Yves-Alexandre Julien a lu « Les enfants inutiles », l’oeuvre poignante et dérangeante de Maledicte, publiée par Valérie Gans, éditrice innovante

Quand la littérature éclaire le débat sur la transidentité : « Les Enfants Inutiles » et la liberté de penser
Dans un paysage intellectuel souvent polarisé, la maison d’édition Une autre voix, fondée par Valérie Gans, se distingue par son ouverture et son courage éditorial. En publiant Les Enfants inutiles, premier roman de l’auteure « Malédicte », elle propose une œuvre à la fois poignante et dérangeante, qui interroge les mutations profondes de notre société sur le plan de l’identité. À travers une histoire vraie, celle d’une fille confrontée à la transition de son père, le livre pose des questions essentielles sur le genre, la tolérance, les regrets et la liberté d’exister.
Une maison d’édition anti-sectarisme et anti-cancel culture

Valérie Gans a créé Une autre voix pour offrir un espace à la confrontation des idées. Loin des caricatures idéologiques, cette maison se veut « ouverte sur le monde et sur sa diversité », selon les mots de l’attachée de presse Guilaine Depis . Avec Les Enfants inutiles, elle frappe fort : le roman témoigne d’une expérience intime – celle de Malédicte, fille d’un homme ayant changé de sexe – tout en s’inscrivant dans les débats sociétaux contemporains.
Cette démarche éditoriale, courageuse à l’heure des pressions exercées par certains lobbys, réaffirme la nécessité d’un débat ouvert. « Nous devons éclairer ces ‘progrès’ par le vécu et la réflexion », affirme Valérie Gans. Dans cette optique, Une autre voix refuse de céder à la bien-pensance et invite à explorer des thématiques complexes, sans peur ni tabou.
La transidentité : entre tolérance et incompréhension
Au cœur de Les Enfants inutiles, une interrogation universelle : peut-on accepter une réalité que l’on ne comprend pas ? Dans le roman, Malédicte raconte l’histoire de son père, qui a entrepris une transition vers le genre féminin malgré l’incompréhension de ses proches. « Il faut accepter certaines choses sans les comprendre », affirme l’auteure, qui reconnaît dans la nouvelle identité de son père la même âme qui l’anime.
Pourtant, cette acceptation ne signifie pas l’absence de douleur ni de questionnement. La psychiatre Colette Chiland, spécialiste des questions de genre, écrivait dans Changer de sexe : Illusion et réalité (Presses Universitaires de France, 2008) : « Le désir de transition traduit souvent une souffrance profonde liée à l’identité, mais il peut également engendrer des regrets lorsqu’il n’apporte pas la libération espérée ».
Les regrets : un tabou dans le débat public
La question des regrets liés à la transition reste largement occultée dans le discours dominant, souvent dominé par les lobbys LGBT et les militants pro-transidentité. Pourtant, de plus en plus de voix s’élèvent pour souligner les drames individuels que peuvent provoquer des choix irréversibles.
Dans une tribune publiée en 2023 dans The Guardian, Keira Bell, une jeune femme détransitionnée dénonçait la « pression idéologique » qui l’a poussée vers une transition qu’elle regrette aujourd’hui. « J’aurais eu besoin de soutien psychologique, pas d’une prescription d’hormones », écrivait-elle. Cette pression sociale est également évoquée dans Les Enfants inutiles, où Malédicte s’interroge sur la responsabilité des professionnels qui ont accompagné son père dans sa transition.
La force littéraire du roman : un style à la hauteur des thématiques
Dans Les Enfants inutiles, Malédicte déploie une écriture qui conjugue finesse littéraire et impact émotionnel, rendant justice à la complexité des thématiques abordées. Un des passages les plus marquants illustre son incapacité à comprendre la démarche de son père tout en affirmant son amour :
« Quand il s’est présenté à moi en robe, ses épaules trop larges et ses mains noueuses dépassant de la dentelle, je n’ai vu qu’une grimace. Mais dans ses yeux, il y avait mon père, toujours. C’était cette lumière vacillante que je ne pouvais pas éteindre, même si je ne comprenais rien à sa quête ».
Ce passage, à la fois brutal et tendre, révèle la tension entre l’incompréhension et l’acceptation. L’usage du contraste — la « grimace » opposée à la « lumière vacillante » — traduit avec justesse les sentiments ambivalents de la narratrice face à une métamorphose qui bouleverse les repères familiaux.
Un autre extrait, empreint d’une poésie désenchantée, évoque la douleur d’être confrontée à un parent qui semble à la fois là et absent :
« Mon père est mort, mais il respire encore. Chaque soir, je l’enterre dans mes souvenirs, et chaque matin, il revient sous une autre forme. Ce n’est plus une métamorphose, c’est un effacement ».
Ici, la répétition des images de mort et de transformation souligne la difficulté de concilier l’amour filial avec la perte symbolique d’un père devenu étranger. Le choix du mot « effacement » témoigne d’une douleur intime, celle de voir disparaître des traits familiers sous une identité réinventée.
Malédicte excelle également dans l’art de dépeindre les conflits sociaux et intimes liés à la transidentité. À propos des regards extérieurs, elle écrit :
« Les voisins murmuraient. Les amis s’éloignaient. J’avais honte de ma honte. Et lui, ou elle, avançait, imperturbable, comme un train lancé sur des rails que personne ne pouvait déplacer ».
Ce passage, d’une lucidité froide, met en lumière l’isolement social et les jugements qui pèsent sur les familles confrontées à la transidentité. Le rythme saccadé et les contrastes entre la honte et la détermination renforcent l’impact émotionnel.
En mêlant des images puissantes et une réflexion intime, Malédicte réussit à transformer son récit en une œuvre littéraire à part entière, capable de dépasser son sujet pour toucher à l’universel.
La tolérance face à la complexité humaine
Malgré les incompréhensions, Les Enfants inutiles plaide pour une tolérance authentique, fondée sur l’amour et le respect des différences. « Nous avons besoin d’œuvres qui ne jugent pas mais éclairent », déclare Valérie Gans. Ce message illustre pleinement les valeurs de la maison d’édition, qui se veut un refuge pour les voix dissidentes et les récits atypiques.
Ce roman, profondément humain, montre à quel point les questions liées au genre dépassent les oppositions binaires. En mettant en lumière l’impact de la transition sur les proches des personnes transgenres, il ouvre une réflexion nécessaire sur les changements sociétaux en cours, tout en rappelant que la tolérance ne signifie pas l’absence de débat.
Un ouvrage qui dérange et suscite le débat
En refusant de simplifier une thématique aussi complexe, Les Enfants inutiles s’impose comme un ouvrage indispensable. Il ne s’agit ni d’un pamphlet contre la transidentité ni d’un manifeste militant, mais d’un témoignage sincère et nuancé, ancré dans le vécu.
En s’appuyant sur des références littéraires et psychologiques, le roman interroge les dogmes contemporains et invite à une réflexion collective. À l’heure où certains médias refusent encore d’aborder ces sujets par crainte de polémique, Une autre voix montre qu’il est possible – et nécessaire – de dépasser les frontières idéologiques pour éclairer les zones d’ombre de notre époque.
Avec ce livre, Malédicte nous rappelle que la littérature peut être un lieu de rencontre et d’humanité, où les blessures intimes deviennent des fenêtres ouvertes sur des débats universels.
© Yves-Alexandre Julien