Patricia Rodrioguez est l’auteur de « A la recherche de l’utérus perdu », Editions Des femmes (2006)
Sociétés et cultures de l’Amérique Latine
« Le centre du monde, c’est précisément où tu te trouves. » Talmud
Le regard de l’autre – Patricia Rodriguez
Notre planète a de nombreux centres ; des nombrils telluriques unis à des placentas nourriciers, vers lesquels les forces du monde souterrain rejoignent celles du monde visible et celles du cosmos. En tant que Mexicaine, je me trouve sur le nombril de la lune, car c’est ce que signifie, en langue nahuatl, le nom de Mexico. Et je n’écris pas dans cette belle langue indigène, que je ne connais pas, mais dans le langage des colons, qui est le mien.
La colonisation en Amérique latine a été la rencontre de deux cultures différentes, et l’une s’est imposée au détriment de l’autre. Pendant sa formation, de la part des colonisateurs, se sont créées des visions dans lesquelles ne furent pris en compte que les idéaux et les préceptes européens ; mais les indigènes se sont eux aussi créé bdes visions des colonisateurs à partir de leurs préceptes et de leurs idéaux. Nous échangeons notre propre perspective contre celle de l’autre en considérant et en prenant en compte le point de vue, la conception du monde, les intérêts, l’idéologie de l’autre, non en donnant pour acquis que celle de « l’un » est la seule possible.
Lacan pensait que l’Autre est en même temps le prochain et tout l’ensemble des sujets qui constituent la culture et la société depuis l’origine de l’humanité. Le sujet est parlé par l’Autre et sa variation, le sujet est pensé par l’Autre. C’est à partir de l’Autre que le sujet possède un langage et à partir de l’Autre que le sujet pense. Si « la limite de mon monde est la limite de mon langage », les colonisés, en s’appropriant la langue espagnole, ont élargi les limites de leur monde. Et rappelons-nous que « les mots sont une forme d’action capable d’induire des changements. » Il n’est pas toujours vrai que « l’autre est celui qui aliène » ou que « l’enfer, c’est les autres ». La solitude nous pousse à nous rapprocher des autres. Octavio Paz disait que « l’homme est le seul être qui se sent seul et le seul qui est recherché de l’autre ». Voici un fragment de son poème Piedra de sol :
Je suis autre quand je suis, mes actes / Sont plus à moi s’ils sont aussi à tous, / Pour que je puisse être je dois être autre, / Sortir de moi-même, me chercher parmi les autres / Je ne suis pas / Les autres qui ne sont pas si je n’existe, / Les autres qui me donnent pleine existence, / Le moi n’existe pas, nous sommes toujours nous, / La vie est autre…
L’écrivain transforme ce qui est connu en autre chose, en ne donnant pas pour acquis que sa vision soit la seule possible. On n’est pas écrivain parce qu’on a choisi de dire certaines choses, mais pour la forme dans laquelle ces choses sont dites.
Patricia Rodriguez Saravia Traduit par Christian Roinat