François Cardinali offre une très belle critique du « Testament du Tsar »
C’est dans le chaos mondial du siècle dernier, entre 1917 et 1945, que nous convie Youri Fedotoff dans Le Testament du Tsar où, sur le prétexte du vol d’une fortune en diamant, il a imaginé un roman épique dans lequel, fidèle à la tradition du roman russe, il fait se croiser une foule de personnages.
Le Testament du Tsar(*) commence dans les bouleversements de la Révolution de 1917. À la veille de son abdication, le Tsar confie secrètement à son filleul Michel Trepchine la régence et une fortune en diamants d’une valeur inestimable. Cet héritier va s’employer à reconquérir la Russie tombée sous le pouvoir bolchévique. Dans une Europe déchirée par l’iniquité des traités de paix qui ont mis fin à la Première Guerre mondiale et précipitent le monde dans la suivante, les nouveaux maîtres du Kremlin éliminent leurs opposants tout en tentant de récupérer le précieux héritage…
Il serait injuste de résumer l’intrigue du roman de Youri Fedotoff a cette histoire de trésor perdu, tant l’auteur sait multiplier les pistes, promenant son lecteur de continent en continent, en faisant vivre de très nombreux personnages qui se croisent, s’aiment, se trahissent… On sent que l’auteur, né à Paris en 1959, descendant d’un russe blanc, Dimitri, et d’une comtesse hongroise, Borbala Nadasdy, a mis beaucoup de souvenirs familiaux dans cette fiction bien documentée.
Tour à tour saga romantique et tragédie historique, ce roman nous fait passer des coulisses du pouvoir soviétique avec la prise du pouvoir par Staline à celles du pouvoir d’Hitler, dont la folie grandissante fait basculer le monde dans le conflit sanglant que l’on sait. Son personnage principal, Michel Trepchine est un aventurier aristocrate que les circonstances poussent à parcourir le monde en risquant bien souvent sa vie. Un homme qui semble avoir neuf vies comme les chats et qui parvient à changer d’identité comme de chemise, ce qui lui permet de surmonter bien des périls et des trahisons. De mourir pour mieux renaître sous une autre identité. Ce qui donne quelques pages saisissantes quand Trepchine, excellent pilote, utilise la voie des airs pour se faire la belle. Ou qu’il parvient à échapper à l’exécution des SS, paradoxalement sauvé par une agent des services secrets soviétiques. Vivant deux grands amours, Michel Trepchine voit ses enfants basculer dans les guerres qui vont embraser le monde et qui, dans les passes les plus difficiles, vont tout mettre en œuvre pour le sauver.Au centre de l’intrigue, il y a cette Russie qui bascule d’un monde à l’autre faisant vivre de terribles souffrances à son peuple. La princesse Tin, avec laquelle Trepchine connaît une passion foudroyante, déclare, pas vraiment adepte, on s’en doute, des révolutionnaires : « La Russie ne peut exister sans une puissante aristocratie. Sans cette puissance, la myriade des peuples qui la compose se disloquera comme son territoire. Le problème fondamental de la Russie, c’est d’être installée à cheval entre l’Europe et l’Asie. Elle ne sait ni ne peut choisir entre saint Paul et Confucius. Et puis… elle est si jeune ! Songez que cela ne fait que quatre cent ans qu’elle s’est débarrassée des Mongols. La Chine unifiée a plus de deux mille deux cents ans… Même mon « petit » Siam a plus de sept siècles. »
Roman d’aventure doublé d’une belle histoire d’amitié entre deux anciens aristocrates dont l’un soutient les troupes blanches et l’autre, Sacha Boulganov, devient compagnon de route de Trostki, Le Testament du Tsar fait ainsi se télescoper l’Histoire et les petits histoires individuelles et permet à l’auteur de croquer quelques portraits saisissants de figures du conflit de 39-45, de l’amiral Wilhelm Canaris, responsable de l’ Abwehr , le service de renseignements de l’armée allemande, durant la Seconde Guerre mondiale, au général américain George Patton, aussi célèbre pour ses coups de colère que pour son sens tactique.
Si, finalement, le dénouement compte peu dans ce récit épique, il a le mérite de tenir le lecteur en haleine de bout en bout tant l’auteur sait user d’habiles rebondissements. Et a un sens certain de la description juste des lieux et des êtres.
(*) Editions Y & O