Pierre Cormary étudie « Génésique » (26.09.08)

26/09/2008
Le MLF a quarante ans !

Le 1er octobre 2008, l’on fêtera le soixante-douzième anniversaire d’Antoinette Fouque ainsi que, et surtout, le quarantième anniversaire du Mouvement de Libération des Femmes que celle-ci créa, précisément en octobre 68, avec Monique Wittig et Josiane Chanel. Défini par Fouque elle-même comme « l’événement génésique » de la fin du XX ème siècle, le MLF s’imposa comme une nouvelle alternative au féminisme triomphant de l’époque, celui de Simone de Beauvoir, sinon, car l’auteur de Gravidanza n’aime pas les mots en « isme » toujours trop connotés idéologiquement, comme la première féminologie, soit une nouvelle épistémologie des sexes rendant raison et justice à la femme en tant que femme. Libérer la femme, ce ne serait plus en faire un homme comme un autre, ce serait au contraire affirmer la singularité sexuelle et ontologique de celle-ci. Si les premières féministes avaient plaidé pour un rééquilibrage sexuel et social, ô combien légitime, de la femme dans la société, les féministes « fouquiennes » affirmaient le génie féminin à travers la fécondité, la maternité, ce qu’elles appelleraient bientôt la géni(t)alité. Avec Beauvoir, les femmes avaient accédé, du moins en droit, à une reconnaissance et à une égalité sociales. Avec Fouque, l’on passait du social au vivant. Libérer la femme, ce ne serait plus simplement lui donner le droit d’avorter, ce serait aussi celui de procréer. La liberté de la grossesse serait aussi la joie de la grossesse.

Cette joie, Antoinette Fouque la connut elle-même avec la naissance de sa fille Vincente en 1964. Faire de la grossesse une « expérience charnelle, psychique et symbolique », y voir « une rupture anthropologique et épistémologique », c’est tout le génie nietzschéen (car qui mieux que Nietzsche insiste sur l’intelligence du corps ?) de la co-fondatrice du MLF d’avoir pensé la femme à travers la chair procréatrice, d’avoir donné du sens métaphysique à l’enfantement. Surtout dans les années soixante-dix où, il faut le rappeler, la mode était de penser la chair soit à travers l’hédonisme post-soixantuitard, vaguement beatnik, et finalement toujours aussi phallocrate, soit à travers ce qu’elle appelle très justement « une subversion de l’ordre sexuel par la perversion », et qui, de Genet à Guyotat, de Foucault à Deleuze, de Bataille à Sollers, ne voit plus les choses de la chair et du monde qu’à travers Sade, Masoch, Lautréamont, et tout ce que l’art et la littérature donnent en divins tordus, pervers géniaux (et moins géniaux), freaks édifiants. Dans La condition historique, Marcel Gauchet regrettait aussi cette tendance des grands courants de pensée de l’époque, en premier lieu le structuralisme, à fuir systématiquement le centre pour ne s’intéresser qu’à la marge, à substituer l’exception à la généralité, à ne penser la vie qu’à sa limite. La pensée du « border line » était à la fin une impasse.

En faisant de la grossesse le principe premier (pour ne pas dire l’Arché, terme trop masculin s’il en est) de sa réflexion, la très bernanosienne Antoinette Fouque (qui fit, n’oublions pas, un DES sur « Angoisse et Espérance dans le Journal du curé de campagne de Bernanos ») posait l’irréductibilité de la différence des sexes et la révélation du « deuxième » dans un monde d’avant et d’au-delà de la chute. La femme définie comme une apocalypse, tel pourrait être le titre d’une étude du MLF. En effet, procréer, ce n’est rien moins que participer à la création divine. Et si l’on n’est pas sûr que Dieu existe, on est sûr en revanche que la femme accouche. Faire un enfant, c’est, comme le dit Fouque, « créer du vivant pensant ». La grossesse est en ce sens la seule réponse valable à la question « qu’appelle-t-on penser ? ». Valable – car concrète, réelle, vivante, empêcheuse de symboliser en rond. Car le symbolique, la plus grande invention masculine de tous les temps, c’est précisément ce qui crée du mythe, de l’imaginaire, d’une certaine manière : de la mort, pour ne pas dire : du masculin. Or, comme le dit avec force Antoinette Fouque :

« Si la procréation a droit de cité dans les sciences humaines, le symbolique ne pourra plus produire des mythes en lieu et en place des développements de l’espèce humaine. »

