«Le Trésor de l’Entente cordiale» : la plus grande chasse au trésor jamais lancée en France
Un coffret en or estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros est mis en jeu pour les deux gagnants d’une chasse au trésor qui promet de durer plusieurs années, dans l’Hexagone et en Angleterre. Le créateur du jeu est le même que celui qui avait lancé la quête d’une chouette en or, jamais découverte.
« Grâce à ce livre, trouvez un trésor d’une valeur de 750 000 euros. » Le bandeau qui barre la couverture du livre « Le Trésor de l’Entente cordiale » est prometteur. L’ouvrage garantit aussi de sérieux maux de tête aux futurs chercheurs de cette quête qui devrait durer « entre quatre et cinq ans », selon ses créateurs. Le concept : deux livres publiés en France et en Angleterre jeudi 8 avril, date anniversaire de la deuxième Entente cordiale de 1904 entre les deux pays, servant de base à des énigmes cachées dans un « conte onirique », inspiré des relations franco-britanniques et neuf tableaux.
A la clé, deux moitiés de géode à trouver (l’une d’elles enterrée dans chaque pays). Insérées dans une clé, elles permettront de libérer – et de gagner – un coffret en or de très grande valeur, exposé au musée Lingot d’Art de Rochefort, en Charente-Maritime. Antoine est déjà séduit : « Je vais faire les deux versions de la chasse, française en anglaise, salive-t-il déjà. J’ai reçu les livres, ce sont de beaux ouvrages », commente ce père de famille de 40 ans qui fait des chasses au trésor depuis tout petit et compte bien aller au bout de cette nouvelle aventure.
L’introuvable «Chouette d’or»
Le jeu est lancé par Michel Becker, qui a acquis dès 2017 ce coffret offert par le roi d’Angleterre, Edouard VII au président français, Émile Loubet, lors d’une visite à Londres en 1903, un an avant la signature du traité. « Lorsque j’habitais à Monaco, j’ai eu l’occasion de côtoyer des gens archifortunés qui m’ont parlé de cet objet au moment où il était mis en vente, raconte ce peintre et sculpteur. C’est un symbole, un objet complètement disparu, qu’Émile Loubet a dû exposer chez lui en rentrant. Avec le Brexit, il prend encore une autre signification, même si je ne le savais pas à l’époque. Entre les mains, cela m’a fait un drôle d’effet et je me suis dit que ce serait sympa que cet objet sorte de la confidentialité. Le moyen que je connais, c’est celui de la chasse au trésor. »
Car Michel Becker n’est pas un inconnu du milieu, loin de là. Il a lancé en 1993 « Sur la trace de la chouette d’or ». La contremarque en bronze, permettant de mettre la main sur l’objet d’une valeur de 150 000 euros, n’a jamais été retrouvée, après le décès du « maître du jeu ».
Aujourd’hui encore, de nombreux « chouetteurs » continuent de tenter de percer les énigmes, sans savoir si elle est toujours à sa place. Ce que l’artiste du sud de la France assure totalement ignorer et qui a conduit à des conflits jusque devant les tribunaux. « Le jeu peut se terminer, il ne manquera rien, promet ce dernier. J’ai acheté cet objet pour ça, je ne suis pas assez riche pour m’offrir de telles choses. Donc, bien sûr, il y a un business model derrière, sinon je n’ai pas les moyens de le faire. »
Le livre présente un certificat de l’estimation du coffret en or par Jean-Pierre Guilhem, un expert joaillier de Béziers, en 2015. En 2017, lors de la vente aux enchères monégasque, le catalogue le valorisait plutôt entre 250 000 et 350 000 euros, ce qui représente déjà un record pour une chasse européenne. « Il y a eu un gentleman agreement avec le vendeur, je ne l’ai pas payé 750 000 euros, le prix payé est confidentiel, explique Michel Becker. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il avait refusé une offre à 350 000 euros. J’ai estimé honnête de me baser sur l’expertise effectuée par Jean-Pierre Guilhem sur la base de la valeur historique de l’objet. Il est probable que le gagnant ne soit pas le même dans les deux pays, qu’ils ne gardent pas le trophée et le revendent. »
L’enjeu financier réel de la chasse sera donc connu lorsque l’objet sera mis sur le marché. Les organisateurs comptent sur l’exposition médiatique du coffret pour aiguiser l’intérêt des musées et collectionneurs. L’initiateur du jeu a participé lui-même à sa conception, en peignant les tableaux qui recèlent une partie des énigmes et de leurs réponses, mais il s’est entouré d’un sérieux allié, le créateur de jeux belge Vincenzo Bianca, déjà à la tête de deux projets terminés dotés de 30 000 euros (« le Mystère de l’éventail ») et 100 000 euros (« Time Is Gold »), ainsi qu’un autre, toujours en cours, à 210 000 euros (« Guardians Of Legend »).
