Antoinette Fouque par Jocelyne Sauvard (sitarmag)

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* Ne pas oublier la plus belle interview du monde d’Antoinette Fouque (comme sur la beauté de l’article, que les talentueuses précédentes plumes n’en prennent pas ombrage, c’est de la com !), aussi par Jocelyne Sauvard, et encore disponible à l’écoute à cette adresse :
* http://www.jocelynesauvard.fr/pages/radio.html

ANTOINETTE FOUQUE
Portrait et entretien

Gravidanza
Editions des femmes, 2007
Il y a deux sexes
Gallimard, Le débat

Livres CD et DVD : Bibliothèque des Voix, Bibliothèque du Regard, Editions des femmes

Au jardin

Psychanalyste, philosophe, cofondatrice du MLF, éditrice, depuis quatre décennies, Antoinette Fouque enrichit la psychanalyse et la philosophie, les sciences humaines et les sciences politiques, de ses avancées théoriques sur la différence des sexes. Elle décrypte le monde et l’ouvre à la création féminine. Elle fraye de nouvelles voies pour le 21ème siècle. Et sa pensée, dit Alain Touraine, est au cœur de la mutation civilisationnelle en cours. Pour nous, elle est aussi, et peut-être même tout d’abord, écrivain.
Portrait d’une femme livre au jardin.

Intellectuelle, celle qui riche de savoirs, de connaissances, d’expériences, parle, analyse, débat et qui, par sa pensée, son action, rend conscient, fait évoluer le monde des femmes et de la création, Antoinette Fouque, femme politique et femme d’honneur, femme de lettres et femme de plumes, dont la voix a sa musique qui peut s’inscrire sur une partition, possède un style qu’on reconnaît d’emblée par sa ligne poétique, caractéristique du grand écrivain. Longtemps en réserve, cette passion de l’écriture la fait vibrer depuis la petite enfance. De prime abord, elle lui est venue par les contes, les récits qu’on lui donnait à entendre à la maison, et très vite par la lecture. Puis les mots peuplant le jardin secret, ceux qu’on griffonne et dont on ne parle pas, ceux qui résistent à la publication, deviennent au fil du temps, et des études, pratique régulière, autant qu’objets de recherche. Mais l’écriture qu’elle aime est loin du narcissisme ; c’est « une écriture qui ne refoule ni n’exploite l’oralité première », une écriture qui, s’en prenant à « l’empire du signe sur le corps », s’« articule à la chair, à la pensée génésique », une écriture non « matricide » mais « matricielle », où se symbolise la « libido creandi » des femmes. Une écriture qui ne se limite pas à l’écrit puisque c’est l’histoire aussi qu’il s’agit pour elle d’écrire. Ce n’est plus alors uniquement pour son propre compte, mais également pour celui de ses consoeurs, qu’Antoinette explore ce territoire mystérieux et privé, saturé de couleurs, le jardin où vit le verbe.