La procréation, c’est la chair féminine dans laquelle nous sommes tous inscrits, avec laquelle nous sommes tous écrits, hommes et femmes, une sorte de lettre vivante que l’esprit mortifère masculin n’a cessé de piler. Au fond, et comme ce fut le cas avec les prolétaires par les aristocrates, le matérialisme est ce qui fut sans cesse rabaissé, écrasé, martyrisé par l’esprit. La matière – et avec elle : la matrice, la maternité, la féminité – c’est ce qui fut crucifié par l’esprit masculin, ou plutôt par l’esprit confisqué par le masculin. Issue d’un milieu prolétarien et influencé par Charles Péguy, « le seul qui exalte l’honneur et l’éthique de l’homme qui fait un barreau de chaise », Antoinette Fouque cherche à réhabiliter la créativité spirituelle du travail manuel au même titre que le travail charnel et métaphysique de la procréation. Même si elle récuserait peut-être cette étiquette, son combat a indéniablement un aspect « chrétien de gauche » qui insupportera autant les marxistes orthodoxes que les chrétiens papistes. Et si nous faisons partie de ces derniers, nous ne pouvons nier que ce qui nous intéresse dans le féminisme fouquien est cette persistance (toute chrétienne) à penser l’homme et la femme selon la différenciation originelle et biblique. A l’être désexué et révolutionnaire qu’en avaient fait Simone de Beauvoir et les autres (et dont l’aboutissement sera l’infect mouvement « queer », dans lequel il n’y a plus ni hommes ni femmes mais que des « genres » interchangeables), le MLF a voulu que la femme retrouve sa singularité élémentaire, faiseuse d’humanité plutôt que d’anges, incarnant l’esprit de la vie. A l’envie de pénis théorisée par Freud, Antoinette Fouque a substitué une envie de l’utérus propre à tous les hommes – et parallèlement instauré le monologue du vagin bien avant la célèbre pièce de théâtre du même nom.

Quoiqu’on en dise, la vie reste hétérosexuée. L’avortement, ce n’est que le droit négatif du désir de l’enfant – et c’est parce qu’il y a ce droit que les femmes peuvent désormais affirmer, sans contraintes et sans complexes, le droit, le désir, la joie d’avoir, de concevoir, un enfant. Finie l’hystérique ! C’est-à-dire, finie la femme à qui l’on a confisqué les pouvoirs de son utérus ! Finie la colonisation phallocentrique du continent noir ! Finie l’économie patriarcale de la reproduction ! Libérer la femme, c’est la décoloniser, c’est la rendre à son identité singulière, c’est lui rendre le don de donner la vie selon son désir à elle, c’est lui redonner la conscience joyeuse de la fécondité ! Si Virginia Woolf s’est suicidée, c’est parce qu’on l’avait privée de ce désir.

Cette révélation du désir, sinon cette remise du désir aux femmes, constitue la révolution « génésique » contre la « genèse », assure Antoinette Fouque. Elle est aussi la plus grande vexation que les hommes aient connue après les vexations galiléenne, darwinienne et freudienne.

« Ce n’est pas Dieu qui crée l’homme et la femme, ce sont les femmes qui, grossesse après grossesse, génération après génération, régénèrent l’humanité. »

Evidemment, les objections affluent. N’est-ce pas là remplacer le patriarcat par le matriarcat ? Est-ce si progressiste et si égalitariste que de faire de la femme la seule détentrice de la vie (qui d’ailleurs est un contresens puisque pour faire de l’humain, il faut les deux sexes) ? D’ailleurs, que devient l’homme dans toute cette féminologie ? Ne retrouve-t-on pas là-dedans la tentation régressive et masochiste de la mère originelle ? A quelle représentation renvoie cette femme souveraine ? Quel poème, quel portrait, quel film ont pu illustrer cette femme rendue à elle-même ?

