Charlotte Rotman a bien lu Sophie Marinopoulos (Libération du 15.06.09)

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Cette analyste, psychologue auprès de mères qui refusent leur maternité, est citée aujourd’hui par la défense au procès Courjault.

 

« Je ne savais pas qu’on pouvait attendre un enfant sans le savoir. »

 Elle en a vu beaucoup échouer aux services des urgences pour «des douleurs au ventre»,ou«un kyste à l’ovaire», des femmes qui étaient sur le point d’accoucher, alors qu’elles ne se savaient pas enceintes. Dans ces cas-là, elle ne leur balance pas : «Vous allez avoir un bébé.». «Sinon elles explosent.» Elle choisit ses mots, les accompagne: «Il y a une grossesse.» Sophie Marinopoulos est psychanalyste, elle a travaillé comme psychologue pendant plus de vingt ans à la maternité du CHU de Nantes, auprès des mères «vulnérables », ou «défaillantes». Elle sera aujourd’hui à la barre, au procès d’assises de Véronique Courjault, accusée d’assassinat sur trois de ses bébés, entendue comme spécialiste à la demande de la défense. On la rencontre dans un café parisien, un après-midi. On aurait tout aussi bien pu la voir dans son hangar industriel réaménagé en nid familial, à Nantes, son port d’amarrage. Elle boit tranquillement un jus de citron. «On nous fait croire qu’avoir un enfant, c’est être parent», pose-t-elle. Toute sa pratique lui prouve que cela ne suffit pas. «Ces femmes m’ont troublée, je ne m’attendais pas à ça. Je ne savais pas qu’on pouvait attendre un enfant sans le savoir. J’ai vu des femmes aller jusqu’à maltraiter leur enfant, l’abandonner oule tuer et, en même temps, me renvoyer des images sociales proches de moi.» Ces femmes incertaines, chaotiques, mères en gestation, ne sont pas «des pauvres, des mineures, des alcooliques. Ça fait peur, confie-t-elle. Elles nous ressemblent».

Sophie Marinopoulos a «aimé les rencontrer dans leur intimité».Et leur ambivalence: «L’une me disait: “Je suis contre l’IVG, mais pour moi c’est pas pareil.”» Une autre abandonne son bébé à la naissance avant de devenir une mère adoptive, une troisième lui dit: «“Je ne peux pas être enceinte” tout en tendant ses échographies»…  Elle les écoute sans les juger. «On a tous en nous une forme de non-sens», glisse-t-elle. Elle a une tendresse, peut-être inhabituelle chez un psy,pour ces femmes fragiles, «en souffrance», elle qui, le verbe solide et le regard rieur, ne semble pas vaciller. Dans les moments les plus durs, elle peut devenir «maternante». «On peut s’identifier à elles dans ces moments où elles sont comme des étrangères à elles-mêmes.»  Elle en a fait plusieurs livres, dont un récit imaginaire, monologue haletant d’une mère meurtrière, entre les murs de sa prison. Elle l’a écrit à la première personne. Avec l’affaire Courjault, elle a pourtant l’impression que ces femmes sont «lynchées», à la merci de la «colère collective». «La société ne veut pas voir ça», affirme-t-elle. De même que les femmes font parfois un déni de grossesse (environ 2000 par an en France), la société fait «un déni du déni». Ces histoires viennent rappeler qu’on ne peut pas tout maîtriser, que la souffrance fait partie de la vie. D’autant plus difficile à admettre qu’elles ne collent pas à l’époque de la maternité bénie et triomphante. «Onest envahi d’images idéales de la maternité. Dès qu’on vous met un bébé dans les bras, il faut avoir le sourire accroché aux lèvres, le bonheur est obligatoire. Et on fait des cocoricos du matin au soir avec les chiffres de la natalité. Aujourd’hui “la femme”, c’est celle qui fait de beaux enfants.»

