Soixante personnalités et chercheurs lancent un appel pour une légalisation encadrée des mères porteuses
LE MONDE | 30.03.09 | 14h04
Dans un appel lancé samedi 28 mars, une soixantaine de personnalités demandent la légalisation des mères porteuses. « Nous pensons que la gestation pour autrui ne porte pas atteinte à la dignité de la femme si elle est pratiquée dans des conditions claires et sûres, altruistes, dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, qui exclut toute marchandisation de la personne », affirment-ils.
Mère porteuse : un ultime recours, toujours illégal en France
Cet appel a été lancé par Clara, une association fondée par Sylvie et Dominique Mennesson, parents de jumelles nées en 2000 grâce à une mère porteuse californienne. Malgré une première décision de justice favorable en 2007, ces petites filles ont été privées d’état civil, en France, par la Cour de cassation, du fait de l’interdiction de la gestation pour autrui inscrite dans les lois de bioéthique de 1994.
L’appel a été signé par la philosophe Elisabeth Badinter, la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, la féministe Antoinette Fouque, le député Noël Mamère, la sociologue Dominique Mehl, le médecin Israël Nisand ou encore l’avocat Frank Natali.
En cette année de débat sur la révision des lois de bioéthique, les signataires plaident pour une légalisation encadrée de cette pratique tolérée en Belgique et aux Pays-Bas, autorisée au Royaume-Uni, en Grèce, au Canada et aux Etats-Unis. Trois des signataires expliquent leur engagement.
François Olivennes, spécialiste de la médecine de la reproduction : « Aujourd’hui, en raison de l’interdiction de la gestation pour autrui, les femmes privées d’utérus sont les seules femmes infertiles auxquelles la médecine ne peut rien proposer. Contrairement à ce que l’on dit souvent, je ne crois pas que cette pratique conduirait à une marchandisation du corps humain : il faut, pour éviter toute dérive mercantile, que la loi interdise la rémunération de la femme porteuse et impose le seul remboursement des frais occasionnés par la grossesse.
Il y a, depuis la nuit des temps, des femmes qui ont envie d’aider d’autres femmes à avoir des enfants, sans qu’elles soient pour autant folles ou désespérées. Les études montrent ainsi que les femmes porteuses considèrent cette grossesse comme un don et qu’elles ne sentent pas la « vraie » mère de l’enfant. Reste, bien sûr, que toute grossesse présente un risque médical : c’est pour cela que la loi doit prévoir une parfaite information de la gestatrice. »
Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse : « Il faut changer l’ensemble des lois sur la filiation afin d’ouvrir tranquillement la voie aux nouvelles formes de procréation. En France, la gestation pour autrui se fait de manière sauvage, dans une certaine clandestinité : plutôt que de crier à l’apocalypse, encadrons donc les pratiques pour éviter que n’importe qui fasse n’importe quoi.
Ainsi, il vaut mieux, à mon sens, que les mères porteuses aient déjà eu des enfants et qu’elles ne puissent pas porter l’enfant de leur fille ou de leur soeur : tout ce qui est incestueux est à bannir. La rémunération doit en outre être limitée pour éviter que des femmes s’engagent dans cette voie pour des raisons strictement commerciales. Enfin, il faut que la mère ait la possibilité de garder l’enfant, à la naissance. »
Maurice Godelier, anthropologue : « Avec les mères porteuses, le processus de la maternité est scindé en deux : une première femme assume la conception, une seconde la grossesse, ce qui est nouveau dans l’histoire de l’humanité. La gestation pour autrui est le fruit des progrès de la médecine, mais c’est aussi le produit des évolutions de la parenté dans les sociétés occidentales : je pense à la valeur extraordinaire que nous accordons à l’enfant et à l’importance que nous attachons à notre liberté de choix de vie au-delà des institutions consacrées et des rituels traditionnels.
La gestation pour autrui, comme l’homoparentalité, a été inventée par des couples qui trouvaient là une solution à leurs problèmes mais qui ne se rendaient pas forcément compte que leurs pratiques allaient dans le même sens et qu’elles se sont cristallisées dans des revendications communes. Ce mouvement est irréversible en Occident et ces pratiques seront de mieux en mieux acceptées par nos sociétés. Il n’y a pas de raison de les refuser, mais elles doivent être l’objet d’un débat politique et culturel sérieux et être encadrées de réglementations très claires définissant les responsabilités, c’est-à-dire les droits et les devoirs de chacune des personnes engagées dans ces relations. »