JARDIN du SUD

Très vite ce jardin n’habitera plus seulement une métaphore, mais une réalité de terre, de parfums et d’eau. Quand elle n’est pas à Paris, au cœur battant de sa maison d’édition, ou sur les routes, y compris aériennes, pour mener combats et colloques, Antoinette vit au jardin. Palmes, cistes et grappes mauves plantés sur les rocs de l’Esterel s’ouvrent sur le bleu de la mer, et elle partage son temps entre les livres et cette autre bibliothèque. Celle des feuilles, des écorces, des pétales et des essences. Son cabinet de pins, de lauriers roses, d’oliviers, de lavandes vous transporte immédiatement dans un jardin de Provence, ou de la Riviera, en Balagne, ou à Syracuse, au jardin des Hespérides ou au jardin d’Epicure. Mais l’Arbre à plumes qui ombrage la pelouse, l’Orgueil de Chine, et l’eau, élément essentiel, vous font pencher un instant pour le Yuan ming yuan, puis pour les jardins de la Résidence de Calcutta, à cause des toits rouges qu’on aperçoit. Le bambou qui s’élève au fond évoque Long Hai, le caoutchouc, Angkor, l’ophys tyrrhena vous emmène à Nara, la serre chez George Sand, et juste au moment où, interpellée par un grand poirier blanc, par les arbustes, dieux étrangers, vous cherchez la petite pièce sentant l’iris, et que parfumait aussi un cassis sauvage*, voilà qu’un cep de vigne vous rappelle que vous êtes tout près des coteaux varois. Et que c’est là qu’Antoinette Fouque écoute le ressac, le mistral et le cheminement des pensées qui vont faire des livres. Le dernier, est-ce un hasard, a pour titre Gravidanza, peut-être, parce qu’au bout de l’allée, chapeautée par un petit temple d’amour, chuchote une source ? « Les femmes venaient ici il y a longtemps y tremper la main ou boire cette eau, symbole de fertilité. » Antoinette accompagne la remarque d’un sourire. « Gravidanza », lui rappelle cette phrase de Simone Weil : « Toutes nos lois sont régies par la pesanteur, sauf la grâce ». « Il y a dans ce titre « gravide » et  » danza « , la pesanteur et la grâce, le poids de porter l’enfant et la grâce d’être légère, la légèreté de l’ espérance de l’enfant à venir », ajoute-t-elle.

JARDIN INTERIEUR

« Il fallait donc qu’il y ait une terre, un jardin premier, pour qu’en effet, ne fût-ce qu’une femme écrivain puisse savoir qu’elle avait un lieu où écrire », souligne Antoinette Fouque dans ce deuxième essai de féminologie qui rassemble une trentaine de communications, entretiens, textes et articles. Ceux-là même qui fondent, au cours des quatre dernières décennies, ce qu’Alain Touraine définit, dans la préface, comme son « postféminisme ».
Et cette terre sauvage, souterraine, celle où naît l’écriture — interdite aux femmes longtemps, très longtemps — et sur laquelle elle travaille depuis des années, elle s’emploie à la faire émerger à la conscience et à la rendre accessible à un lectorat toujours plus important.
Défendue aux femmes, tant en Occident qu’en Orient, l’écriture (et par là le savoir, la réflexion et l’exhumation de la pensée) n’a pu, pendant des millénaires, être mise au jour par elles ou très peu ; ou de manière clandestine. Elle a pu aussi rester ignorée. Il en va différemment aujourd’hui, certes, mais « la misogynie perdure ». C’est ce que pointe Antoinette dans le texte de 1974, toujours d’actualité, semble-t-il, au moment de la publication du livre, trente-trois ans plus tard : « Une femme porteuse d’une écriture créatrice, neuve, n’est pas la mieux accueillie parmi les écrivains. » Mais alors, dans les sociétés autres que littéraires, qu’en est-il ? Certaines ont renoncé, d’autres se sont battues, se battent encore ou subissent l’interdit, et Antoinette d’ajouter de vive voix depuis son éden : « Le jardin c’est la part du paradis et la part des femmes. C’est le lieu du non lieu, le lieu que nous inventons, quand nous n’avons pas droit au monde, à la parole ou à l’écriture. A cette heure, 80% des analphabètes sont des femmes, parce qu’on ne les autorise pas à apprendre à écrire – pour des raisons culturelles et cultuelles – et parce qu’elles travaillent sans arrêt. »
L’analphabétisme, Antoinette Fouque l’a non seulement cerné ici, là-bas, dénoncé sans relâche, mais aussi ressenti au sein de la cellule familiale : ses parents nés aux tout début du siècle – 1899, pour sa mère –, en Calabre et en Corse, n’avaient pas fréquenté l’école, ou si peu, qu’ils étaient restés dans les « couches illettrées de la population ». Mais des lettres, au sens de la culture littéraire, ils en avaient, et d’impérissables, qui se transmettaient par la parole.

