Un coffret en or de 750 000 € à gagner pour les mordus d’histoire et de chasse au trésor
Son nom est connu de tous les « chouetteurs », cette communauté de joueurs qui tentent de résoudre une chasse au trésor jamais résolue depuis 28 ans. Si Michel Becker n’est pas le cerveau qui a imaginé les rébus, codes et autres énigmes publiés en 1993 dans l’ouvrage intitulé Sur les traces de la chouette d’or, l’artiste est bien le concepteur de l’objet tant convoité, le prix de la victoire : une statuette représentant le rapace, faite d’argent et d’or, piquée de rubis et de diamants, de 50 centimètres d’envergure, d’une valeur estimée à l’époque à un million de francs, soit un peu plus de 150 000 € aujourd’hui.
« À l’époque, un de mes amis, industriel spécialisé dans la fabrication d’objets en or pour les grandes marques de luxe voulait lancer sa propre marque, se souvient aujourd’hui l’intéressé. Il recherchait un moyen de médiatiser cela, et c’est comme cela qu’il a rencontré Régis Hauser, alias Max Valentin. » Consultant en marketing et professionnel du secteur de la communication, l’homme propose alors une chasse au trésor, avec une statuette en or à gagner.
« Cela faisait plusieurs années qu’il avait cette idée dans sa besace, poursuit Michel Becker.Il s’était inspiré de la chasse Masquerade, un jeu créé par Kit Williams en 1979 au Royaume-Uni, où les énigmes menaient à la découverte d’un lièvre en or, déterré en 1982. »
Un mystère qui dure depuis 28 ans
Régis Hauser propose à ses deux acolytes de faire gagner un œuf. « Mais l’objet était trop connoté dans le monde de la joaillerie, avec Fabergé, précise Michel Becker. C’est moi qui ai proposé la chouette, pour des raisons liées à ma généalogie et pour le client qui voulait une référence aux rois de France et à la chouannerie… »
Mais quelques mois plus tard, alors que Régis Hauser planche sur les onze énigmes à résoudre et que Michel Becker peint les illustrations du bouquin, le joaillier jette l’éponge. « Hauser était déçu d’abandonner, et il m’a poussé au crime en proposant de lancer avec lui cette chasse au trésor, en me laissant miroiter des ventes de livres qui pourraient me permettre de couvrir mon investissement, si je décidais de fabriquer moi-même la chouette d’or… »
L’artiste s’exécute, le livre est publié à 50 000 exemplaires et, depuis 28 ans, plusieurs milliers de personnes – entre 250 et 500 000 participants – se sont lancées à la recherche de l’artefact, enterré quelque part en France.
Au début, Régis Hauser répondait aux chasseurs par le biais du minitel, puis par internet. Mais celui qui a imaginé le jeu – et le seul à connaître l’endroit exact de la cachette, est décédé en 2009, emportant avec le secret avec lui dans la tombe.
Lancer un nouveau jeu
Alors que la chasse au trésor est encore en cours, faisant d’elle l’une des plus longues de l’histoire, Michel Becker craint que la chouette ne soit jamais retrouvée. Malgré ce scénario, il a pris goût à cet univers qu’il a découvert il y a près de trente ans par hasard. Et c’est tout naturellement qu’il a imaginé un nouveau jeu, qui sera lancé le 8 avril prochain.
Cette chasse au trésor doit se dérouler des deux côtés de la Manche, avec, à la clé, un coffret en or, d’une valeur estimée à près de 750 000 €. Cet objet a été offert en 1904 par le roi d’Angleterre Édouard VII au président de la République française Émile Loubet lors de la signature de l’Entente cordiale.
La date pour cette nouvelle chasse au trésor n’a d’ailleurs pas été choisie au hasard : elle coïncide avec l’anniversaire de la ratification de cet accord entre la France et le Royaume-Uni, le 8 avril 1904. « J’ai eu la chance de découvrir cet objet historique lors d’une vente aux enchères relativement confidentielle à Monaco en 2017, raconte Michel Becker. Son propriétaire de l’époque voulait le céder, mais il n’a pas trouvé preneur, passant relativement inaperçu. » L’objet, poursuit-il, « ne fait pas rêver par sa conception artistique, personnellement je le trouve un peu kitsch ».
« Ce qui m’a le plus impressionné, c’est qui l’a offert, qui l’a reçu, et la symbolique dont il est porteur, explique Michel Becker. C’est plus pour moi une pièce qui a vocation à finir dans un musée. Je ne pensais pas qu’un tel objet puisse circuler comme cela dans la nature. L’Entente cordiale dont il est le symbole, ce n’est quand même pas un événement mineur au XXe siècle ! »
Derrière l’objet, des manœuvres militaires et diplomatiques
En effet, à l’époque, alors que les tensions se font de plus en plus pressantes entre les grandes puissances européennes, rien ne laisse supposer un accord entre la France et son ennemi multi-centenaire qu’est la « perfide Albion ». D’autant plus que le kaiser Guillaume II est le neveu d’Édouard VII et le cousin du tsar Nicolas II, et le souverain allemand rêverait de nouer une alliance familiale, afin d’écraser la France comme en 1870 et démanteler ses colonies.