Comme par hasard, et parallèlement à l’écriture de ce post, j’écoutais Ma mère de George Bataille, lu par Pierre Arditi, l’un des joyaux de « la Bibliothèque des Voix » des éditions Des femmes, cette collection pionnière d’enregistrement de textes lus par des acteurs ou des actrices et créée par cette même Fouque. Ma mère ! Peut-être le texte le plus malsain, le plus limite, le plus intime de l’histoire de la littérature française. Je l’avais découvert à vingt ans et à cette époque-là j’en faisais mes délices. Aujourd’hui, j’ai bien de la peine à le supporter. Car cette histoire d’une mère qui initie son fils, Pierre, à la perversion (j’allais écrire : à la « pierversion ») renvoie à toute la complicité que peuvent avoir mère et fils. L’inceste, ce n’est pas tant une affaire de gestes malheureux, de caresses douteuses, sinon de viol, que de confidences trop poussées, de rires trop complices, de disputes trop haineuses. Pas besoin de passer par le sexe pour avoir un rapport sexuel avec sa mère, et d’ailleurs avec son père, son frère ou sa soeur ! La vérité est qu’en écoutant la voix de Pierre Arditi enregistrée dans ce texte par Antoinette Fouque, j’ai fini par me demander si la féminologie de cette dernière pouvait, elle aussi, flirter avec une sorte d’érotisme matriciel ou de maternité trop érogène. Et que si les hommes s’étaient tant souciés de maîtriser le corps de la femme, c’était parce que celui-ci était irrésistible, et que l’envie d’utérus, en fait l’envie de s’y retrouver dedans, l’envie de ne pas naître, l’envie de rester en Dieu ou en Femme, était si violent qu’il fallait se protéger contre elles ! Que répondrait Antoinette Fouque à ce risque de fantasmagorie de sa pensée – et, à mon sens, contenue par elle ?

Quoiqu’il en soit, la maîtrise de la fécondité par la femme, ce que Fouque appelle la « gynéconomie », fut la vraie révolution sexuelle des années soixante-dix. L’accès des femmes à leur propre fécondité allait de pair avec l’accès des femmes à leur propre capacité de penser. La vraie poésie, la vraie philosophie, la vraie politique ne pouvaient plus se configurer qu’autour de la génésique – quelles que soient les éternelles résistances de l’ordre patriarcal. Et c’est cette génésique comme nouvelle condition historique de la femme qui s’imposa progressivement au monde des hommes, et à l’inverse des hommes, le fit sans passer par la violence. Est-ce parce que le MLF était fort qu’il n’y eut pas de terrorisme en France ? L’on peut toujours créditer ou non l’optimisme d’Antoinette Fouque à ce sujet.

Ce qui est sûr, c’est que « le Mouvement de Libération des Femmes est, comme elle l’écrit, pour la première fois dans l’Histoire, absolument non refoulable. » Le double droit d’avorter et de procréer, le double désir de ne pas séparer la procréation de la sexualité, la double affirmation de la liberté et de la fécondité, tout cela constitue, plus qu’un simple « progrès social », une véritable nouvelle anthropologie dont on n’a pas encore fini de voir les effets. Reste l’immense tâche de réorganiser ce pays comme d’ailleurs l’espèce humaine autour de ce qui apparaît comme l’union, jusque là impossible, de l’égalité et de la dualité.

Car il ne faut jamais l’oublier :

« Il y a deux sexes, et c’est ce qui rendra possible le passage de la métaphysique, amour de la sagesse, à l’éthique, sagesse de l’amour. »

Au fond, la féminologie d’Antoinette Fouque, aussi épistémologique que poétique, se résumerait dans le mot d’Arthur Rimbaud : il faut réinventer l’amour.

(NB : Toutes les citations sont extraites de « Génésique », titre du texte d’Antoinette Fouque dans « Génération MLF 1968 – 2008 », un livre événement, véritable document d’histoire composé de 51 témoignages avec chronologie inédite et images d’archives, à paraître aux Editions des Femmes le 16 octobre. Si vous êtes journaliste, contactez Guilaine Depis à guilaine_depis@yahoo.com pour assister à la conférence de presse d’Antoinette Fouque autour du 40ème anniversaire du MLF, mardi 7 octobre dans son Espace des Femmes, 35 rue Jacob, Paris 6ème, à 18 h 30. Le cas échéant, il vous faudra patienter jusqu’au vendredi 10 octobre, 20 h 35, pour regarder sur France 5 le film de 52 minutes de la prestigieuse série « Empreintes » réalisé par Julie Bertucelli et coproduit par Cinétévé consacré à Antoinette Fouque, qui sera rediffusé pour les chaînes hertziennes dimanche 12 octobre à 9 h 30. Antoine Perraud recevra également Antoinette Fouque sur France Culture samedi 11 octobre de 19 h à 20 h comme invitée de « Jeux d’archives »)

(Les quatre articles consacrés aux Editions des femmes font désormais partie d’une liste intitulée « Montalte aux Editions des Femmes », que l’on trouve en bas, à gauche.)