JARDIN MARITIME

Toute une tradition orale passait par la branche familiale : « Mes parents appartenaient à la tradition méditerranéenne, la grande Grèce, pourrait-on dire en englobant la Corse, la Sicile, régions éminemment cultivées. Ma mère parlait beaucoup, racontait des histoires, me disait qu’elle était poète, ma grand-mère aussi. Mon grand-père maternel racontait des légendes ou des morceaux sortis tout droit d’Orlando furioso de l’Arioste, comme s’il les inventait. »
Et le père d’Antoinette, venu de Corse, peu bavard, « homme de peu de mots », qui avait navigué, portait avec lui la connaissance de la terre et de la mer, des départs, de l’endurance, les voix du vent, de la houle et de la méditation éloquente. Une polyphonie des silences.

La famille est montée à Marseille. C’est là qu’Antoinette voit le jour. Grandir avec en soi la passion de la littérature, dans un milieu de culture orale, pourrait paraître contradictoire, mais cela ne l’était pas. Ses parents, outre un art de vivre et de dire, professaient un immense respect pour la chose écrite, l’instruction, la culture et les diplômes. « Non pas pour franchir les échelons sociaux que cela supposait mais plutôt comme moyen de garder ou vivifier une culture qui soit héritière de la culture qu’ils avaient eux-mêmes. » Quant à leur fille, dès l’adolescence, il lui faut s’en aller, loin, très loin de l’eau saline, à une heure de train, à Aix ! Un monde de grès jaune et de Sainte(s) Victoire(s), pour se colleter à ces fameuses études, et le devenir, diplômée es lettres.

Le cours Mirabeau et la fac — où elle rencontre, très jeune, celui qui deviendra son mari et le père de sa fille — c’est encore le Sud, qui lui donne son assiette, mais ce n’est plus là où elle est née, près des calanques.
« C’est le sud qu’il ne faut pas perdre en regardant la mer, note Antoinette, je ne veux à aucun prix perdre le sud, c’est-à-dire ma mère ; le nord, il n’y a pas de risque, je sais où est le père. » Ainsi, Antoinette n’égare aucun des repères cardinaux, d’ailleurs elle a pris l’œil vert Corse qui pétille et le bouclé brun de l’Italie méridionale. En prime, bien sûr, elle a récolté l’amour du travail bien fait, du conte, de la stance et de son rythme, qu’elle a bientôt retranscrits. La voix, relevée d’une pointe de thym, chante un peu, transporte empathie, curiosité et désir de rendre les propos lumineux, sur fond discret de jeux de mots qui renvoient à l’inconscient. Cette voix, venue de l’intérieur, est retenue pour cause de pudeur.
« C’est vrai que j’ai mis beaucoup de temps à me faire entendre : j’ai commencé à parler en public, outre l’enseignement, vers 32 ans, en Mai 68, en créant le MLF. J’étais d’une timidité maladive. Et puis, un jour, comme beaucoup de femmes, j’ai parlé. Et quand on parle, on ne s’entend plus, alors j’ai continué à parler. Après est venue l’écriture… Enfin, j’ai toujours écrit, mais l’écrit publié, c’est autre chose. »

