La revue des comptoirs : Quel a été votre pire moment de découragement et votre meilleur souvenir ?
Franck Archimbaud : Le pire, c’est quand nous avons compris qu’il y allait avoir plusieurs temps dans le confinement, que finalement ce n’était pas juste un trimestre. C’est à ce moment-là que je me suis inquiété. Tenir trois mois c’est une chose, mais plus c’est compliqué. Le meilleur a été le fait de marquer un temps d’arrêt. Quand on a une entreprise, on ne fait plus la part des choses entre nous et elle, c’est un peu comme notre bébé, on s’investit énormément. Il faut reconnaitre que marquer une pause ce n’était finalement pas si mal. Pour ma part, cela m’a permis de faire le point. Donc c’est un mélange de moments de bonheur et de désastre pour notre secteur.
RDC : Comment avez-vous entretenu la flamme ? Brûle-t-elle toujours ?
FA : Oui, la flamme brûle toujours car je suis avant tout un cuisinier. Elle part du produit brut, des saveurs, des fruits, des légumes, des épices, des matières premières de qualité. Je suis un gourmand au départ, un amoureux des produits. Après, il y a l’acte de cuisiner. On met tout notre cœur dans la préparation d’un plat. Donc j’ai eu envie de préparer de bons repas à ma famille, cela entretient la flamme. Le cran d’après est de faire de notre passion un métier et cela demande beaucoup d’énergie, or elle a pris un coup pendant cette période d’arrêt.
RDC : Comment avez-vous utilisé ce temps libre inattendu ?
FA : Finalement, je n’ai jamais vraiment décroché. J’ai été très mobilisé au pilotage de mon entreprise. Il me fallait trouver du financement pour survivre. Une société, c’est un peu comme un avion, il faut rester en l’air, faire entrer de l’argent, assurer des salaires, régler les charges… Quand d’un seul coup tout s’arrête, l’avion va piquer du nez, il faut trouver des stratégies pour éviter qu’il ne tombe. Certains sont déjà tombés malheureusement et peut-être que d’autres vont continuer. Toutefois, j’étais davantage chez moi et j’avais nécessairement plus de temps libre. J’ai ressenti le besoin de faire un point et d’écrire un livre [son autobiographie, L’homme qui voulait Otrechoze, NDLR]. J’ai commencé le métier à 14 ans et depuis c’est une course contre la montre. En général, les gens comme moi n’écrivent pas, mais là d’un coup j’ai eu beaucoup de temps. Je me suis rendu compte que j’étais toujours en train de courir, depuis 40 ans, mais aussi que nos carrières sont intéressantes. Écrire m’a permis de poser tout ce que la vie m’a enseigné. En parallèle de mes activités, j’ai donc décidé de mettre en place un projet de transmission et j’ai créé une société de conseils pour les restaurateurs. Je veux leur faire gagner du temps et partager mon expérience.
RDC : Qu’est-ce qui a changé chez vous durant cette parenthèse ?
FA : Dans les conseils que je vais tenter de transmettre, je dirais qu’il est important de prendre du temps pour soi, ne pas être dans l’acte de consommation en permanence. Mon livre, c’est l’histoire d’un jeune de 14 ans issu d’un milieu modeste, qui ne savait pas quoi faire comme métier. Puis, qui a pensé à être pâtissier et ensuite cuisinier. À partir de là, tout s’enchaîne. Les stages, les restaurants en France et à l’étranger, les postes à responsabilités… C’est toujours une course vers les autres. Mais finalement, la véritable quête commence par une course vers soi-même, un temps consacré à soi pour vraiment savoir qui on est. Donc, il faut savoir trouver son équilibre de vie. Prendre soin de soi est essentiel et dans ce parcours je n’avais jamais appris à le faire. Préparer des repas, des mariages, cuisiner c’est une course contre la montre, un tempo, nous sommes toujours en train de courir derrière un objectif de générosité. Finalement, même si dans l’avenir je vais être toujours autant mobilisé par le travail, je vais m’organiser autrement.
RDC : Avez-vous des regrets ?
FA : Non, pas vraiment.
RDC : Comment jugez-vous l’action du gouvernement face à la pandémie ?
FA : Globalement, ce n’était pas trop mal. Je ne sais pas si j’aurais fait mieux, je ne veux pas critiquer. Mais, le choix d’avoir ralenti la vie en sacrifiant la culture et les restaurants, c’est une décision lourde de conséquences. Cela va me couter cher à moi, au secteur, et cela va aussi laisser des traces dans la société.
RDC : Pensez-vous que votre entreprise survivra ?
FA : Il va y avoir de la casse, mais elle va survivre. Elle a pris une claque, je vais perdre 50 % de mon entreprise en termes de CA. Je ne récupérerai jamais l’équivalent d’avant crise. D’ailleurs, selon moi 50 % des professionnels des CHR ne vont pas repartir de la même manière. On constate un changement de société profond. Les gens se sont posé des questions. Tous les restaurateurs le disent, ils ne vont pas retrouver leur équipe. Dans mon entreprise, sur mes 15 employés, deux jeunes ne reviennent pas pour des raisons familiales, deux ont changé de métier, d’autres changent de région. J’ai anticipé le recrutement pendant la covid, mais il va y avoir un manque. Je vais embaucher au fur et à mesure de la saison.
RDC : Et si la crise avait aussi du bon ? Sortez-vous plus fort de cette épreuve ?
FA : Oui, dans l’ensemble, il y a du positif, parce que pour a première fois j’ai eu le temps de tracer un chemin vers moi-même. Grâce à ça, je me suis découvert et je me suis recentré. J’ai pu écrire un livre et mettre au point un projet de transmission, donc cela a été riche de créativités. Aussi, je suis impatient de voir au niveau de la société ce que ça a généré en termes de créativité. Quand on reste un an à la maison, quand on ressort, on a imaginé plein de nouveaux projets.
RDC : Comment entrevoyez-vous l’avenir ? Quels sont vos projets de développement ?
FA : Je vais être obligé de fermer certaines sociétés, et je vais mettre plusieurs années à m’en remettre. Je vais devoir réduire la voilure. J’ai arrêté tout projet de développement. Je vais surtout réorganiser mon temps pour conseiller car j’ai énormément à transmettre. J’ai une caisse à outils pleine de solutions et d’astuces qui vont faire gagner un temps fou aux entrepreneurs de la restauration, les plus jeunes notamment. La société va tourner la page, reprendre ses habitudes, mais nous devons faire face à nos endettements. Nous avons pris un coup, il nous faut de la force pour tenir.