Antoinette Fouque citée par Charlotte Rotman (libération du 29.02.08)

Sexualité j’écris ton nom
Pilule, avortement, homosexualité, la révolution sexuelle est en marche et «faire l’amour est la plus merveilleuse façon de parler».
CHARLOTTE ROTMAN
QUOTIDIEN : vendredi 29 février 2008

On est en 1967. Un an avant l’effervescence de mai, c’est déjà la pleine ébullition… hormonale. Sur le campus de Nanterre, les garçons veulent pouvoir se rendre dans les chambres des filles. Le 16 mars, l’association des résidents abolit le règlement intérieur qui prohibe cette libre circulation. L’affaire monte jusqu’au Conseil des ministres.«On leur donne des maîtres, maintenant ils veulent des maîtresses»,maugrée le général De Gaulle. La révolution sexuelle est en marche. Quelques mois plus tard, la pilule est autorisée. Un cycle s’ouvre. Les femmes partent à la découverte de leur corps comme à la conquête de leurs droits.

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On s’est contenté de changer le contenu des contraintes »

Joëlle Brunerie-Kauffmann termine ses études de médecine en 1965. Gynécologue, elle est l’une des pionnières du droit à la contraception. «A vant la pilule, il y avait la méthode Ogino et celle du retrait. Les femmes se débrouillaient.» Certaines se rendent dans l’un des 42 centres du Mouvement français pour le planning familial qui milite pour une «maternité heureuse» et choisie. On y commande des diaphragmes en Angleterre et on y forme les (rares) médecins militants. Dans une consultation, gérée par la Mnef, Joëlle Brunerie, elle, «bricole dans l’illégalité». Jusqu’à ce que «la société reconnaisse officiellement aux femmes le droit de faire l’amour». Sans peur au ventre.

Conquête. C’est l’Assemblée nationale qui va leur octroyer ce droit. Grâce à une proposition de loi du député gaulliste Lucien Neuwirth (UDR) qui, dit-il, va transformer «les conditions d’existence de millions de couples». «J’ai reçu de nombreuses lettres de femmes retraçant leurs drames lamentables, la recherche d’un médecin « compréhensif », puis, au fil des jours, l’affolement, les demandes pour obtenir une « bonne adresse » et, finalement, l’avortement clandestin chez une matrone qui faisait payer cher ses « services »», explique-t-il lors du débat parlementaire. A l’époque, l’Institut national d’études démographiques (Ined) estime qu’il y a 300 000 avortements clandestins par an. Les opposants comme Jacques Hébert (lui aussi UDR) s’emportent, évoquant une modification «du patrimoine héréditaire de l’espèce» et «une flambée inouïe d’érotisme». La loi sur la contraception est votée en décembre 1967. Première conquête de la liberté sexuelle.

«Pour la première fois, les femmes avaient le droit de dire qu’elles ne voulaient pas d’enfants ou pas tout de suite,se souvient Joëlle Brunerie. Ça a été un raz de marée de bonheur.»Et de baise.«Il y avait une liberté sexuelle, réelle, psychique, libidinale, conquise»,s’enthousiasme Antoinette Fouque, figure du féminisme.«A la Sorbonne, on dormait les uns sur les autres», se souvient un témoin. Les uns avec les autres. Les mots sur les murs invitent à «jouir sans entraves».On prône l’amour libre. On part à la découverte des écrits de Sade, publiés par Pauvert. Dans la foulée, les femmes se retrouvent… entre elles. A Vincennes, quelques intellectuelles organisent des rencontres non mixtes.«En AG, les femmes ne parlaient pas», se souvient Antoinette Fouque. Là, «sans oreille d’hommes», la parole se répand. «Le désir des femmes aussi, a circulé hors du contrôle et du mode de jouissance des hommes.»

«Orgasme final». Deux ans après 68, le Mouvement de libération des femmes (MLF) ira déposer une gerbe en l’honneur de«la femme du soldat inconnu». Dans son sillage, le Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), mené par Guy Hocquenghem et Françoise d’Eaubonne, voit le jour. Son acte fondateur est l’irruption salle Pleyel, à l’émission de Ménie Grégoire sur RTL consacrée à l’homosexualité, «ce douloureux problème». «C’est l’orgasme final. Couchons-nous et demain les gouines et les pédales seront le genre humain», chantent les homos.

