LE GRAND ENTRETIEN DE COLETTE PORTELANCE
asophit | Publié le
- Parlez-moi de vous.
Je suis d’abord et avant tout une pédagogue qui a toujours été passionnée par l’animation et l’enseignement. Mon travail auprès des adolescents et des adultes de même que le travail thérapeutique que j’ai fait pour apprendre à vivre avec mes blessures m’ont amenée à m’intéresser sérieusement à la psychologie et à la thérapie. C’est pourquoi, parallèlement à mes études avancées en sciences de l’éducation (maîtrise à l’Université de Montréal et doctorat à l’université de Paris), j’ai suivi de nombreuses formations dans le domaine de la psychologie humaniste. À la suite de ce parcours académique et expérientiel, j’ai créé une approche pédagogique et thérapeutique qui s’enseigne principalement au Canada et dans les pays francophones d’Europe, l’Approche non directive créatrice (ANDC). Aujourd’hui, le Centre de relation d’aide de Montréal (CRAM) et l’École internationale de formation à l’ANDC à Paris (EIF) reçoivent conjointement près de 400 étudiants par année et comptent plus de 60 formateurs. Je suis également l’auteur de 16 ouvrages dont : Relation d’aide et amour de soi, La communication authentique, Éduquer pour rendre heureux et Au cœur de l’intelligence.
- À la page 16, vous écrivez : « Malgré leurs résultats plus ou moins médiocres aux examens et aux tests de QI, je restais profondément convaincue que leurs piètres performances scolaires ne reflétaient en rien leur véritable niveau d’intelligence. » Voulez-vous dire que la médiocrité intellectuelle n’existe pas ?
Le mot « médiocrité » est souvent employé péjorativement pour désigner une personne inférieure aux autres, peu douée, une personne de peu de valeur. Mais nous sommes tous « médiocres » dans certains domaines et remarquables dans d’autres. Une personne peut avoir des aptitudes intellectuelles extraordinaires et avoir une intelligence pratique très limitée ou encore être très inconfortable quand il s’agit d’exprimer ses émotions en relation. Dit-on de cette personne qu’elle est « médiocre » ? Il y a, en effet, des personnes moins performantes que d’autres intellectuellement. Elles n’en sont pas moins intelligentes pour autant. Ces personnes ont développé d’autres types d’intelligence que l’intelligence rationnelle et ce qu’elles apportent à leur entourage et la société a autant d’importance et de valeur que ce que peuvent apporter les intellectuels.
- Connaissez-vous une auteure de Guilaine, Anne-Cécile Hartemann, qui elle aussi a étudié au CRAM ?
Je précise d’abord que je n’ai pas étudié au CRAM (Centre de Relation d’Aide de Montréal). J’ai créé le CRAM et j’ai créé aussi l’approche non directive créatrice (ANDC) qu’on y enseigne ainsi que la formation à cette approche. J’ai formé des personnes comme Anne-Cécile Hartemann qui, effectivement, a complété sa formation de thérapeute non directive créatrice au CRAM et qui est aujourd’hui thérapeute et formatrice de thérapeute à cette école. Anne-Cécile est une personne très compétente que je recommande fortement à tous ceux qui recherchent un bon thérapeute. Je la connais aussi comme auteure. Son livre « Métamorphose » est un outil exceptionnel de connaissance et d’amour de soi.
- L’intelligence c’est aussi d’admettre ses faiblesses et de reconnaître la force des autres. Pensez-vous que les « grands hommes » (Napoléon, Churchill…) avaient cette capacité ?
La capacité relationnelle est l’une des plus importantes manifestations de l’intelligence humaine. Un bon leader est une personne capable d’être en relation avec les autres, de reconnaître ses propres forces et ses propres faiblesses pour être en mesure de reconnaître les forces de chacune des personnes de l’équipe qui l’entoure et d’encourager chaque personne à exploiter son potentiel. Cela dit, le danger qui guette tous les dirigeants du monde, dans quelque domaine qu’ils soient, c’est l’attrait du pouvoir et de la domination. Lorsqu’un leader tombe dans ce piège, il ne propulse pas les autres. Il les utilise. Tous les « grands hommes » et toutes les « grandes femmes » ont des limites parce qu’ils et qu’elles sont avant tout, comme vous et moi, des êtres humains. L’important, c’est qu’ils en soient conscients.