JARDIN PUBLIC

Après la fondation du MLF, du groupe « Psychanalyse et Politique », en 1968, c’est la maison d’édition Des femmes, qu’elle crée en 1973. Laquelle maison d’édition, née « après deux ans de réunions hebdomadaires ouvertes, et venue du désir de faire avancer la libération des femmes — non de créer une maison d’édition féministe » — a pour vocation de défendre une position originale. Ainsi quand elle publie une femme écrivain, Antoinette, elle, s’intéresse à toutes ses dimensions, intellectuelles, artistiques et humaines : « Ce n’est pas seulement l’écrivain, c’est aussi la femme ». Loin des conservatismes entretenus par la surmédiatisation, le succès commercial ou le scandale, sa démarche d’éditrice a pour objectif de favoriser l’éclosion de la veine artistique et intellectuelle de ses semblables.
« Depuis le début, je voulais construire, donner un lieu, tracer des voies positives… mettre l’accent sur la force créatrice des femmes, faire apparaître qu’elles enrichissent la civilisation, et qu’elles ne sont pas seulement les gardiennes du foyer, enfermées dans une communauté d’opprimées ». « La maison d’édition était, est toujours pour moi, le lieu du temps de la vie, du temps à venir, qui renoue avec le premier amour, ce que j’appelle l’homosexualité native, avec les forces de gestation qui animent chaque femme, qu’elle fasse ou non des enfants » (Gravidanza).
Simultanément, elle ouvre la première librairie des Femmes à Saint-Germain des prés ; très vite, d’autres suivent, en région, en Europe.
Directrice de recherches à Paris-VIII, psychanalyste, fondatrice de l’Alliance des femmes pour la démocratie, députée au Parlement européen (1994-1999), Antoinette Fouque par le mouvement qu’elle a créé, par la pensée qu’elle fait émerger et qui imprègne plusieurs générations, a subtilement mais radicalement bouleversé les fondements les plus méconnus des idéologies et des savoirs dominants. Elle joue un rôle moteur dans la vie culturelle, politique, sociale française et internationale. C’est elle qui, la première, défend, amène à la lumière et publie Duong Thu Huong, Taslima Nasreen, Aung San Suu Kyi, condamnées, la première à la détention, la seconde à la mort, la troisième à la privation de toutes les libertés. Pour la seule raison qu’elles sont femmes et écrivains, de romans ou d’écrits politiques, c’est tout un.

Elle défend de même tant d’autres, moins célèbres, coupables d’être nées filles, seulement, et se rend sur tous les fronts où les femmes souffrent. Parfois, c’est juste ici, en bas de la rue. Ainsi, quand en 2002, Sohane, dix-sept ans, est « brûlée vive dans le local à poubelles d’une H.L.M. de banlieue où elle avait été emmenée de force et enfermée par un amoureux éconduit, épaulé par plusieurs garçons de la cité », elle alerte, dénonce, questionne et écrit. Lettres articles, analyses, manifestes, dossiers sont publiés, entre autres, dans Libération et le Nouvel Observateur, certains seront par la suite repris dans Gravidanza.
En 1995 paraît chez Gallimard le mémorable Il y a deux sexes, qui rassemble en un volume plusieurs écrits d’Antoinette Fouque et constitue le premier essai de féminologie. Il sera réédité en une édition revue et augmentée en 2004.

La féminologie, c’est, dit celle qui en a élaboré le terme, « la création d’un champ épistémologique, les Sciences des femmes, aux côtés des Sciences de l’Homme, une promesse d’enrichissement réciproque ». C’est s’efforcer « de comprendre notre savoir forclos, à la fois inconscient et exclu. » C’est « mettre la génésique au centre de la pensée », « c’est la pensée de la gestation ou la gestation comme mode de pensée ».
Comme le dit encore Alain Touraine : « L’expérience de la grossesse, associée à la revendication de liberté et d’égalité, lui permet d’aller beaucoup plus loin que la simple égalité : d’abord, vers la reconnaissance de la différence, et, vite, vers l’affirmation de la production génitale qui donne aux femmes la possibilité de se libérer de ce qu’elle nomme un faux modèle dans une démocratie hantée dès l’origine par l’exclusion de l’autre, par « l’envie de l’utérus », qu’elle a très tôt identifiée par la haine de la femme-mère, l’expropriation et la forclusion de son corps comme lieu de création de l’être humain, du vivant-pensant. »… et aussi, par «l’appropriation par les hommes de la création intellectuelle, scientifique et artistique, de la création par le cerveau ». Antoinette relève qu’un même verbe, creare en latin, signifie indifféremment création et procréation. Et ajoute : « La symbolisation phallique est un substitut à ce qui est perçu et envié par le petit garçon, ce qu’il perçoit de la créativité du corps femelle quand il voit sa mère enceinte. Cet énorme battage autour du phallus n’est que le cache à l’envie de l’utérus qui est l’envie de Dieu ».
« La vraie création, la vraie poiesis – de  » poien  » qui veut dire  » faire » en grec —, le faire génital, génial, se passe pour les femmes à l’intérieur du corps, à l’intérieur du jardin aménagé — pour ne pas rejeter le corps étranger — comme espace d’hospitalité. Alors que le faire anal, phallique, le faire technique de l’écriture ou des avions, qui volent comme des oiseaux mais ne sont pas des oiseaux, se passe, comme la procréation pour les hommes – en dehors du corps. »

