Jean-Marc Terrasse fait éclater les bulles de Tintin
Rencontres d’Aubrac / Le directeur de l’auditorium du Louvre passe le petit reporter au filtre de la psychanalyse…
Les Rencontres font la part belle aux Imaginaires de l’Eden. Tintin y a sa place. G.C.
Bien sûr qu’il est curieux ce petit reporter qui ne prend pratiquement jamais de notes, rédige encore moins souvent des articles, et n’a de comptes à rendre qu’à sa conscience, ce qui, on en conviendra, autorise quelques accomodements. Mais est-ce que, pour autant, il peut être à même d’intéresser, de passionner, aussi bien les enfants qui rêvent d’évasion comme on rêve d’un sucre d’orge, que les adultes qui perçoivent dans ses aventures un peu plus qu’un aimable passe-temps ? Et même les psychanalystes qui ne conçoivent la lecture qu’allongé sur un divan ?
Tintin réussit ce prodige, la houppe alerte et le pantalon de golf bouffant volontiers sous les bourrasques de l’air du temps. Jean-Marc Terrasse a donc été séduit par ce redresseur de torts accompagné de son fidèle fox-terrier avec lequel, en vieux camaradares, il communique gaiement d’une bulle à l’autre.
Jean-Marc Terrasse est directeur de l’auditorium du Louvre. Universitaire et professeur de littérature, il relit régulièrement Balzac et Proust, Flaubert et Rabelais. Ainsi que des auteurs contemporains allemands, lus dans le texte forcément. L’homme est donc sérieux, et lorsqu’il évoque ses chroniques sur France Culture, au cours desquelles un de ses amis psychologues affirmait, mi-figue mi-raisin, que Tintin descend du roi soleil, on a envie d’en savoir plus. Pour lui, en tous cas, le fait de rapprocher Tintin de la notion d’Eden s’impose comme une évidence : « Tintin, en fait, est un héros. C’est à dire qu’il remet en place l’ordre ancien. Il fait cela dans la première partie de ses aventures, puis Hergé lui construit une famille, une tribu. Un père comme il faut – véritablement « ad hoc » – un grand-père, Tournesol… Il bâtit un monde idéal, c’est à dire sans femmes. Un monde d’hommes, et il s’agira de protéger ce monde d’hommes ».
On ne s’étonnera plus de ce que les petites filles n’accrochent pas autant que les garçons à cet univers qui ne donne toutefois pas dans un certain machisme rugueux et mediterranéen, même si le seul fait de représenter la seule figure féminine par La Castafiore pourrait passer pour une fausse note.
Un fil conducteur comme une ligne claire
Quoi qu’il en soit, Hergé est, pour Jean-Marc Terrasse, « un vrai génie, bien qu’il ait réalisé tout cela de manière inconsciente », montrant bien, ainsi, que toute grande oeuvre échappe à son auteur.
Le directeur de l’auditorium du Louvre insiste sur l’importance des noms propres chez Hergé, à l’image de Séraphin Lampion (l’ange qui apporte la lumière) ou encore de Milou…qui était le nom de la première fiancée de l’auteur. Jean-Marc Terrasse s’est d’ailleurs amusé à répertorier les cases dans lesquelles Milou se fait maltraiter, que ce soit par un perroquet ou par un malfaiteur. Edifiant…
Hergé, « auteur majeur de la langue française », dont le héros est à la fois un boy-scout qui parvient à s’intéresser à la raison d’être d’un objet d’art, était donc, comme tout créateur, un personnage complexe.
Plusieurs lectures de ses albums sont possibles, mais le fil conducteur reste quand même cette fameuse ligne claire, qui concerne le dessin mais pourrait aussi s’adresser à la limpidité du style d’écriture. Tintin, c’est la force mais pas la force brute. La gentillesse mais pas la naïveté. L’honnêteté mais pas la raideur. Oui, quelques pages ouvertes sur l’Eden, sans aucun doute. Avec ou sans la psychanalyse.
Hugues Menatory hmenatory@midilibre.com