Le 20 novembre 1971, pour la première fois, le MLF appelle à une manifestation à Paris : «Travail, famille, patrie, y en a marre. Contraception, avortement libres et gratuits.» A l’église Saint-Ambroise, le cortège veut «libérer la mariée», quand les cloches sonnent. Petit à petit, les corps se dénudent. Après la minijupe (lancée par l’Anglaise Mary Quant en 1965), le short fait son apparition dans la rue. Les seins s’exposent pour la première fois à la piscine Molitor, à Paris. Le désir s’affiche.

«Apprenons à faire l’amour, car c’est là le chemin du bonheur. C’est la plus merveilleuse façon de parler et de se connaître», conseille aux lycéens le docteur Carpentier, après l’exclusion en 1972 de deux élèves du lycée de Corbeil-Essonnes qui s’étaient embrassés sur la bouche. Cette même année, le premier rapport sur le comportement sexuel des Français est un événement et la courbe des mariages amorce sa chute. Le 3 janvier, la loi reconnaît que «l’enfant naturel a en général les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’enfant légitime dans ses rapports avec ses père et mère».

Les 13 et 14 mai 1972, se tiennent les journées de «dénonciation des crimes contre la femme» à la Mutualité, à Paris. Les murs sont couverts de slogans : «C’est nous qui portons, accouchons, avortons. C’est nous qui risquons notre vie. C’est nous qui nourrissons, qui lavons, qui veillons. Et pourtant c’est pas nous qui décidons, nous qui parlons.»L’entrée est gratuite pour les femmes, c’est 5 francs pour les hommes. Pour la première fois, on montre un avortement selon la méthode de l’aspiration (la méthode de Karman).

«Jugez-nous !». Le 11 octobre 1972, à Bobigny, s’ouvre le procès de Marie-Claire Chevalier, 16 ans, violée par un camarade de classe et jugée pour avoir avorté. Son avocate Gisèle Halimi (fondatrice de Choisir la cause des femmes) accuse la loi, «objectivement mauvaise, immorale et caduque».A la barre, Simone Iff, vice-présidente du planning familial, les actrices Françoise Fabian et Delphine Seyrig disent avoir eu recours à l’avortement. Dehors, les manifestantes clament : «Nous avons avorté, jugez-nous !» Marie-Claire est relaxée.

De fait, de plus en plus de médecins et de militants, au Mlac (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), pratiquent des avortements. Il faut légiférer. Le 26 novembre 1974, face aux députés (presque exclusivement hommes), Simone Veil défend son projet de loi. Ce texte prévoit que «la femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse» avant la fin de la dixième semaine. Le débat est d’une violence inouïe. On entend : «L’avortement, c’est un génocide légal.» Le 29 novembre 1974, le projet de loi est adopté à 3 h 40 du matin.

Après le succès du Dernier Tango à Paris et de Gorge profonde, sortis en 1972, les Valseuses de Bertrand Blier font un tabac (4 millions de spectateurs en six mois). Et Emmanuelle de Just Jaeckin, d’abord interdit par le gouvernement Pompidou pour «manque de respect envers le corps humain», fait 16 000 entrées le jour de sa sortie. Le Monde s’interroge : «Le sexe a-t-il remplacé la religion comme opium du peuple ?»

Café Babel 23.01.08 (par Mathilde Magnier)

http://www.cafebabel.com/fr/article.asp?T=A&Id=2997

Mathilde Magnier – Paris – 23.1.2008
Analyse
Féminisme : la révolution rose
Point de rupture dans l’histoire des femmes, Mai 68 avait aussi ses militantes. Celles d’hier et d’aujourd’hui témoignent et racontent leurs combats.
Slogans féministes dans une manif parisienne (Photo : DR/Jean-Claude Seine) Un vent de révolte dirigé contre une société patriarcale et un brin misogyne souffle dans une société engoncée dans un carcan social, politique et culturel, trop lourd et trop étroit. C’est mai 68, une période où nos jolies mamans, du Beauvoir plein la tête, se sont engouffrées dans la brèche contestataire en faisant claquer haut et fort l’étendard de la libération et de l’émancipation des femmes.

