La Défense d’aimer, Domitille Marbeau Funck-Brentano (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge 20.08.20 dans La Une Livres, Critiques, Les Livres, Roman, L’Harmattan
La Défense d’aimer, Domitille Marbeau Funck-Brentano, octobre 2019, 145 pages, 15,50 €
Edition: L’Harmattan
La Défense d’aimer, titre repris d’une œuvre de jeunesse de Richard Wagner, donne le « la » de ce court roman : la passion amoureuse est-elle un philtre mortel ? Faut-il s’interdire ces élans d’illusions sublimes… mais si fragiles ? L’art n’est-il pas une plus douce consolation que la passion amoureuse ? Le récit se déroule en 1978 à Bayreuth, pendant le Ring de Wagner par Chéreau/Boulez. Cet univers wagnérien nous rappelle instantanément le dilemme Nietzschéen : Apollon ou Dionysos, la mesure ou au contraire l’exubérance. La musique de Wagner donne envie aux deux protagonistes, Domitille et Jean-Pierre, surnommé « Fasolt », de « s’égarer dans ce long crescendo où la musique fait grandir insidieusement le désir d’aimer ». Ce roman mêle la passion de l’opéra aux amours romantiques, rythmée par un style joliment poétique. C’est une alchimie qui se lit comme une partition musicale et philosophique. Comme mentionné au dos du livre, c’est l’histoire d’une « double passion amoureuse et lyrique ». Mais au fond ne s’agit-il pas de la même passion ? L’art tire sa puissance du fait qu’il transforme le chaos de la passion amoureuse en œuvre sublime.
« Le ciel offre cette douceur des fins d’été où la chaleur a perdu de son arrogance ». Plus besoin de verbiage, le langage des sonates suffit. Domitille et Jean-Pierre sont attirés par leurs ombres lumineuses que crée la musique wagnérienne autour d’eux. Ils sont emportés par cet « accès au paradis qui apaise tous les maux ». Ils sont en communion avec des êtres d’exception. La flamme musicale crée des liens indéfectibles. Elle est comme un philtre magique qui accomplit un dessein d’amour universel, celui d’atteindre « l’essence même de l’Univers ». Wagner ne décrit pas que les passions humaines, mais aussi « l’affirmation d’un monde créé par l’homme pour vaincre son destin ».
Malgré la puissance de la musique de Wagner, Domitille hésite à lâcher prise. Tout récemment divorcée, elle a peur de se lancer dans une aventure où la chute pourrait être brutale. Elle se méfie des écrivains brillants qui ont besoin d’une muse pour renouveler leur inspiration. Ils recherchent une stimulation qui au bout d’un certain temps se tarit… et les muses valsent et se succèdent. L’auteur appréhende les soudaines et puissantes idylles qui arrachent son « corps à la nuit » et l’abandonnent au crépuscule. Son « narcissisme enfantin », la façon de Jean-Pierre de photographier la vie, attendrissent et intriguent la narratrice. Mais ils la renvoient à « ses propres faiblesses », celle d’aimer séduire ses partenaires « sans jamais souffrir de dépendance ». Elle déteste l’angoisse d’attendre, l’incertitude. Elle se demande alors si l’amour des émotions artistiques, de la musique, du mystère est suffisant pour se rapprocher. Mais la transgression est un acte poétique. « Je vis avec une force inouïe le crépuscule de notre lien, véritable anneau dont le fondement repose sur la musique de Wagner ». Et l’intimité finit par rendre aux hommes toute leur humanité. Domitille se retrouve face à un homme, non plus Fasolt, mais Jean-Pierre, sans la magie de Wagner, avec la fantaisie néanmoins de l’inattendu.
Elle n’oubliera pas la puissance de cette transgression : savoir vivre l’instant sans retour.
Ce livre permet aux non connaisseurs de se familiariser en douceur avec le Ring de Wagner. Et il est aussi dédié à ceux qui ont peur de prendre le risque d’aimer, d’embrasser le sublime que l’on sait éphémère. Mais aussi si nietzschéen.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
Après des études de lettres et de sciences humaines, Domitille Marbeau Funck-Brentano a travaillé pendant 18 ans dans le secteur culturel (Orchestre national de France, Ministère de la Culture et la SACEM). Son premier roman, L’Echo répété des vagues, a reçu le « coup de cœur des bibliothécaires » en 2012.
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