La Chronique estivale de Jérôme Enez-Vriad- “Un drôle de goût !” : le nouveau roman d’Alain Schmoll
Un drôle de goût ! : le nouveau roman d’Alain Schmoll
Alain Schmoll est de retour avec un roman à suspense. Son titre : Un drôle de goût ! L’intrigue se profile dans un monde inquiétant au sein duquel on reconnaît le nôtre par analogie. La seule limite de l’histoire est l’imagination fertile de son auteur. Voyons donc…
Après son étonnant La tentation de la vague (L’Harmattan, 2019 ; Cigas, 2022) Alain Schmoll revient avec un thriller des plus haletant. Il s’agit d’une plongée dans les méandres d’un univers qui ressemble beaucoup au nôtre, où les problèmes quotidiens apparaissent au format d’une fable contemporaine en frontière avec la réalité. Inspiré de faits imaginaires que le lecteur est invité à croire réels, Alain Schmoll offre avec Un drôle de goût ! bien davantage qu’une simple histoire à suspense.
Le sifflement du serpent
Alain Schmoll signe un cinquième roman ambitieux, mieux ! audacieux, surprenant par sa construction dans laquelle se superposent Feuillets et Chroniques intercalées, sorte de mise en abîme de l’auteur qui, dans le préambule, affirme être collaborateur du travail d’écriture de son héros, un certain Werner Jonquart. « Mon nom ne dira rien à la plupart d’entre vous. Il arrive pourtant que votre œil s’arrête sur mes mots, qu’il suive le fil de mes phrases. J’écris sur toutes sortes de sujets, importants ou mineurs, graves ou futiles, passés ou futurs ; j’écris pour des journaux, pour des magazines, pour des éditeurs. » Et. Un peu plus loin. Dans l’introduction. Nous apprenons ceci. « Tout a commencé de façon diffuse, impalpable. Comme le murmure introductif des cordes, avant que l’orchestre n’emplisse en force l’espace sonore. Comme le souffle éthéré d’une brise tiède annonciatrice de tempête. Comme le sifflement d’un serpent méditant une attaque sournoise. » De quoi diable ! s’agit-il donc ? D’une intrigue financière sur fond de contamination alimentaire et… Stop ! Ne dévoilons pas le complot, car c’est bien de cela dont il est question, et rien n’est plus frustrant pour le lecteur que d’en trop connaître avant d’entamer l’histoire. Disons qu’il y a du Robin Cook (on pense à Toxine) et du John Grisham dans ces pages. Alain Schmoll joue avec les nerfs de ses lecteurs comme le bourreau s’amuse à repasser le scalpel sur la plaie.
Une étrange maladie
Un drôle de goût ! se lit comme une médication qui vous fait trembler de l’intérieur, à la manière d’un exorcisme horrifique accentué avec la dose supplémentaire du chapitre suivant ; nul ne prononce d’ordinaire le nom de cette étrange maladie méconnue par la nouvelle génération, pas même les professeurs qui semblent ne plus la connaître, elle se résume pourtant en quatre petits mots : le plaisir de lire. Au fil des pages, Alain Schmoll réussit à nous faire regretter une journée sans lecture, telle est l’étonnant pouvoir de son livre : si singulier, si étrange que l’on se fait d’une construction romanesque classique, puisque ses Chroniques et Feuillet intercalés transfigurent l’équilibre de son texte autant qu’ils en refondent l’agencement sans lourdeur ni maladresse.
Chapitre 9 de la 1ère partie (page 134) : « Le soleil s’étendait en un vaste halo blanc, plus puissant que le bleu du ciel, qui lui cédait en intensité. Frappée par des rayons impitoyables, la neige prenait l’aspect d’une nacre éblouissante. » ; chapitre 13 de le 2ème partie (page 296) : « Marcher, tout seul. Une bonne méthode pour s’oxygéner l’esprit, pour tenter de réfléchir fructueusement à une solution aux problèmes qui se posent. » ; et, un peu plus loin : « À l’angle du pont et du quai, à une cinquantaine de mètres de l’entrée de leur immeuble, Werner s’arrête, s’accoude au parapet et contemple distraitement les flux de navigation montants et avalants. » Trois extraits qui donnent envie de renier ce que l’on vient de lire en poursuivant sa lecture. Je m’explique. Toute avancée romanesque est animée par le souffle paradoxal des contraires. Alain Schmoll exploite la fadeur de l’angoisse comme personne, grâce à des phrases et des images simples qui nourrissent un suspense construit sur une intrigue où s’entrecroise la primauté de deux imaginations fertiles : la sienne et celle du lecteur.
Avant que l’histoire ne s’achève
Du baptême au dernier verre de rhum, la vie est un livre ouvert dont nous refermons les pages sans toujours avoir eu le temps de les lire. Certains les parcours en diagonal… D’autres les dévorent de la première à la dernière ligne… Werner Jonquart, héros de notre histoire, ne laisse personne lire aucune page à sa place, et nous incite à en faire de même… S’il fallait deux bonnes raisons pour lire Un drôle de goût ! , la première serait de glisser un roman d’été instructif dans son sac de plage ; la seconde relève d’une intrigue qui ne vous glace pas seulement le sang, elle vous titille aussi la morale dans ce qu’elle a de plus géométriquement variable lorsqu’elle est davantage soucieuse de profit que d’éthique.
Un drôle de Goût
Roman d’Alain Schmoll
Éditions Cigas – 325 pages – 13,90 €
Jérôme Enez-Vriad
© Juillet 2024 – Tribune Juive & J.E.-V. Publishing