Dossier dans Le Journal du Geek
Et si la panne Facebook avait continué ?
Pendant quelques heures, la panne de Facebook a paralysé une partie du monde. Mais comment le monde aurait réagi si l’incident s’était éternisé ?
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Le 4 octobre dernier, le monde numérique s’est trouvé paralysé pendant près de six heures. Frappés par une panne sans précédent du groupe Facebook, les plus gros réseaux sociaux de la planète ont cessé de fonctionner, obligeant les internautes à changer leurs manières de communiquer, de se divertir et de s’informer. Mais que se serait-il passé si la panne du géant du web avait duré six jours, six mois ou six ans ?
Six heures : communiquer
En seulement quelques heures, ce sont plusieurs centaines de millions d’internautes qui ont dû modifier leurs habitudes. Privés de Facebook Messenger et WhatsApp, il a bien fallu trouver un moyen de communiquer, ne serait-ce que pour commenter le blackout mondial du géant technologique ou organiser cette soirée entre collègues prévue de longue date.
Alors que les applications Signal et Telegram ont vu débarquer plusieurs millions de nouveaux utilisateurs sur leurs plateformes, c’est Twitter qui s’est imposé comme le grand gagnant de la panne, s’étonnant lui-même de cette soudaine popularité. En quelques heures, le réseau social à l’oiseau bleu était devenu le point névralgique d’une situation jusqu’alors inédite, puisque même le groupe Facebook avait choisi d’y assurer sa communication.
Privés de nos biais traditionnels, la priorité a logiquement été de contourner la situation, en téléchargeant de nouveaux outils, ou en optant pour certaines fonctionnalités oubliées. Ainsi, les appels et les SMS aussi, ont eu droit à leur moment de gloire. Délaissés par le grand public depuis l’arrivée des plateformes web – une situation qui pourrait bientôt changer avec l’arrivée du protocole RCS – les moyens de communication “classiques” se sont finalement imposés comme les plus fiables en temps de panne.
Six jours : se divertir
Une fois le capharnaüm des premières heures passées, la panne Facebook a soulevé une autre problématique, celle de notre dépendance aux réseaux sociaux. Car en l’absence d’Instagram et consorts, c’est un important “temps de cerveau humain disponible” qui se retrouve inutilisé, rappelle Khalil Mouna, directeur général et co-fondateur de l’application Gleeph : “On parle d’une moyenne de deux heures par jour sur les réseaux sociaux pour les 15-34 ans, c’est énorme. Et avec la panne, ce temps on ne savait pas quoi en faire”. Privés de vidéos de chats, de tutos express et de citations inspirantes, notre intérêt a – difficilement – dû s’accrocher à quelque chose d’autre.
Si la panne Facebook avait duré plusieurs jours, c’est sans doute cette dépendance de temps d’esprit qui aurait pris le pas sur notre besoin de communiquer, plus facilement résoluble. “Les réseaux sociaux sont basés sur un système de récompense immédiate, c’est une mécanique de drogue à court terme”, explique Khalil Mouna. “C’est pour ça qu’on a besoin de combler immédiatement ce vide, en fléchant vers quelque chose d’autre”. Un des multiples “effets nocifs et délétères” des GAFAM, analyse Luc Rubiello, président de l’association INNOOO (INNOvation Ouverte par Ordinateur, qui milite pour un Internet français sans publicité et sans GAFAM), et qui “au cas par cas, explique la dépendance aux outils de Facebook”.
En nous obligeant à nous divertir autrement, la panne Facebook aura aussi permis à certains réseaux sociaux alternatifs de tirer leur épingle du jeu. Au lieu de scroller indéfiniment le long de l’algorithme d’Instagram, les internautes se sont tournés vers d’autres plateformes, comme Netflix, Spotify ou encore Gleeph, un réseau social dédié à la lecture. “On a enregistré un pic d’activité historique jamais atteint depuis trois ans” se félicite le co-fondateur de la plateforme. Ça prouve que même si les applications comme la nôtre n’ont pas la même rétribution immédiate sur le cerveau, c’est un bon espoir sur le long terme”.
Six mois : repenser les réseaux sociaux
Et si arrêter de scroller indéfiniment – cette manie qui inquiète tant Tim Cook, le PDG d’Apple – nous permettait de nous rapprocher du réel ? En s’éloignant temporairement de l’algorithme Facebook, force est de constater que l’addiction des premiers jours, d’abord dictée par le besoin de communiquer, puis celui de divertir notre cerveau, s’estompe peu à peu. Sans doute de quoi expliquer le succès de la tendance digital detox, qui depuis déjà plusieurs années, nous invite à nous éloigner volontairement des écrans.
Dans le cas hautement improbable où l’entreprise de Mark Zuckerberg serait contrainte à l’arrêt pendant plusieurs mois, il y a fort à parier que nos habitudes changeraient drastiquement. Plutôt que de considérer les réseaux sociaux comme une finalité, les plateformes restantes pourraient plutôt s’imposer comme un moyen d’accéder à un divertissement “plus qualitatif, et avec davantage de sens”, estime Khalil Mouna : “Quand on lit un livre, quand on regarde un film, qu’on écoute de la musique, ou n’importe quoi d’autre, on enrichit ses connaissances à travers des souvenirs qui restent. Avec les réseaux sociaux de Facebook, on se sent vide, il ne ressort rien”. Dans tous les cas, il faudrait s’attendre à une baisse drastique de notre temps passé sur les réseaux sociaux.
Peut-on imaginer un monde sans GAFAM ?
Évidemment, il y a très peu de chance qu’une panne de l’ampleur de celle connue par Facebook ne s’éternise. Comptant parmi l’une des plus grosses entreprises au monde, le géant américain n’aurait sans doute aucun mal à minimiser la portée d’un tel incident, synonyme de pertes financières conséquentes pour lui. Ces dernières semaines nous ont pourtant prouvé qu’aussi puissant soit-il, c’est tout l’écosystème de Facebook qui pouvait être mis à l’arrêt pour une simple erreur humaine.
Même si elle n’aura duré que quelques heures, cette panne généralisée de Facebook s’impose finalement comme “un très bon test” à grande échelle, analyse Khalil Mouna : “Ça prouve qu’on peut concrètement s’en passer. Par contre, il faut être réaliste, tant que les GAFAM existent, ce sont eux qui gagneront. C’est une question de poids. Quand on est une entreprise à la valorisation boursière de centaines de milliards d’euros, on est bien trop puissant”.
Si la disparition des GAFAM paraît peu probable, c’est en jouant sur leur propre terrain que des plateformes plus modestes pourraient tirer leur épingle du jeu. Tandis que certaines plateformes misent désormais sur un contenu plus qualitatif, en France, le réseau INNOOO aspire à retrouver un Internet indépendant et sécurisé, loin de l’hégémonie des GAFAM.
Rappelons que certains pays ont déjà fait le choix de se passer du groupe Facebook, à l’image de la Chine et la Russie. Moins radicale, l’Europe aspire aujourd’hui à réguler la présence et le pouvoir des GAFAM sur son territoire. Un projet compliqué, à l’heure où Facebook possède une valorisation boursière de 442 milliards d’euros, soit plus que le PIB de la Norvège, de l’Irlande ou du Danemark. Difficile dans ces conditions de faire pencher la balance en faveur de l’utilisateur.