« La force des femmes qui échappe aux hommes », Yezza Mehira dans la revue littéraire Souffle inédit

Yezza Mehira

par Margaux Catalayoud

dans Souffle inédit

La cuisine des âmes nues de Yezza Mehira

Par Margaux Catalayoud

Que les Éditions de la Zitourme soient remerciées pour leur première publication – il n’y en aura qu’une tous les neuf mois, le temps qu’un bébé grandisse – : La cuisine des âmes nues, Recettes et nouvelles de Yezza Mehira. Le ton est donné par la maison d’édition, il s’agira de patienter, de savourer les mets, délices pour la bouche et le cœur de cette autrice qui fait son miel de l’intimité des femmes, de celles qui tournoient en cuisine.

Vous avez dit littérature ?

Chaque recette de cuisine est reliée à une nouvelle, et dans chaque nouvelle émerge ça et là l’histoire de cette recette telle un indice sur la vie des personnages, une entrée dans leur charme de femmes fait de détails et d’observations délicates. Les lecteurs et lectrices se surprendront probablement à apprécier la poésie des recettes, le rythme des impératifs et les sonorités amusantes des divers ustensiles. L’autrice donne à entendre la petite musique du Cake d’amour que Michel Legrand inventa pour le film de Jacques Demy, Peau d’âne. Les protagonistes du livre seraient au moins aussi belles que Catherine Deneuve. Au fond, la forme questionne l’art, à quels mots peut-on refuser ce qui fait littérature ? Cet art du banal nous apprend à regarder, à lire, à écouter et à sourire. La littérarité du quotidien et de la nécessité des recettes engage le décorum des nouvelles sur la voie de la modestie, modestie et lucidité des femmes, modestie et précarité des ménages. La beauté des mots en version originale tels que « fifla », « gozo » ou « fenkata » sont autant de realia qui enchantent les oreilles curieuses.

Exotisme et intimité universelle

A l’origine de ces multiples récits : le voyage en méditerranée de Yezza Mehira. Elle s’est immiscée par la porte de la cuisine dans des cœurs de femmes venant de Tunisie, du Liban, d’Egypte, en somme d’un ailleurs aux saveurs orientales qui ravira les nostalgiques de l’orientalisme, quoiqu’ici, les couleurs sont authentiques et dures. De fait, il est notamment question de mariage forcé, de guerre, de refus du rôle de la femme au foyer. Les femmes tentent de modeler leur quotidien selon la tradition, avec ceci en plus de ladite tradition qu’elles veulent du plaisir, souvent leur propre chair communie avec celle qu’elles préparent pour elles seules ou un foyer. Elles apprennent à faire le jeu de la féminité et même à être une « salope » si bon leur semble. L’écriture, malgré la complexité des situations évoquées, se veut naïve, au sens littéraire, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de candeur, laquelle est empruntée à quelques femmes pleines de dignité dont l’autrice trace un portrait détourné. D’ailleurs, certaines lignes sonnent comme un dialogue dont on peine à imaginer la subtilité de l’interlocuctrice-narratrice qui écrit cependant à la première personne. Les confidences apparaissent naturelles et simples, de celles qui content un passé qui les ont façonnées en stoïciennes, entre autres choses.

Érotisme

Les scènes quotidiennes qui découlent sur les grands bonheurs et grands malheurs des femmes donnent l’espace à l’autrice d’y développer toute leur sensualité qui émane de leur proximité. La question de l’écriture féminine ne fait pas de doute : aucune sorte de male gaze ne point. Tout devient comestible et désirable ; une femme ressent ceci « Et c’est comme ça que j’ai eu l’idée de mes recettes intimes. Des petits amuses-bouches raffinés à mélanger avec notre amour. Et quand tout s’est arrêté, j’ai commencé ma troisième vie de femme, avec la satisfaction d’en avoir été une. » Une autre raconte une séance masturbatoire qui n’excitera pas le ou la potentiel.le libineux.se. La femme est multiple, mouvante, tout le contraire du mystère féminin perpétuellement évanescent, elles cherchent à se saisir certes, mais l’acuité qui les gouverne les responsabilise. Les héroïnes comme en elles-mêmes sont juste douées pour la vie. Elles ont du goût, veulent leurs goûts. C’est peut-être cette force qui échappe aux hommes.

Le livre

Souffle inédit 

Koeur : Un chant d’amour et de confrontations entre la France et l’Afrique Subsaharienne (Lettres capitales)

Koeur : Un chant d’amour et de confrontations entre la France et l’Afrique Subsaharienne

Sylvie Largeaud, agrégée d’anglais et enseignante-chercheure à l’université de Polynésie Française, nous livre avec son roman “Koeur” une déclamation poétique d’une beauté brute et troublante, qui explore les fissures des identités, les héritages complexes du colonialisme et les aspirations de l’âme humaine en quête d’appartenance.

L’héroïne, Sandrèle, fusionne avec sa terre natale, le Sénégal, dévoilant ainsi son amour passionné pour cette contrée aux multiples visages. 

