Vaccins: «L’Europe a manqué de réactivité et de combativité»
FIGAROVOX/TRIBUNE – La lourdeur des mécanismes décisionnels européens a pesé sur la campagne vaccinale, observe le diplomate Pierre Ménat. Au point que certains États-membres commencent déjà à contourner Bruxelles: la France, ajoute-t-il, serait bien inspirée de les imiter.
Objectifs: éviter les courses nationales aux vaccins, assurer l’accès égal des citoyens européens au traitement vaccinal et contribuer à l’acheminement des vaccins vers les pays tiers les plus démunis (ce dernier volet demeurant «en construction»).
À cette fin, la Commission a engagé des négociations avec les laboratoires intéressés pour réserver des doses de vaccins, sachant que leur répartition entre les États se ferait selon au prorata de leur population. Ainsi la France bénéficierait à hauteur de 15% de toutes les doses précommandées par la Commission.
Dans ce cadre, des accords comportant la promesse d’achats d’un certain nombre de vaccins ont été conclus par la Commission, agissant au nom des Etats-membres, avec six laboratoires, dans l’ordre chronologique: AstraZeneca (Royaume-Uni, août 2020) ; Sanofi (France, septembre) ; Janssen (filiale belge de l’américain Johnson &Johnson, octobre) ; Pfizer-BioNTech (USA-Allemagne, novembre et janvier 2021) ; CureVac (Allemagne, novembre) ; Moderna (USA, novembre).
La mise en œuvre de cette action commune révèle la lourdeur des mécanismes européens de décision.
Ces contrats furent conclus pour un montant total de 2,1 milliards d’euros couvrant les pré-commandes de 2,2175 millards de doses, les vaccins eux-mêmes demeurant à la charge des États. Pour que ces accords entrent en vigueur, les produits concernés devaient recevoir l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’agence européenne des médicaments située à Amsterdam. À ce jour, cette agence a accordé de telles autorisations aux vaccins Pfizer-BioNtech le 21 décembre 2020 et Moderna le 6 janvier 2021. À son tour, AstraZeneca a été validé le 29 janvier 2021. Enfin, une certaine quantité de doses doit être produite au sein de l’Union européenne.
Cette stratégie a permis de commander les vaccins à un prix moins élevé et d’assurer un accès minimum de tous les États-membres aux vaccins.
Mais la mise en œuvre de cette action commune révèle la lourdeur des mécanismes européens de décision. L’UE a commandé les doses plus tard que les États agissant à titre national, comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou Israël. Certes ceux-ci ont-ils payé les vaccins beaucoup plus cher mais ne sont pas confrontés aux mêmes ruptures de stocks que les États de l’UE.
Si de vives critiques sont émises en Allemagne, c’est qu’outre-Rhin, on aurait pu imaginer une stratégie reposant sur un écosystème vaccinal allemand: achats non limités par la répartition européenne et facilités par la présence de BioNtech en Allemagne. Un second vaccin allemand, Curevac, atteindra d’ailleurs prochainement sa phase de développement.
Malheureusement, cette option n’aurait pas été ouverte pour la France, où Sanofi va être réduit à un rôle de sous-traitant de Pfizer pour le conditionnement de ses vaccins.
Rappelons cependant le caractère non contraignant de l’engagement des États-membres dans cette stratégie. Ceux-ci ne sont pas tenus d’acheter les doses précommandées par la Commission et sont en principe libres de procéder à des commandes nationales.
Sans renier son engagement européen, la France conserve la liberté d’agréer d’autres vaccins et de commander à tire national les doses adéquates de ceux-ci.
Par ailleurs, l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’agence européenne des médicaments n’est pas un prérequis: les agences nationales de santé conservent la liberté d’autoriser des vaccins non homologués par l’agence d’Amsterdam. C’est dire que la stratégie britannique, dont la mise en œuvre rapide a pu être attribuée au Brexit, aurait en fait pu être adoptée par des États restés dans l’UE. D’ailleurs, l’agence de santé hongroise vient d’agréer le vaccin chinois.
Il n’est donc pas trop tard. Sans renier son engagement européen, la France conserve la liberté d’agréer d’autres vaccins et de commander à tire national les doses adéquates de ceux-ci.
En fait, ce qui est révélé ici est l’absence de réactivité initiale de l’Union européenne et son manque de combativité. L’UE aurait pu très tôt investir dans un fonds d’urgence destiné à soutenir la recherche et la production de vaccins, quitte ensuite à exiger des laboratoires concernés une forte priorité accordée aux livraisons intra-UE.
Il est trop tôt pour porter un jugement définitif sur cette action commune. On peut cependant estimer que l’idée était bonne mais que sa mise en œuvre suscite la déception. Gardons ce cadre commun tout en préservant notre autonomie nationale en complément d’une stratégie européenne qui comporte une certaine efficacité mais aussi des insuffisances.