Malheureux comme un populiste au Parlement européen
Pierre Ménat, diplomate de carrière, a suivi de l’intérieur la marche de l’Europe pendant plus de trente ans. Conseiller de deux ministres des Affaires étrangères (Jean-Bernard Raimond et Alain Juppé), puis conseiller du président Chirac pour l’Europe, deux fois directeur des Affaires européennes au Quai d’Orsay, il a également servi comme ambassadeur de France en Roumanie, Pologne et aux Pays-Bas.
Une tribune de Pierre Ménat, ancien ambassadeur
S’ils ont progressé dans les urnes, les populistes de droite n’ont pas encore montré leur capacité à s’organiser. De plus, le Brexit à venir devrait réduire leur poids à Strasbourg. Les désaccords sur la Russie ou l’économie rendent les discussions et alliances difficiles…
L’histoire n’est pas finie, mais elle s’accélère. Du 23 au 26 mai, les peuples des 28 Etats-membres de l’Union européenne ont élu le nouveau Parlement européen. Oui, 28 Etats-membres, puisque le Royaume-Uni l’est encore et a désigné ses représentants à cette assemblée. C’était il y a trois semaines et l’on en parle presque plus. Or rappelons-nous ce que l’on nous a dit pendant la brève campagne. Cette élection était le combat des « progressistes contre les nationalistes » ou, vu de l’autre bord, « des mondialistes contre les patriotes ». Nous avons aujourd’hui un peu plus de visibilité sur le nouveau Parlement européen. Tant que le Brexit n’est pas intervenu, cette assemblée compte 751 membres. Et même si la composition des groupes n’est pas définitive, cinq remarques peuvent être faites. La première était attendue : le Parti populaire européen (droite modérée) et les Socialistes et démocrates (gauche modérée) ne disposent plus, ensemble, d’une majorité absolue. Le PPE (179 sièges) et Sociaux et Démocrates (153) sont loin des 376 voix requises. La deuxième est la progression de l’ancien groupe ALDE, renommé « Renew Europe », qui regroupe 109 membres, essentiellement du fait de l’arrivée de 22 députés français de « La République en marche ». Troisième remarque, la progression des Verts, dont le groupe passe de 52 à 69 membres. Quatrième remarque : la « Gauche unie européenne », c’est-à-dire l’extrême-gauche, recule assez nettement (de 53 à 38). Cinquième remarque : si l’on admet que les « progressistes » se reconnaissent dans les familles de la droite modérée, de la social-démocratie, des libéraux-centristes et des Verts, celles-ci rassemblent 510 sièges, là où les « nationalistes » n’en réunissent que 176.
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Ces cinq remarques conduisent à deux questions :
D’abord, quelle majorité pour cette nouvelle assemblée ? En fait, cette interrogation doit être relativisée. L’ex-majorité PPE/Sociaux et Démocrates ne se constituait que pour les désignations et la répartition des postes. Elle va devoir s’élargir soit à « Renew Europe » et aux Verts, soit à l’un de ces groupes seulement. Par la suite, lors des débats de fond sur les textes, se forment des majorités de circonstance, qu’Edgar Faure appelait plus joliment des majorités d’idées. Ce système va continuer.
La seconde question est celle de savoir si les « patriotes » ou « nationalistes » ont progressé lors de cette élection. La réponse est oui, mais très faiblement.
Good bye, Mister Farrage !
On ne pourra comparer le Parlement de 2019 à celui de 2014 que lorsque tous les groupes seront constitués. Mais dans l’assemblée élue il y cinq ans, trois groupes appartenaient à cette mouvance politique : les conservateurs et réformistes européens (CRE, 75 sièges), Europe des libertés et de la démocratie directe (ELDD, 41 sièges) et Europe des Nations et des libertés (ENL), groupe formé par Madame Le Pen (37 sièges). Soit 153 sièges au total. Après le 26 mai 2019, ces formations, dont le périmètre respectif n’est pas encore connu, rassemblent 176 députés. Soit une croissance de 23 sièges, c’est-à-dire 3%.
