Rouillac : Didier Guillot, la marche, le goût des mots et les souvenirs d’enfance
Le Rouillacais Didier Guillot vient de sortir son premier livre « J’ai appris à rêver ». Un récit personnel et sensible qui ressuscite son frère le temps d’une marche sur les pas de Stevenson.
Par Céline Aucher (Charente Libre du 11 mars 2022)
Didier Guillot le dit en rigolant « Je suis sans doute le seul juriste ajusteur monteur de France ! ». L’ancien ouvrier de la DCN à Ruelle, devenu juriste à Rouillac, pourrait ajouter écrivain, lui qui vient de sortir son premier livre, J’ai appris à rêver (Sur les pas de Stevenson), aux Editions La Trace, objet d’une rencontre dédicace ce mardi 15 mars à la médiathèque de Rouillac. Le récit d’un « marcheur rouillé » à la recherche « du grand spectacle dans les plus brefs délais » qui s’engage sur le chemin de Stevenson, ce sentier de grande randonnée des Cévennes popularisé par l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson au XIXème siècle, que Didier Guillot a parcouru il y a une dizaine d’années.
Sans pathos
Le temps d’une marche de 180 km, seul, sac à dos, à respirer l’odeur de menthe sauvage, de fleurs de sureau en écoutant le bruit des alouettes. Une randonnée littéraire et musicale qui convoque Bashung, Bertrand Belin, Thoreau ou Pablo Neruda, pleine d’émotion et de sensibilité. Un prétexte à faire revivre son frère aîné, disparu trop tôt à 23 ans. La marche qui soulève « l’épaisse couche de poussière que le souvenir de son frère « pisteur pawnee », qui lui a « appris à rêver et sentir le parfum de la rivière » avant de mettre brutalement fin à ses jours.
« C’était le jour de mes 13 ans » se rappelle Didier Guillot. Pas la peine de guetter le pathos : il n’y en a pas dans le récit de ce fils d’ouvrier des usines Chaignaud à La Rochefoucauld. Pas le genre du bonhomme qui cultive la pudeur au point de se cacher derrière son bouquin au moment d’être photographié !
Peut-être parce que dans le monde d’où il vient, on est habitué à « serrer les dents et supporter les charges ». Celles que son frère, impulsif et rétif à l’autorité envoyait souvent balader à grands coups de poings, enchaînant les contrats sans lendemain. Un portrait en creux, par petites touches qui apparaissent ici et là entre le foisonnement de la nature et les rencontres du chemin.
La marche apporte son lot de douleurs et d’émerveillements, mais aussi des souvenirs d’enfance. Où l’eau de la fontaine rappelle « le goût de bois et de vase des eaux de la rivière frôlant les jardins ouvriers » du village de Marillac-Le-Franc, à côté de La Rochefoucauld, d’où est originaire Didier Guillot. La Tardoire où il allait pêcher avec son frère aîné si attentif et attentionné avec lui qu’il pouvait être violent avec d’autres. « On le qualifierait peut-être de bipolaire aujourd’hui », glisse l’écrivain, frappé par l’ambition littéraire au moment de prendre le TER pour le Puy en Velay. « J’avais emporté un carnet sans idée précise en tête, armé de mes figures tutélaires comme Brassens ».
Ce livre, il l’a longuement mûri. « Il était trois fois plus gros au début, je l’ai ramené à l’os », raconte Didier Guillot, titulaire d’un DEA de droit rural de la fac de Poitiers. Le premier de sa famille à faire des études. Sur le tard, tout en travaillant comme ajusteur monteur. « Je voulais me prouver à moi-même que je pouvais étudier le droit : avec la fac de La Couronne pas loin, c’est le plus simple pour moi », poursuit celui qui a passé l’équivalence du bac à 23 ans et quitté son statut d’ouvrier à 30 ans. « A l’école, je n’étais pas forcément studieux, mais je lisais énormément, des auteurs comme Henry de Monfreid, Jules Verne, Balzac… » Une invitation au voyage peut-être aussi hypnotique que la marche. « Celle qui permet de dérégler la pendule ». « La marche libère l’esprit et permet de repenser aux textes et visages qu’on n’a pas vus depuis longtemps ».