Yves Aumont salue Guillemette Andreu dans Ouest-France (17.03.09) Avec une photo récente !

Magazine Ouest France – mardi 17 mars 2009 – Le premier roman de la vieille dame (Photo Henry Lanoë)

Guillemette.JPGÀ 95 ans, Guillemette Andreu vient de publier Tableau d’honneur, le récit d’une enfance démunie, à Nantes au lendemain de la Grande Guerre. Un premier et unique roman.

Sur la carte adressée à Antoinette Fouque, la militante et fondatrice des Éditions des femmes, elle a écrit d’une main un peu hésitante : « Madame, il n’y a pas de merci pour parler de ce que je vous dois, des larmes de mes enfants et des battements de mon coeur. Je vous dois un moment de rare bonheur et je vous baise les mains. »

Elle a joint une photo d’enfance. Une petite fille en blanc. Le chapeau d’été fait un bandeau d’ombre sur les yeux. Dans les interstices du parapet, on distingue l’océan au second plan. Le regard de l’enfant s’échappe et semble fixer une présence indéfinie. C’est un été radieux comme celui qu’elle raconte dans le livre : « Et Lise connut la mer, la plage arrondie au creux de la falaise d’ocre, les rochers éclatés sous on ne savait quel tremblement et retombés au hasard, dans tous les sens, toutes les formes, toutes les tailles, le sable si fin qui coule dans les doigts, le sable mouillé où l’on écrit son nom, la mer endormie au loin qui se découvre dans son sommeil… »

La petite fille de la photo est désormais une vieille dame qui « attend la mort sans tristesse et sans nostalgie ».Elle habite au coeur de Paris, un petit appartement chargé de souvenirs. Des tableaux, des livres et les vers de Max Jacob qu’elle récite à voix haute : « Il se peut qu’un rêve étrange/Vous ait occupée ce soir/Vous avez cru voir un ange/Et c’était votre miroir.» Guillemette Andreu aime les poètes, la littérature, le prix Goncourt Jean Rouaud : « J’ai une faiblesse pour lui. La proximité du terroir sans doute. Dans ses pages, je suis là… » Il lui a fait l’honneur de préfacer son livre.

À 95 ans, Guillemette Andreu vient de publier son premier roman Tableau d’honneur. C’est l’histoire de Lise qui lui ressemble beaucoup, un récit de la pauvreté dans une ville de l’Ouest. La ville n’est pas nommée, mais on reconnaît vite le Nantes de l’immédiate après guerre, celle de 14-18. Les hommes n’en sont pas revenus. Ils ont laissé des ribambelles d’orphelines en uniformes, des femmes murées dans le deuil qui font chauffer la marmite vaille que vaille. On compte et recompte les sous : « Un petit tas pour le sucre, un pour le pétrole, un autre pour le lait et le beurre. » On glane les fruits, on quémande. On est pauvre, on vous le fait savoir, on a honte…

Longtemps après, la plaie reste vive même si tout a changé : « J’en ai longtemps voulu aux Nantais, à la bourgeoise, cette morgue, cette suffisance… Mais, j’ai fait ma vie, personne ne s’est mis en travers. Le côté sombre s’est estompé. »

« J’avais des choses à dire »

Mariée au journaliste Pierre Andreu aujourd’hui disparu, mère de quatre filles, Guillemette Andreu a connu d’autres cieux : la banlieue du Perreux quand elle est arrivée jeune fille à Paris, le Liban où elle a vécu un temps, son petit appartement face à l’école Polytechnique, dont elle ne bouge plus guère…. Mais elle aimait écrire. « J’avais des choses à dire. C’était un besoin. »

Sur un cahier quadrillé, elle a renoué le fil des choses : dactylographié le bruit du tramway dans la ville, les fêtes et le vin nouveau qui tourne la tête, la fouace et les châtaignes, les marins en goguette, les petits métiers des rues, le parfum entêtant des mimosas, les premiers émois, l’amitié, l’éblouissement de la mer, le bonheur de la lecture… « Les mots sont venus naturellement, sans brouillon. Le livre terminé, je l’ai fait lire à des amis. Ils m’ont répondu : ‘Vous ne serez jamais écrivain.’ Je me le suis tenu pour dit. »

C’était en 1976. La vie a passé, les enfants ont grandi. Les feuillets dactylographiés sont restés dans ses malles. À Nantes, elle est revenue pour l’enterrement d’un cousin syndicaliste, Gilbert Declercq. Elle s’est réconciliée avec la ville qu’elle trouve désormais lumineuse. Heureuse aussi que Nantes ait fait repentance avant Bordeaux pour la traite négrière. Elle a filé de nouveau vers Quimiac et le petit port de Merquel pour retrouver la lumière dansante de l’été.

Puis les fées se sont penchées sur le livre oublié. Les éditions « Des femmes », contactées par ses enfants, ont décidé de la publier sans plus tarder. « Votre livre est un petit chef-d’oeuvre, madame. Tout le bonheur est donc pour moi », lui a répondu Antoinette Fouque. Le critique Jérôme Garcin lui a donné un coup de coeur dans Le Nouvel Observateur. Depuis tout s’accélère.

Guillemette est honorée. Aux visiteurs qui s’intéressent à l’aventure, elle raconte volontiers, oublie un peu… Parfois son regard se perd. « Si j’avais publié plus tôt, sans doute j’aurais continué à écrire. J’ai peut-être perdu du temps. Maintenant, ça n’a plus d’importance. »

Longtemps après l’école et ses « bons points », la vieille dame accède à nouveau au tableau d’honneur. Et conclut en un sourire : « Un livre, vous savez, c’est vraiment une récompense. » Guillemette Andreu sait bien qu’elle vient de publier son premier et son dernier roman.

Yves AUMONT.

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