Bertrand du Chambon, sur L’internaute (Le salon littéraire) 31/10/17
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Adriana Langer ou la délicatesse
Commençons par une mise au point, une fois n’est pas coutume, qui n’a rien à voir avec l’auteure ni avec son texte : ceci sera intitulé Bons Conseils aux éditeurs…Tout d’abord, ne nous infligez point votre nom d’éditeur aux côtés de celui de l’auteur. L’auteur est un écrivain : un roi, un prince. C’est le nom de l’auteur qui doit ressortir, et le vôtre ne peut que s’effacer poliment devant lui. Quand on a la chance, de surcroît, d’avoir comme auteure une reine ou une princesse, et c’est le cas ici, on s’efface. On s’appelle éditions du Serpent, ou éditions des Seuils, ou de Madame La Découverte, et on se fait petit. Ensuite, on ne publie pas de livre à la couverture trop souple, au papier trop mince, et l’on ne fait pas imprimer de texte en corps 8 ou 9, difficile à lire et agaçant ; cela réduit le nombre de pages à une centaine, alors qu’on en aurait bien compté 150 si on avait choisi du Verdana en corps 12. On aurait pu jouir alors d’un bon livre, qui pèse entre nos mains.
Ces récifs une fois franchis, passons aux récits, ou plus exactement aux nouvelles : Adriana Langer en propose dix-neuf, à la suite d’une préface étrange appelée « Prérequis ». Toutefois, au bout de quelques pages, on est saisi par la beauté, la délicatesse de ces textes courts, à la fois très subtils, rusés et puissants. Un vieil homme rentre chez lui et contemple les cerisiers :
« Ils sont ornés de magnifiques, abondantes fleurs, incongrues dans cette morne ville qui les entoure, au sein de la laideur des voitures, du bruit, des odeurs, et même, de la plupart des pensées humaines. Cette floraison : une fugacité neutre, ne délivrant ni message de l’au-delà ni règle de vie, n’exigeant nulle visite à nul temple, donnant tout, ne demandant rien. Simplement, elle nous arrose quelques instants, avec une générosité inexpliquée et imméritée, de son incroyable beauté. »
La contemplation calme n’est pas le seul apanage de ce recueil ; on nous offre aussi des événements ténus, de la lumière, des relations humaines fines et presque impalpables, comme dans la nouvelle « Mère et enfant », qui est un petit chef-d’œuvre de délicatesse dont on ne dévoilera pas ici la moindre bribe : il faut se jeter dessus et la lire en entier (parfois, ne citer qu’un morceau d’un texte n’offre rien, c’est l’entièreté du propos et la progression qui comptent).
Un léger intertexte se promène à travers ces pages : Irène Némirovsky, Élisabeth Gille, ou plus loin Anton Tchekhov, Katherine Mansfield, sans nous infliger de leçon, mais en nous indiquant que l’art de la nouvelle est rare, et qu’il faudrait peut-être en lire plus souvent. Nous nous rappelons alors les poncifs que l’on prononce au sujet des short stories : brièveté, lucidité, finesse – nous n’y échapperons pas. Mais cette brièveté est tellement délicieuse, et bienvenue… Le roman, lui, trop souvent, délaye. La nouvelle découpe.
C’est notamment l’impression que l’on a en lisant la nouvelle intitulée « Boucles blondes » : après avoir évoqué, durant une soirée dans un restaurant russe, la fin tragique d’Irène Némirovsky et les écrits de sa fille, Élisabeth Gille, l’auteure tourne les talons, abandonne soudain le registre pathétique, et annonce le choix prochain d’un autre restaurant, un autre jour ! Cruauté désinvolte après une allusion puissante : la nouvelle le peut. Un roman y parviendrait moins aisément.
… Quant à la dernière nouvelle, intitulée « Oui », c’est un miracle de finesse.
On lira et relira donc les nouvelles d’Adriana Langer avec bonheur. Ce sont de ces bijoux que l’on pose sur une table et dont on a plaisir à rembellir nos doigts.
Bertrand du Chambon
Adriana Langer, Oui et non, éd. Valensin-David Reinharc, octobre 2017, 102 pages,19 €