JARDIN PRIVE

Antoinette Fouque n’est pas que la personnalité aux multiples activités, engagements, et missions, elle est aussi écrivain, au sens du Robert : personne qui compose des ouvrages littéraires. Qui puise au plus près de la poésie. Exemple.
« Il pleut. Ciel bas, noir outremer à l’est. Mer formée, lourde, de plomb ou d’obsidienne, selon les fonds. Le petit bouquet du jour, crocus et narcisses, arrive avec le café et mes trois quotidiens… »
Alain Touraine compare son « imagination créatrice et révélatrice de secrets à celle de Rimbaud ». Mais Antoinette s’en défend : « Je suis aussi éloignée de Rimbaud que la cigale du jardin que nous avons entendue l’est de Mozart. Mais, si l’on veut bien considérer que cette cigale fait sa petite musique à elle, alors, pourquoi pas. »
Il n’en est pas moins vrai qu’elle écrit « sur la vie…Où luit la liberté ravie…» Et, qui sait, elle écrit peut-être aussi pour permettre à « la femme…vue dans la ville et à qui j’ai parlé et qui me parle »** de s’exprimer ?
Et si elle écrivait également pour le bonheur d’écrire ? Et parce que ça vient comme ça, du profond, du très loin. « Le jardin. Soleil ce matin. Vent tiède. Ciel lavande. Mer intense. Chaque vert, propre, encore luisant de pluie. Longtemps je me suis réveillée de très bonne heure pour embrasser ma mère qui partait travailler avant le jour. » Et ce faisant, elle donne à lire sous la couverture blanche et à peine gaufrée Des femmes, amour pour la langue, exigence, respect, transmission, mémoire. « La petite catleya orange offerte par MC il y a six ans, fleurit d’un désir inguérissable. ».
La phrase, son rythme, l’évocation du désir et ce nom de catleya (sans que rien d’autre dans l’agencement des mots ne le rappelle) font surgir immédiatement le souvenir de Proust. Passion de toujours chez Antoinette. Le thème de la mère dans La Recherche du Temps perdu , elle l’approfondit depuis les années de licence et le redécouvre sans cesse. « La tradition orale est présente chez Proust, rappelez-vous au début de La recherche, quand il ne peut pas s’endormir et que sa mère lui lit François le Champi toute la nuit — scène qu’on pourrait qualifier de scène incestueuse. Il est dit de ce texte que George Sand l’avait recueilli des conteurs oraux et sa mère retrouvait pour le lire la voix de ces conteurs. Il ajoute que c’est le premier roman qu’il ait lu, alors qu’en fait il l’a entendu avec sa mère, sa grand-mère et George Sand. » C’est cette tradition orale qui a guidé Antoinette dans la création de la Bibliothèque des Voix. Les œuvres lues, enregistrées, éditées sous formes de livres-cassettes, puis livres-CD.
« Cette tradition, orale, vocale, devenue temps perdu, chair perdue, corps maternel perdu est la voix des femmes. »
Elle a créée aussi sa collection pour que sa mère « folle de grande musique et de poésie, puisse écouter du Duras, du Sarraute. Il y a la voix dans le texte, et la voix du texte. Alors il faut l’écouter.» Dans son œuvre d’éditrice comme dans son écriture, Antoinette est une femme de tendresse.

