont Josep Borrell s’acquitte non sans une certaine abnégation. Quand il ne dit rien, on enrage de l’impuissance de l’Europe. Quand il parle, on se moque de son impuissance à être écouté des puissants.
À quoi va servir la Conférence sur l’avenir de l’Europe ?
Pour faire cesser cette comédie, Pierre Ménat propose donc de passer aux choses sérieuses : quelques États européens – et pas les 27 – sautent le pas d’une vraie politique étrangère commune. Ce Conseil de sécurité serait composé idéalement de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Pologne et… du Royaume-Uni. Londres, en effet, ne serait pas obligé de réadhérer à l’UE puisque ce traité serait indépendant des institutions. Angela Merkel avait formulé l’idée d’un Conseil de sécurité, mais elle le situait au sein de l’UE avec des membres tournants. Tant que la règle de l’unanimité demeurera, l’UE ne sera jamais à l’abri d’une prise d’otage par l’un des siens pour obtenir gain de cause sur un tout autre sujet. Pour passer cet obstacle, un nouveau traité de défense qui ne regrouperait que les États vraiment motivés.
« On objectera qu’il serait vain de créer une structure supplémentaire alors qu’il en existe déjà tant. Mais face aux immenses enjeux de la souveraineté européenne, qui peut prétendre que les structures actuelles sont adaptées ? Il faut donc essayer, le jeu en vaut la chandelle », conclut l’auteur. Le seul dirigeant capable de porter ce projet est par définition français : en l’occurrence, Emmanuel Macron ou la personne qui lui succédera. Macron reprendra-t-il le flambeau tombé à terre du général de Gaulle ? Et qui trouvera-t-il à Berlin, Londres, Rome, Madrid ou Varsovie pour l’aider dans cette entreprise jadis gâchée… La Conférence sur l’avenir de l’Europe qui doit, en principe (sauf reconfinement général), s’ouvrir avant la fin de cette année et s’étaler jusqu’au printemps 2022 est le lieu pour débattre et trancher cette immense question. Osera-t-on, à la fin, en cas de nouveau traité, quel qu’il soit, faire voter les peuples ? Difficile d’imaginer que l’Europe puisse se passer de cette assise populaire pour se projeter avec force dans les grands défis du siècle. Il faudrait accepter que ceux qui n’en voudront pas s’écartent pour laisser passer les autres.
Dix Questions sur l’Europe post-covidienne, Entre défiance et puissance, de Pierre Ménat, L’Harmattan, éditions Pepper