Éléments n°147 avril-juin 2013
Cartouches – Carnet de lectures de Michel Marmin, p.14
Albert Cossery
C’est grâce à Jean Bourdier que j’ai découvert Albert Cossery (1913-2008), et au bel article que lui avait inspiré La violence et la dérision (1964), dans Minute. Écrivain égyptien de langue française, Cossery a apporté dans ses romans une réponse cinglante et souvent hilarante aux idéologies de la puissance et de l’avoir, célébré les vertus du farniente et de la pauvreté, et enrichi le patrimoine littéraire français d’une tonalité « orientale » qui ne se laisse d’ailleurs pas aisément définir ; cette tonalité tient peut-être à la cadence de la phrase et à l’économie des mots, à une certaine qualité de l’air qui y circule, à la chaleur particulière qui y règne. Les fainéants dans la vallée fertile (1948), Mendiants et orgueilleux (1951), La violence et la dérision ou Une ambition dans le désert (1984) sont les oeuvres d’un aristocrate stendhalien qu’anime un scepticisme universel, dont il préserve toutefois les femmes. Son ironie laisse en miettes toutes les illusions de la modernité.


Frédéric Andrau, Monsieur Albert. Cossery, une vie, Éditions de Corlevour, 280 p., 19,90 €
À la fin de son livre, Frédéric Andrau remercie Gabriel Matzneff « pour tout ce qu’il m’a dit ». J’ignore ce qu’il lui a dit, mais entre Matzneff et l’écrivain égyptien, il y avait à l’évidence bien des affinités, Séraphin, c’est la fin ! en fournit la preuve éclatante. Matzneff y a réuni une soixantaine de textes (articles, chroniques, conférences) courant de 1964 à 2012, et ceux-ci imposent l’évidence d’une remarquable continuité. Continuité éblouissante de la langue d’abord, dont la beauté et la vivacité résident dans le fait, peut-être unique dans l’histoire de la littérature française, qu’elle est à la fois la langue et la mémoire de la langue, ce qui fait que l’on aurait pu quasiment lire Matzneff en 1713 aussi bien qu’en 2213 (si le français n’est pas devenu une langue non seulement morte, mais encore enterrée !).

Gabriel Matzneff, Séraphin, c’est la fin !, La Table Ronde, 250 p., 18 €