Avortement, contraception, parité et égalité des sexes… Autant de concepts qui semblent aujourd’hui familiers. Mais cela n’a pas toujours été ainsi. Le Girl Power dont se revendiquent certains groupes de pop épicée made in UK, n’aurait probablement jamais pu faire autant d’adeptes sans le travail acharné de nos aînées.

Mouvement de libération des femmes

Et pour cause : « En quarante ans, plus a été fait pour les femmes qu’en deux mille ans d’histoire », rappelle Antoinette Fouque, psychanalyste et politologue, ancienne eurodéputé et personnalité phare du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), groupe emblématique créé en 1968. Mais, dans les années 60 et 70, que signifiait être féministe ? Quelles étaient les attentes et les revendications de ces femmes militantes de leur propre condition ?

En réalité, le terme de « libération » était sur toutes les lèvres et surtout celles des femmes. Françoise Picq, maître de conférence en science politique à Paris Dauphine et militante de la première heure au MLF, décrit, avec une pointe de nostalgie, cette atmosphère si particulière : « Le contexte du moment était explosif », se souvient-elle. « Il était difficile d’être femme dans une société où nous n’existions qu’en tant qu’épouses, mères ou filles », poursuit Antoinette Fouque.

A partir des événements de 1968, la conception de la femme dominée par la « puissance paternelle » vole en éclat et est abolie en 1970. Les féministes rejettent l’idée d’être enfermées dans un rôle d’asservissement domestique. Les militantes du MLF prennent la tête de la revendication. Dans leurs coeurs, la révolution des mentalités et des moeurs n’est pas nécessaire : elle est incontournable.

« Le Mouvement de Libération de la Femme fut un véritable raz-de-marée, car il correspondait à un sentiment de révolte et de lassitude généralisé chez les ‘nanas’ de l’époque face à une mysoginie ambiante », explique Antoinette Fouque. « Nous étions des filles de la République. Nous avions reçu la même éducation que les garçons, et sur les bancs de la fac, nous nous sentions leurs égales. Or, une fois mariées ou enceintes, il n’en était plus rien. Nous étions toujours sous le coup des lois qui faisaient de nous des mineurs. Une femme n’avait pas le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari ! », insiste-t-elle. « Nous réclamions une révolution culturelle, une révolution de civilisation où hommes et femmes devaient être égaux en droits et en possibilités ».

Plus tard, l’association Choisir La Cause des Femmes est créée, en 1971, par Simone de Beauvoir et l’avocate Gisèle Halimi. Le Mouvement Français pour le Planning Familial est également fondé en 1956. Il permettra aux femmes de penser et façonner leur destin pour elles et entre elles.

Cheval de bataille : l’interruption volontaire de grossesse

Alors que le droit à la contraception est obtenu dès 1967, d’autres revendications se bousculent. Pêle-mêle : le droit au travail et à l’égalité salariale, la parité et la fin d’un système de domination masculine… Et surtout, le droit à l’avortement, finalement voté en 1975 grâce à la loi Veil. La question de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est le point crucial du combat féministe. C’est le cheval de bataille du MLF. Son mot d’ordre : « Un enfant, si je veux, quand je veux ». Pour la jeune historienne Bibia Pavard, « l’action a été déterminante à cet égard. On a reconnu aux femmes le droit d’avoir le choix ». Elles reprennent disposition de leur corps et de leur sexualité. Et puis surtout, elle maîtrise leur fécondité, peuvent accepter, ou non, la maternité.

« C’est un combat que nous devions mener seules, entre femmes, dans un environnement non-mixte. Il fallait que nous puissions accéder librement à la formulation de nos désirs, que nous puissions parler de tout, et particulièrement de ces choses intimes que nous n’avions, jusque là, pas le droit de dire», précise Antoinette Fouque.

Près de quarante ans plus tard, qu’en est-il de la cause féministe et de l’héritage de 68 ? Qu’est devenue la lutte engagée par les virulentes et déterminées demoiselles de ces années-là ? Aujourd’hui, les associations sont nombreuses et continuent de se faire entendre pour défendre les droits des femmes. Preuve que « si le travail accompli par les femmes de 68 a été considérable, beaucoup reste encore à faire » comme le souligne Sihem Habchi, l’actuelle présidente de l’association Ni Putes, ni soumises. « Les acquis de 68 se sont arrêtés aux portes des quartiers populaires, où trop souvent, les femmes, en particulier celles issues de l’immigration, n’ont aucune conscience de leurs droits. »