Sophie Marinopoulos en a quatre. Cocorico ? Elle a eu son premier enfant à 21 ans, avec son amoureux du lycée, devenu son mari «après la terminale». «J’étais fière d’avoir un enfant jeune, et très épanouie.» Elle s’agace d’entendre les couples trentenaires dire: «On ne peut pas sortir à cause des enfants.» Elle réplique : «J’adore sortir. Jamais les enfants ne m’en ont empêchée. C’est un équilibre de vie.» Dans un de ses livres, elle décrit une scène de la vie quotidienne, un couple au restaurant, un bébé victorieux de 18mois, installé entre eux sur une chaise haute qui grignote un quignon de pain et ses parents heureux de «se sentir repus en le voyant». Pourtant, elle-même ne raconte rien d’autre de sa vie que la mélodie du bonheur. «Ce n’est pas cui-cui les petits oiseaux, se défend-elle, ni bêtifiant, mais je ne peux pas témoigner d’autre chose.». On l’imagine ballottée : le jour, auprès de ces femmes chancelantes, mères cassées, le soir, avec ses enfants désirés et adorés. «Je réalise que j’ai de la chance de ne pas être traversée par les mêmes séismes. De ne pas avoir basculé. On peut tous basculer.»  En 1992, toute la famille est partie pour un tour du monde des cinq continents. L’aîné avait 12 ans, la cadette, 8, et les deux derniers, des jumeaux issus d’une nouvelle union, 20 mois. «J’avais envie de faire la connaissance de mes enfants. De ne pas passer ma vie à les déposer à la crèche et à l’école.» Ils ont vécu en Nouvelle-Zélande, à Bali, au Costa Rica, en Nouvelle-Calédonie et ont fini par vivre «comme des pauvres aux Etats-Unis». En Polynésie, une femme lui a demandé si elle pouvait lui donner un de ses enfants. «Le don d’enfant est une pratique courante là-bas.On y est géniteur par nature, et parent par volonté. Ici, on est profondément attaché au lien biologique.» Quand elle est auditionnée, à l’Assemblée nationale ou à l’Académie de médecine dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, elle pense à la Polynésie… Et aux autres façons d’être parent.

Cela ne la rend pas forcément très tolérante. Elle est sévère avec les mères sur le tard, «à 40 -45 ans, c’est difficile d’avoir un bébé, surtout par rapport à des rythmes d’adulte». Elle s’interroge sur «ces familles recomposées qui veulent à tout prix refaire famille en faisant un enfant, comme s’ils étaient incapables de penser un enfant hors des liens biologiques». Elle a du mal avec les «militants du désir». Respecte les demandes des couples homosexuels seulement si elle n’y décèle pas de «fantasme de l’auto-engendrement». Elle défend avec passion Freud et Dolto, qu’elle estime injustement attaqués. Mais elle se garde de trop théoriser et de dire le Bien ou le Mal du haut de son divan. Pour elle, un psy, c’est «un praticien, quelqu’un qui récolte des histoires de vie». Elle a monté un lieu d’accueil anonyme et sans rendez-vous, «Les pâtes au beurre»,où elle voit défiler des divorcés, des pères en pointillé, des mères seules, des parents qui ne comprennent pas leur enfant, qui sont malmenés, sans repères, mais jamais démissionnaires. Elle-même n’a pas connu de désordres familiaux. Son père, d’origine grecque, a vécu en Tunisie et a débarqué en France, tout jeune, comme appelé, pendant la guerre. Il n’avait jamais vu la France, s’est installé comme psychiatre et s’y est marié, avec une femme protestante très cultivée. Il n’a pas parlé grec avec ses enfants, Sophie et son frère, devenu pilote de ligne. Mais il a transmis à sa fille un nom et un physique de Méditerranéenne. Elle se dit «féministe» dans la lignée d’Antoinette Fouque, respectueuse voire accoucheuse de la différence des sexes. Elle sait appartenir à une «génération bénie», qui a eu une vie affective et sexuelle avec la pilule, et avant les ravages du sida. Quand elle aime un livre, elle le fait circuler. Elle a passé à ses enfants (aujourd’hui acteur, étudiants ou danseuse) la Nouvelle Petite Philosophie d’Albert Jacquard oule Liseur de Bernard Schlink. Et aimé le Premier jour du reste de ta vie, un film de Zabou Breitman. L’histoire ordinaire d’une famille.

CHARLOTTE ROTMAN

Photo BRUNO CHAROY

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Sophie Marinopoulos en 8 dates

4 février 1958 : Naissance à Paris.

1980 : Naissance de son premier enfant. Trois autres suivront.

1985 : Premier poste en maternité.

1992 : Tour du monde.

1996 : Premier livre : le Corps bavard (Fayard).

1999 : Ouverture du service de prévention «Les pâtes au beurre», à Nantes.

2008 : Auditionnée au procès Courjault, aux assises à Tours.

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