JARDIN FRUITIER

Antoinette est une femme entourée. Elle a une famille, un petit-fils, Ezéchiel, trois chiens, des amies, des amis, des oiseaux en liberté. Une maison, harmonie de bleu et de vert, que les soleils marins teign(ai)ent de mille feux.*** Et, à Paris, entre l’impasse des anges et la rue Jacob, au bout d’une allée fleurie, un espace — blanc et paisible — qu’elle projette de rendre prochainement accueillant aux créatrices et aux créateurs qu’elle rencontre ou publie, et où elle a déjà ouvert une librairie. Soit dit en passant, le livre-DVD de Georges Kiejman, Les grands procès de l’Histoire, qui inaugure la Bibliothèque des Regards, a reçu le prix Charles Cros, de même que le livre-Audio La maladie de la mort, de Marguerite Duras, lu par Fanny Ardant.

Antoinette est douée de « bravitude », comme aurait dit Ségolène Royal. Et pour fermer la bouche de ceux qui ont moqué l’audace verbale de la candidate, elle a été rechercher, ce poème de Rilke, « Gravitude », cité par Heidegger dans « Chemins qui ne mènent nulle part ». Elle l’évoque dans un des derniers textes de Gravidanza : « Pourquoi une femme en temps de détresse » ?
Antoinette est une vaillante. Elle a dit un non sans réplique à la maladie qui voulait, de longtemps, la priver de déplacements. Aux commandes de sa machina électrique, elle sillonne à tout berzingue les allées du jardin, parfois avec Ezéchiel : « Poursuites dans les allées, chacun sur son engin électrique. Allegretto. »
Elle parcourt aussi les chemins qui mènent à Rome, et bien plus loin, dans d’autres continents. Le continent qu’elle étudie le plus volontiers, sans se déplacer, le plus mystérieux, celui qui est longtemps resté inconnu, ce « continent noir » dont parle Freud, Antoinette l’explore. Non d’après les présupposés masculins, encore moins d’après ceux de Lacan (« la femme n’existe pas »), mais bien dans la perspective d’une libération de la création. Ce continent noir, pour elle, « c’est la gestation, l’utérus » qu’il s’agit de « libérer de l’esclavage phallocentrique », de « décoloniser », pour qu’ils deviennent, « partie intégrante de la sexualité, de la pensée de la fécondité » (Area). Ainsi développe-t-elle « une théorie de la génitalité » qui vient s’ajouter à l’édifice toujours en construction de la psychanalyse. Parce que « Notre terre de naissance est un corps de femme. » Et parce que « la chair pense ». Enfin parce que « La chair est mémoire ». Lieu de conception et d’élaboration d’une oeuvre. « S’avance la libido creandi, matérialisme charnel, philosophie politique du vivant-pensant » dit-elle. « Changement de logiciel, de méthode » : « Exit la Miséricorde divine. S’exprime la générosité utérine de concevoir l’autre en soi et de s’en séparer pour qu’il-elle naisse. Exit le Pouvoir. S’annoncent les pouvoir-faire. Exit la Genèse. S’annonce, sans messianisme, la génésique laïque, humaine, œuvre de femme et d’homme. Œuvre géni(t)ale, œuvre d’être. ». S’annonce un avenir pour l’humanité.

Quoi d’autre ?
Des tas de projets, de publication — un livre, Génésique, dont le contenu relatif à l’écriture, reste encore un tout petit peu secret — et des projets de vie, comme on dit à l’école, de mouvement et de méditation, de solitude et de rencontres, de voyage et de repli poétique. Sans jamais perdre de vue la mer. Ni le jardin.

Jocelyne Sauvard
(septembre 2007)

Remerciements à Antoinette Fouque, Elisabeth Hinacoli

Citations : * : Proust, ** : Rimbaud, Baudelaire***

Jocelyne Sauvard est écrivain (romans, théâtre) et journaliste. Elle anime aussi une émission littéraire sur Idfm98, « Parlez-moi la vie ». http://www.jocelynesauvard.fr

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