François Coupry, L’Agonie de Gutenberg, Vilaines pensées 2018 /2021.
L’intelligence sans imagination est une triste routine, mais lorsque l’une vient au secours de l’autre, en contes ou fabliaux, pour nous dire ce que nous vivons parfois sans le savoir, usant des heureux détours de la fantaisie, cela nous donne un livre de François Coupry, – en l’occurrence, ici, le deuxième tome de ses « vilaines pensées » dont le premier avait paru naguère aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, sous le titre L’Agonie de Gutenberg.
Nous vivons, sans le comprendre toujours, des temps éminemment swiftiens, et jamais nous n’eûmes, pour nous édifier ou nous contredire, autant de grosboutistes et de petitboutistes. C’est alors le juste moment de renoncer aux bonnes pensées moralisatrices pour mieux être Moraliste comme on le fut, en France, depuis La Rochefoucauld, jusqu’à Pierre Gripari, en passant par Diderot ou Joseph Joubert . Ces « vilaines pensées », semblent ainsi d’un neveu de Rameau contemporain, et l’on oserait dire, d’un neveu de Thélonious Monk, par la maïeutique de ses notes en suspens, ses brusques bifurcations. L’ironie est « ce pari sur l’intelligence » qui, en ces temps monologiques, est devenu un exercice aussi risqué que nécessaire. François Coupry quitte allègrement les embourbés de toutes sortes pour s’en aller se promener dans un temps transversal, avec, selon l’injonction socratique « un double regard ».
Dans cette Agonie de Gutenberg, nous voyagerons donc dans le temps ; nous examinerons si ce temps est modifiable à partir d’un temps révolu et nous considérerons notre temps avec ironie, comme un temps d’autrefois dont les absurdités ne seraient plus couvertes par nos habitudes, nos servitudes volontaires, comme des choses allant de soi.
François Coupry, à sa façon, qui n’est pas étrangère à celle de Ionesco, auquel il consacra un livre, nous donne sa bonne nouvelle : rien ne va de soi. Notre maître en vision, dans ces chroniques, et même en « trans-vision », sera, par exemple, un chien, le vénérable Tengo-san, qui nous comprend mieux que nous-mêmes, et dont nous recevrons la sagesse comme celle du chien Berganza du conte de Hoffmann. N’en disons pas davantage, une chronique sur un livre de chroniques n’ayant pas pour dessein d’en éventer le propos.
Disons simplement qu’en ces temps où règnent les vertuistes et les vengeurs, et autres Lugubres, ces chroniques nous seront un parfait contre-poison, – et non le verre de lait ou la tisane qu’on donne aux intoxiqués, mais la coupe que l’on offre aux amis pour les délasser et poursuivre, à l’impromptue, la conversation. Une tradition française, en littérature, s’était perdue quelque peu, celle du libertinage, dont le sens premier ne se limitait pas à la multiplication successive ou simultanée des partenaires, si plaisante qu’elle puisse être, mais prenait plutôt le sens d’improvisation, s’appliquant au cours de nos pensées et de nos conduites ; ce qu’un neveu de Thélonious Monk ne saurait ignorer, id quod libet.
Luc-Olivier d’Algange