- À la page 41, vous écrivez : « Ces personnes tout comme Einstein, Churchill et Edison, ont réussi parce qu’elles étaient motivées ». Pour résumer, c’est la passion qui fait la réussite, mais qu’en est-il des gens qui ont des intérêts, mais pas de passion particulière, sont-ils voués à l’échec ou à une réussite moyenne ?
Einstein, Churchill et Edison n’aimaient pas l’école parce qu’ils manquaient d’intérêt pour ce qu’ils recevaient comme enseignement, ce qui ne les motivait pas à s’impliquer dans leur processus d’apprentissage. L’intérêt crée la passion à condition qu’on fasse des choix qui vont dans le sens de ce qui nous motive, et qu’on s’investisse.
Peut-on réussir sans intérêt ? Pour répondre à cette question, il faut savoir ce qu’on entend par réussite. Est-ce que réussir c’est gagner beaucoup d’argent ? Avoir un statut social enviable ? Être connu, reconnu et applaudi ? Être meilleur que les autres ? Est-ce que la réussite se mesure par ces seuls critères extérieurs ? Il n’y a rien de mal à être riche et à être connu et reconnu à condition de faire ce qu’on aime.
Une jeune Québécoise dont le talent de chanteuse a été découvert quand elle était adolescente avait devant elle une carrière assurée. Elle remplissait les salles lorsqu’elle donnait des concerts. Puis, du jour au lendemain, elle a abandonné la scène parce qu’elle n’y était pas heureuse. Elle n’était pas faite pour ce métier malgré son talent. Elle a suivi sa passion : la cuisine. Aujourd’hui, elle est l’auteure de trois livres de recettes qui se sont vendus à des milliers d’exemplaires au Québec. Son nom ? Marilou.
Attention! Faire ce qu’on aime et suivre ses intérêts n’est pas toujours facile. Cela demande du temps et de l’investissement constant. Mais pourquoi s’engager sur un chemin qui ne nourrit pas notre énergie vitale plutôt que sur un chemin qui nous permet de nous épanouir, de nous réaliser tout en apportant quelque chose aux autres ? Quoi que nous pensions, nous avons toujours le choix.
- À propos du cerveau du ventre, pensez-vous que cela puisse expliquer les troubles alimentaires compulsifs et les maladies telles que l’anorexie ?
Le cerveau du ventre est le cerveau des émotions. Celui du cœur concerne les sentiments comme l’amour, la gratitude, la compassion. Je ne suis pas une spécialiste des troubles alimentaires, mais nous savons maintenant que tout est interrelié en l’être humain. L’émotion n’est pas un phénomène isolé. La maladie, qu’elle soit physique ou mentale, ne l’est pas non plus. Il est évident qu’on ne peut pas dissocier le physiologique du psychologique. Cependant, avec l’importance accordée à l’influence de l’émotion sur le corps ces dernières années, il y a un danger qu’on la mette seule responsable de tous nos troubles et qu’on oublie les causes physiques et comportementales, les choix de vie et les relations toxiques comme facteurs importants de dérèglement ou de déséquilibre.
- À la page 158 vous dites : « Mais pour satisfaire ces besoins fondamentaux et libérer le génie en nous, une condition est absolument indispensable : l’effort ». Ma question : pourquoi est-ce toujours aussi dur de se faire du bien ?
Le plus dur c’est de trouver un équilibre entre « se faire du bien » maintenant et faire un effort pour notre plus grand bien futur. En voici un exemple. Si vous rêvez d’un chalet à la campagne au bord d’un lac pour vous détendre dans la nature, pour vous soustraire au stress de la ville et de la vie quotidienne et que vous dépensez tous vos revenus pour satisfaire les seuls plaisirs de l’ici et maintenant, vous ne réaliserez pas votre rêve. Pour économiser, vous devez faire l’effort de structurer votre budget dès aujourd’hui. Tous vos rêves vous demandent de fournir des efforts maintenant pour pouvoir les réaliser plus tard. Vous pouvez rêver toute votre vie de devenir danseur, mais si vous ne faites pas l’effort de poursuivre maintenant la formation nécessaire pour atteindre votre objectif, nous ne le serez jamais. C’est la même chose pour le travail personnel et relationnel.