« En 1902, la possibilité d’un tel accord est réelle : depuis quelques années, la France et l’Angleterre sont en très mauvais termes politiques, explique l’historien anglais Stephen Clarke, qui explique le contexte dans l’ouvrage de présentation du jeu. Leur rivalité pour conquérir l’Afrique mène d’abord, en 1898, à une confrontation au Soudan. Les Britanniques essaient alors d’ouvrir une route nord-sud entre leur colonie en Égypte et Le Cap en Afrique du Sud. Parallèlement, les Français visaient la création d’une chaîne de colonies entre le Sénégal, sur la côte ouest, et Djibouti, à l’est… »
Ces velléités débouchent sur la crise de Fachoda, nom d’une petite forteresse au bord du Nil, située à 650 km au sud de Khartoum. Les troupes expéditionnaires françaises et anglaises se font face. « Pendant que les diplomates parlementent autour de Fachoda, des navires britanniques manœuvrent devant les ports de Brest et de Bizerte (la Tunisie étant alors une possession française), précise Stephen Clarke. C’est une menace ouverte. Le danger d’une guerre franco-britannique est immédiat… »
L’escalade est évitée de justesse, mais après cet incident, une grande partie de l’opinion publique de l’Hexagone, tout comme bon nombre de parlementaires français, ne veut pas entendre parler d’accord militaire ou diplomatique avec nos voisins d’outre-Manche.
« Stephen Clarke m’a révélé que la signature de l’Entente cordiale n’a été possible que par la volonté et l’abnégation d’Édouard VII et d’Émile Loubet, et leurs relations construites en amont », explique Michel Becker.
Voyages diplomatiques, entrevues secrètes à l’étranger… Dix ans avant le début de la Première Guerre mondiale, l’Entente cordiale est la première pierre des alliances nouées par la France.
« Face à toute cette histoire, je me suis dit qu’un tel objet ne pouvait pas rester dans l’ombre, poursuit l’artiste. C’est pourquoi j’ai décidé de le remettre sur le devant de la scène. Le meilleur moyen, selon moi, d’une part de l’acquérir – puisqu’il faut quand même le financer – et ensuite de l’offrir aux yeux du public – puisque personne ne l’a jamais vu – était de reprendre le canevas d’une chasse au trésor ! »
Une équipe de professionnels et des indices dans un roman
Cette fois-ci, le jeu est organisé dans les règles de l’art. Pour éviter les écueils de la chouette d’or, Michel Becker s’est entouré d’une équipe de professionnels, comme l’explique l’artiste.
« À la différence de Régis Hauser, qui était un homme de marketing pur et qui travaillait seul, j’ai fait appel cette fois-ci à Vincenzo Bianca, un spécialiste de ce genre de jeux qui, avec son agence, a déjà conçu des projets ludiques et créatifs pour des institutions comme le musée du Louvre ou RTBF, la télévision belge, précise Michel Becker. Nous avons travaillé ensemble pour élaborer la trame du jeu et connaissons tous les deux les emplacements. »
Les énigmes s’inscrivent dans un roman, Le trésor des Edrei, un conte dystopique écrit par la jeune autrice Pauline Deysson. L’ouvrage se compose de ce texte, accompagné d’une explication du contexte historique de l’Entente cordiale, rédigé par l’historien Stephen Clarke, ainsi que des illustrations du fameux coffret.
« C’est un bel objet en tant que tel, précise Michel Becker. Pour ceux qui voudront se lancer dans le jeu et mettre toutes les chances de leur côté, ils pourront se procurer en plus une carte interactive ainsi qu’un guide du chasseur de trésor. »
De l’aveu même de Michel Becker, il faudra tout d’abord se plonger dans l’histoire et les illustrations, afin d’en tirer tous les éléments. « L’idée est de pousser les lecteurs à fouiller le texte et son vocabulaire qui peut parfois être déroutant, à examiner en profondeur les œuvres présentées. C’est très pédagogique à une époque où on a plus l’habitude de survoler un texte ou jeter un œil à un tableau. L’idée est d’affûter l’esprit du chercheur ! »
« Ce n’est qu’à ce prix, poursuit-il, que les joueurs auront les éléments pour découvrir les deux éclats de géodes, l’un caché en France, l’autre en Grande-Bretagne, destinés à être regroupés à l’intérieur de l’anneau d’une clé, pour la rendre opérationnelle, afin qu’elle puisse ouvrir le coffre transparent dans lequel repose le trésor… »
Le trésor exposé à Rochefort, en Charente-Maritime
En attendant son gagnant, le trophée sera exposé au public d’ici l’été au Lingot d’Art, à Rochefort-sur-Mer (Charente-Maritime). Situé dans l’ancien château d’eau de la ville, l’espace regroupera la galerie d’art de Michel Becker ainsi que le musée de la Chouette d’or, où le public pourra admirer le fameux oiseau de nuit, qui reste à gagner, 28 ans après le début de la chasse au trésor, ainsi que la pièce historique de l’Entente cordiale.
Dernière précision, pour les chasseurs qui envisageraient déjà de sortir pelles et pioches pour aller prospecter, et qui se sentiraient bridés en période de crise sanitaire et en plein Brexit : « Selon moi, on peut bien avancer à partir du livre et des infos glanées sur internet, confie Michel Becker. Mais contrairement à la chouette d’or, les énigmes indiquent un endroit précis. Tant qu’on n’a pas cela, ce n’est même pas la peine de se déplacer ! »