Souviens-toi de moi dans les ténèbres, un récit biographique de Thierry Gineste Note : 3 sur 5
Nous sommes le 25 janvier 1950. Paul Gineste est un jeune lieutenant de Légion étrangère choisi pour rejoindre le corps expéditionnaire français en Indochine où il mourra au combat. Sa veuve placera dans la foulée leurs cinq enfants au pensionnat , puis elle réorganisera sa vie sans rendre de comptes à personne, devenant une véritable machine de guerre pour ses proches et son entourage. Souviens-toi de moi dans les ténèbres raconte l’étrangeté douloureuse de ses enfants, victimes d’une inconscience maternelle dont Thierry Gineste ne se remettra jamais, cherchant aujourd’hui encore à concevoir l’incompréhensible.
Double trésor émouvant
Le livre s’ouvre sur une citation de Paul Claudel : « Souviens-toi de moi dans les ténèbres. » On y entre comme par hasard, au fil des pages, sans rien chercher de particulier, avec l’espoir d’une lecture agréable. Peut-être allons-nous vers la découverte incertaine d’un trésor des plus émouvants. Ou pas. Qu’importe. La première impression est, comment dire ? … Esthétique. Le lecteur se rend immédiatement compte de la qualité du texte. Les phrases sont longues, mais elles se tiennent… Les nombreux adjectifs engagent l’immense bénéfice d’être particulièrement bien choisis… Moult adverbes insistent sur l’indéfectible détermination du narrateur… Quant à la conjugaison, elle marque l’éloquence d’une maîtrise grammaticale qui aujourd’hui tend hélas ! à disparaître. Double trésor émouvant, donc, à la fois pour la forme et le fond.
Témoignage à valeur historique
Quantité de récits familiaux existent. Ce sont avant tout des romans dans lesquels nombre d’écrivains mettent en scène un sujet aux prises avec la mémoire familiale. Tout s’y passe comme si, en cette époque de grands bouleversements, d’accélération de l’histoire et de déshérence des savoirs, certains auteurs éprouvaient le besoin d’effectuer un détour par ceux qui les ont précédés : leur parents, aïeux et bisaïeux. Le texte de Thierry Gineste ne déroge pas à cette règle, si ce n’est que l’on y découvre la confrontation de deux morales distinctes s’excluant l’une et l’autre. Chacune développe ses propres valeurs en face desquelles toute conciliation s’avère impossible. Du côté des adultes, le venin de la haine par l’indifférence. Du côté des enfants, l’incompréhension dramatique par l’innocence.
Souviens-toi de moi dans les ténèbres, aurait pu s’intituler Les cris du silence… éventuellement Pour l’amour d’un père… ou encore Autopsie d’un drame… Autant de possibilités qui résument l’histoire d’un jeune orphelin de six ans, reconnu pupille de la nation, ayant grandi dans le souvenir d’un père dont l’image glorieuse s’oppose à celle d’une mère tourmentée, défaillante, jetée à corps perdu dans une liaison incompréhensible à la mort de son mari. Mais le livre aurait aussi pu s’appeler Mémoires interrompues, celles de Paul Gineste retrouvées en 1990 dans un manuscrit sauvé in extremis. C’est grâce à ce texte inattendu que son fils Thierry s’est lancé dans une quête mémorielle. En ressort ce témoignage à valeur historique. Celui de sa propre existence à travers le destin d’un père.
La contrainte d’une réponse
C’est le destin qui raccommode les vies déchirées, pas la volonté ni la résilience, elles en sont à l’inverse la conséquence. Le destin fixe malgré nous de façon irrévocable le cours des événements, il mêle les cartes mais nous laisse y jouer ; à ne surtout pas confondre avec la fatalité qui, elle, engage une force naturelle proche du déterminisme. Le destin est une invention après-coup, alors que la fatalité est une croyance en amont. Oui ! Chacun d’entre nous cherche inconsciemment son propre destin, sa montagne magique et les promesses d’y croire. Voilà le fond du récit de Thierry Gineste : lorsque l’homme tend vers la vie et l’existence, la chance est contrainte de lui répondre. Toujours.
Jérôme ENEZ-VRIAD
© Août 2023 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing
Souviens-toi de moi dans les ténèbres, un récit biographique de Thierry Gineste aux Impliqués Éditeur – 221 pages – 21,00€