De même, pour les militantes de Femmes Solidaires. Pour cette autre association, il est urgent de mobiliser les jeunes générations, de les amener à continuer le débat et de lutter contre les régressions. Car les réformes d’hier peuvent être perdues demain. Ailleurs, comme chez Mix-Cité, on mène un combat des mentalités, contre le sexisme, mais dans lequel les hommes doivent être impérativement impliqués. Ainsi les temps ont changé : nos sociétés ont profondément évolué. Mais la défense des droits des femmes semble rester furieusement d’actualité.
Mathilde Magnier – Paris – 23.1.2008 |

100 ans de féminisme dans lefigaro.fr (11.01.08)

www.lefigaro.fr (11.01.08)

100 ANS DE FEMINISME par Laure Daussy

A l’occasion des 100 ans de la naissance de Simone de Beauvoir, retrouvez en photo les principaux événements du féminisme et de l’histoire des femmes en France

07.03.06. Anniversaire du manifeste des 343. Des féministes se réunissent pour les 20 ans du manifeste paru dans le Nouvel Observateur, signé par 343 femmes affirmant avoir pratiqué un avortement. Parmi elles, Antoinette Fouque, une des fondatrices du MLF, au premier plan. Simone de Beauvoir était parmi les signataires. AFP

OCTOBRE 68, création du MLF par Antoinette Fouque, Monique Wittig et Josiane Chanel (Paris Match du 3 au 9 janvier 2008)

BRAVO AUX AUTEURS DE CE DOSSIER D’AVOIR ECRIT LA BONNE DATE DU CREATION DU MLF (OCTOBRE 68), CETTE DATE EST L’UN DES COMBATS TENANT LE PLUS A COEUR D’ANTOINETTE FOUQUE. (mais ils l’ont oubliée……………………………………………………………………… comme cofondatrice ! Gageons qu’il s’agit là d’une étourderie et rendons à César etc)

Paris-Match du 3 au 9 janvier 2008

(…)

DOSSIER DE JEAN-PIERRE BOUYXOU ET PIERRE DELANNOY

OCTOBRE : CREATION DU M.L.F.

Fondé sur le modèle du Women’s Lib américain par la romancière et essayiste Monique Wittig, le M.L.F., le Mouvement de libération des femmes, fait couler beaucoup d’encre. Il faudra compter maintenant avec les féministes, qui veulent la fin du machisme. Les plus jusqu’au-boutistes ne lésinent pas : Valérie Solanas, qui prônait la castration des phallocrates dans son « Scum Manifesto », a tiré le 3 juin un coup de revolver sur Andy Warhol, icône, à ses yeux, du pouvoir mâle.

Cette année, tout a changé entre les hommes et les femmes. La pilule contraceptive, objet de mille controverses depuis plusieurs années (Antoine a fait scandale en 1966 en proposant dans ses « Elucubrations » de la mettre « en vente dans les Monoprix »), est enfin autorisée depuis le 28 décembre 1967. « Transmettre la vie doit être un acte lucide », a admis de Gaulle, en promulguant la loi de « prophylaxie anti-conceptionnelle » proposée par le député Lucien Neuwirth.

La réalité est moins rose. En province, même dans les villes importantes, certains médecins rechignent à prescrire ce cachet diabolique qui, assurément, va transformer toute épouse en bacchante. Et les pharmaciens, quand on leur présente une ordonnance, ont beau jeu d’expliquer qu’ils ne servent que les honnêtes femmes. Il faudra attendre 1969 pour que Marie-Madeleine Dienesch, la très catholique secrétaire d’Etat à l’Action sociale, accepte de signer les premiers décrets pour que la loi Neuwirth soit appliquée. Peu à peu, la pilule va pourtant entrer dans les moeurs et devenir un des facteurs les plus importants de l’émancipation féminine. Elle sera prise en 1970 par 5% des Françaises âgées de 20 à 44 ans, et par 37% en 1978. Elles sont aujourd’hui 60% à l’utiliser (plus de 80% entre 20 et 24 ans), d’autres préférant le stérilet (20%) ou le préservatif (11%). Avec la liberté sexuelle, c’est la liberté tout court que découvrent les jeunes filles. Des rapports nouveaux, fondés sur l’égalité et le partage, s’instaurent entre hommes et femmes. Il ne sera plus incongru pour un mari, un amant, de s’occuper de son enfant ou de prêter la main au ménage.