Ce devait être au tout début des années soixante-dix, puisque les Editions Des femmes n’étaient pas encore créées. Je me souviens d’une première visite dans une vaste pièce fleurie. Dans ce jardin, on voulait faire ma connaissance parce que, me dit-on, j’étais « une femme en mouvement ». (…)
C’est seulement en 1985 que je pus, à ma grande joie, travailler pour ces éditrices. (…) On me confia deux livres de Lou Andreas-Salomé, Fenitchka et Rodinka. Fénia, l’étudiante, renonce à l’homme qu’elle aime au nom d’une liberté supérieure à tout. Rodinka est le nom d’un domaine dans la campagne russe, Lou Andreas-Salomé y fait revivre ses souvenirs d’enfance, et le jeune Vitaly prépare la Révolution… (…) Dans La Maison, toujours de Lou Andreas-Salomé, la mère et la fille, Anneliese et Gitta, apprennent à penser indépendamment de l’homme qu’elles aiment. Elles tirent leur force des arbres, de la neige, des fleurs et des fruits. La liberté qu’elles conquièrent vaut pour tout le monde, aussi pour le jeune Balduin, le poète, portrait de Rainer Maria Rilke, à qui l’opposition du père risque de faire « manquer le train des artistes ». (…)
La sombre et dramatique Mileva, l’épouse d’Einstein, géniale mathématicienne qu’il écrasa avec cynisme, aurait pu figurer parmi cette poignée de femmes prix Nobel que je présentai un peu plus tard, en collaboration avec Charlotte Kerner. Prix de la Paix ou de Littérature, mais aussi prix de Physique, Chimie, Biologie…. On dit parfois qu’un homme est « parti de rien ». La plupart de ces femmes partaient de moins que rien. (…) Comme si, avant de courir un cent mètres aux Jeux Olymoiques, les femmes étaient obligées d’effectuer d’abord un marathon pour être admises au départ. Et il valait mieux ne pas être essouflées…
Rue de Mézières, l’accueil d’Antoinette Fouque et de ses collaboratrices était rassurant : on ne me demandait plus de me battre, d’autres l’avaient sans doute fait pour moi, mais comme c’était reposant, naturel, surtout, logique et naturel…
N.C.