Cependant, nous ne pouvons consacrer toute notre vie à préparer notre avenir. Nous avons aussi besoin de nous faire plaisir dans le présent. Encore là, c’est une question de choix et d’équilibre.
- Pensez-vous que les tests de QI soient complètement inintéressants ?
Je suis très mal à l’aise avec les tests qui mesurent l’intelligence émotionnelle, l’intelligence rationnelle ou toute autre forme d’intelligence et qui classent les gens qui les passent en fonction de leurs résultats. Certains croient toute leur vie qu’ils ne sont pas intelligents à cause de ces tests. D’autres se croient à tort supérieurs aux autres. L’expérience a démontré qu’avoir un QI très élevé n’est pas nécessairement un facteur de réussite personnelle, relationnelle ou professionnelle ni que ceux qui obtiennent les meilleurs résultats à ces tests sont plus heureux que les autres dans leur vie.
Je préconise plutôt un questionnaire qui permettrait aux éducateurs de connaître les intérêts des éduqués, leurs objectifs et les moyens qu’ils souhaiteraient mettre en place pour les satisfaire et les atteindre.
- Que pensez-vous des HPI, est-ce un nouveau phénomène de mode (comme on a beaucoup entendu parler d’enfants hyperactifs pendant une époque) ?
Le haut potentiel intellectuel est une caractéristique des personnes dont le quotient intellectuel se situe entre 130 et 160. Ce que je déplore du HPI, c’est qu’il se mesure par un test qui valorise particulièrement l’intelligence rationnelle. Et que fait-on des personnes qui ont un HPP, c’est-à-dire un haut potentiel pragmatique. Ces personnes, qui ont une intelligence pratique développée ne sont-elles pas indispensables pour améliorer notre qualité de vie ? Et que dire des HPS, de tous les êtres doués d’une intelligence sensitive et intuitive qui leur permettent de saisir de l’intérieur les subtilités de l’âme humaine et de créer des objets d’art qui nourrissent tout notre être. Ce que vous appelez un possible phénomène de mode a pour effet, au même titre qu’un grand nombre de milieux éducatifs, de survaloriser l’intelligence de la tête et de sous-estimer celle du cœur.
- Si l’intelligence est innée et acquise, qu’en serait-il d’un enfant analphabète, sans contact social ?
Personne n’a pu démontrer jusqu’à présent le pourcentage d’intelligence innée et le pourcentage de l’intelligence acquise chez un être humain. Une chose est certaine toutefois c’est que nous avons tous des potentiels illimités. Cependant, pour que ces potentiels se manifestent, il est impératif de les développer. C’est précisément le rôle de l’éducateur que de favoriser le développement de tous les potentiels par des stimuli intellectuels, relationnels, émotionnels, pratiques, créatifs. Un enfant qui n’est pas stimulé n’exploitera jamais ses potentiels. C’est d’ailleurs le cas de tous les êtres humains, quel que soit leur âge.
- Est-ce qu’à force d’apprentissage, l’intelligence acquise prend le dessus, voire remplace l’intelligence innée ?
L’intelligence acquise ne remplace pas l’intelligence innée. Elle l’exploite. Elle la nourrit. Elle la fait croître. Elle favorise son épanouissement. Quels que soient vos potentiels, si vous ne les faites pas fleurir, ils se faneront. On a tous la responsabilité d’activer notre potentiel d’intelligence pour nous réaliser et accomplir la mission pour laquelle nous sommes nés.
- Question bête, les idiots existent-ils ?
Pour répondre à cette question, je donne la parole à Einstein : « Tout le monde est un génie, mais si vous jugez un poisson à sa capacité de grimper à un arbre, il croira toute sa vie qu’il est stupide. »