Les Britanniques, Hongrois, Autrichiens ou Néerlandais sont favorables au libéralisme alors que les Français du RN, les Italiens de la Ligue ou de 5 étoiles ou encore les Polonais du PIS insistent sur le volet social
A y regarder de plus près, cette progression est essentiellement due à la percée de la Ligue italienne de Monsieur Salvini, qui gagne 23 sièges et au parti du Brexit de M. Farrage, qui en conquiert 5. Ces gains sont compensés par de légères pertes, notamment en France, aux Pays-Bas, en Autriche et même en Italie (pour le Mouvement 5 étoiles). De plus, après le Brexit, les 29 sièges de Nigel Farrage seront loin d’être compensés par les 3 supplémentaires qu’obtiendront le RN en France et la Ligue italienne. Donc, une fois le Royaume Uni sorti de l’UE, on constatera que la mouvance populiste de droite reste globalement à son étiage de 2014.
Souverainistes désunis
Au soir du 26 mai, nous avions compris que cette stabilité serait compensée par une plus grande unité de cette famille et par son rassemblement au sein d’un groupe dont l’ossature serait formée du RN et de la Ligue. A partir de l’ancien groupe ENL s’en créerait un nouveau qui pourrait réunir plus de 100 membres.
Or, nous constatons que cette entreprise n’a que très partiellement réussi. Certes, le nouveau groupe Identité et démocratie comptera 73 membres, s’enrichissant donc de 36 parlementaires. Mais de gros bataillons lui manqueront : les conservateurs polonais resteront au sein de CRE, M. Farrage conservera son autonomie, le FIDESZ de M. Orban ne rêve que de retrouver toute sa place au sein du PPE.
De profondes divergences sur l’euro, l’économie ou Poutine
Jusqu’ici largement dominé par le RN, ce nouveau groupe IED sera présidé par un membre de la ligue italienne, Monsieur Marco Zanni. Nous observons donc un double échec, de progression et de fédération. Peut-être le premier est-il temporaire ; mais le second est plus structurel, car il reflète les fortes oppositions entre représentants du populisme de droite.
Certes, deux facteurs les unissent : la lutte contre l’immigration et le souverainisme, lequel les conduit à une contestation radicale de l’Union européenne telle qu’elle est.
Mais de profondes divergences subsistent sur deux questions, qui dépassent d’ailleurs les frontières des groupes. Les Britanniques, Hongrois, Autrichiens ou Néerlandais sont favorables au libéralisme alors que les Français du RN, les Italiens de la Ligue ou de 5 étoiles ou encore les Polonais du PIS insistent sur le volet social. Diplomatique de l’autre : RN, Ligue, AFD allemande ne dissimulent pas leur volonté de se rapprocher de la Russie de Poutine, ce qui révulse les Hongrois ou les Polonais.
Même sur la question migratoire, fédératrice par excellence, on constate, au sein même du groupe IED, un grand écart entre la Ligue, qui en appelle à une forte solidarité européenne et le RN qui prône une renationalisation totale de cette politique.
Il n’y a pas de peuple européen
Bien entendu, de semblables divergences existent aussi au sein des groupes majoritaires. Bien d’autres sujets divisent d’ailleurs les Européens, qu’il s’agisse de l’écologie ou des questions institutionnelles.
Aussi ce nouveau Parlement européen demeure-t-il formé d’une mosaïque de familles et d’idéologies dont le regroupement conservera toujours un caractère artificiel. Car ces parlementaires sont élus non pas par un peuple européen qui n’existe pas mais par les peuples de chaque Etat. Les membres du Parlement européen exprimeront leurs identités nationales avant même que de contribuer à la formation d’une identité européenne.
Mais dans cet exercice, il est à craindre que les Français, dont la représentation est très éclatée, continuent à être moins performants que d’autres qui, tels les Allemands, veilleront à la défense de leurs intérêts nationaux.