Caché à 50 cm sous terre
« Je ne me lance pas dans une chasse au trésor s’il n’y a pas deux éléments : la garantie du lot au vainqueur et la pérennité de la chasse, souligne-t-il. J’ai déposé une enveloppe cachetée pour chacun des pays et une clé USB contenant les travaux intermédiaires. » Avec à la clé deux histoires différentes, selon la sensibilité des enquêteurs de chaque pays : « C’est intéressant, parce que cette chasse se déroule là où ont commencé la chasse au trésor anglophone, avec Masquerade (NDLR : un livre) de Kit Williams, en 1979, et la chasse francophone, Sur la trace de la chouette d’or, en 1993. Traditionnellement, les francophones sont plus portés sur la cryptographie, les énigmes avec des codes, alors que les anglophones ont plus une logique interprétative. J’ai plutôt basé chaque chasse sur les habitudes du pays. »
Détail d’importance dans le contexte lié au Covid-19 : il n’est nécessaire de se déplacer à aucun moment avant d’avoir trouvé l’endroit où déterrer l’objet caché à 50 cm sous terre. Les néophytes peuvent s’appuyer sur un conseil du confectionneur belge : « Face à chaque énigme, il faut se demander ce que je cherche et trouver les éléments qui permettent d’y arriver. Par exemple, si je suis face à un cadenas à cinq chiffres, je cherche cinq chiffres… » Pour entrer dans sa tête, on peut aussi consulter les solutions du « Mystère de l’éventail », disponibles gratuitement sur Internet.
Des milliers de chasseurs de trésor
Pour se plonger dans l’histoire de l’Entente cordiale, balayée par l’historien Stephen Clarke dans le livre support, et dans la chasse, il faudra en revanche investir dans l’ouvrage (24,90 euros), dans une carte (17,95 euros) et un carnet de l’aventurier (4,95 euros). Un système d’abonnement à environ 5 euros par mois permettra de poser des questions et de consulter les réponses. Un point qui a suscité l’agacement de certains chasseurs sur les forums spécialisés et renforcé des doutes liés au passé de Michel Becker, même si les organisateurs assurent que tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de la quête sont présents dans le matériel initial.
« Une partie des chercheurs sont sceptiques après toutes les péripéties de la Chouette d’or, alors que d’autres sont emballés, résume Jacques, alias ChAT, qui gère le site de référence chasse-au-tresor.com. Je pense que les sceptiques ont tort, du fait de l’ampleur de la chasse et de la présence de Vincenzo Bianca. Et pourtant, j’en ai vu des chasses farfelues lancées par des hurluberlus ! »
Ce spécialiste, qui avoue qu’il n’aura « pas le temps » de se lancer dans l’aventure, estime à « 50 000 à 100 000 » le nombre de chasseurs de trésor en France « pas tous assidus », et décrit un noyau de « quelques centaines de joueurs, dont les plus motivés courent tous les lièvres et forment souvent des équipes de winners ». Les 3 500 premiers exemplaires du livre auraient déjà été écoulés en précommande, alors que l’initiateur se prend à rêver d’en vendre « jusqu’à 200 000 à 300 000 » tout en ayant « prudemment basé [son] business plan sur 15 000 exemplaires » : « Mon obsession n’est pas de faire fortune, mais de laisser une belle histoire avec ce fichu coffret tombé dans l’oubli. »