Cependant, ce périple révèle également la douloureuse confrontation de Sandrèle avec les collisions culturelles et les stigmates de l’esclavage et de la colonisation. En s’éloignant de son pays natal pour la France, elle découvre un monde qui lui est étranger et une solitude profonde. « Koeur » trouve des échos dans les travaux de Frantz Fanon, sociologue et philosophe anticolonialiste. Les confrontations culturelles et les blessures coloniales que Sandrèle expérimente rappellent les concepts de la « décolonisation de l’esprit » et de la « conscience coloniale » chers à Fanon et que l’on retrouve dans son ouvrage majeur : « Les Damnés de la Terre ». Concernant le premier concept Fanon s’en exprime ainsi dans son monument littéraire : « Il faut que les colonisés, dans leur combat contre l’ennemi, à chaque étape, à chaque échelon, à chaque victoire, avancent avec ce cri terrifiant : ‘Que crève le colonialisme !’” et continue sur le concept de la « conscience coloniale » en écrivant : « Le monde colonial est un monde compartimenté. Les colonies sont des créations européennes… »

La quête d’identité et d’appartenance de l’héroïne s’inscrit intrinsèquement dans le contexte historique plus large des luttes pour la décolonisation de l’Afrique. Ici, le roman transcende le récit individuel pour sonder les questions plus vastes de l’identité, de l’intégration et de l’appartenance.

L’écriture poétique et rythmée du roman « Koeur » fait également écho aux travaux d’Aimé Césaire, poète et écrivain martiniquais associé au mouvement de la négritude. La passion avec laquelle Sandrèle exprime son amour pour le Sénégal rappelle les élans poétiques de Césaire envers ses origines :« Cahier d’un retour au pays natal ». Les références à la négritude sont délibérées, substituant la “blanchitude” à la négritude, ce qui met en relief les enjeux de l’identité et de l’appartenance.

L’inversion audacieuse du racisme qui prévaut en France et l’utilisation du concept de « négatif photo » donnent au roman une profondeur philosophique, questionnant les notions d’identité et de nation. Les confrontations culturelles et les questions d’identité dans le roman peuvent être analysées à travers le prisme des travaux d’Edward Said sur l’orientalisme et le postcolonialisme. Les interactions entre Sandrèle et les habitants du Sénégal et de la France mettent en lumière les représentations et les stéréotypes culturels qui influencent les perceptions des uns envers les autres. En tant qu’auteure spécialisée dans les études post-coloniales, Sylvie Largeaud fait preuve d’une sensibilité exceptionnelle pour déconstruire les strates complexes de la réalité postcoloniale et pour jeter un éclairage cru sur les rapports entre la « blanchitude » et la nation africaine.

Le concept de “troisième espace” développé par Homi K. Bhabha dans son ouvrage intitulé Les lieux de la culture : une théorie postcoloniale trouve une résonance dans le roman « Koeur » de Sylvie Largeaud.

Les collisions culturelles auxquelles l’héroïne est confrontée témoignent des espaces intermédiaires où les identités se rencontrent et se construisent. Bhabha souligne comment ces espaces ambigus peuvent être des lieux de résistance et de négociation, ce que reflète les expériences de la protagoniste au fil de la narration.

Le style narratif du roman, guide le lecteur à travers les émotions tourmentées des personnages et l’écriture scandée et parfois « slamée » selon l’auteure , pourrait rappeler là encore le style poétique d’Aimé Césaire .Pour aller plus loin , les références au concept de « négritude » et à l’histoire coloniale dans ce roman évoquent les travaux de Léopold Sédar Senghor notamment dans Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (1948), dans laquelle il a rassemblé des œuvres qui expriment l’identité africaine et les valeurs culturelles autant que dans  « Chants d’ombre »(1945), dans lequel il évoque l’histoire et les croyances africaines à travers la poésie. Quant à l’histoire coloniale, Senghor l’aborde notamment dans son poème « Liberté 1 » et dans son essai : « Négritude et humanisme » (1964), où il explore la relation entre négritude et libération de l’oppression coloniale.

L’idée d’une identité ancrée dans la terre natale, malgré les enjeux sociaux, résonne avec les idées de Senghor sur la reconnaissance et la célébration de la culture africaine dans la totalité du roman de Sylvie Largeaud.

La ville de Dakar est décrite dans cet ouvrage « Koeur » avec une passion presque charnelle, et témoigne de l’habileté de l’auteure à faire danser les mots pour traduire les émotions complexes des personnages.

En effet, « Koeur » n’est pas simplement un roman, c’est une expérience littéraire et émotionnelle qui ouvre une fenêtre et des perspectives sur la réalité sociale, politique et environnementale de l’Afrique subsaharienne. La quête de Sandrèle pour définir son identité, malgré les contraintes sociales et les pressions culturelles, peut être analysée à la lumière des travaux de Simone de Beauvoir sur l’existentialisme féminin. L’héroïne trouve exceptionnellement sa place en tant que femme “blanche” au Sénégal, tout en se débattant avec les attentes et les préjugés sociaux. Sylvie Largeaud nous offre un voyage lyrique et philosophique, guidé par la voix vibrante de Sandrèle, révélant ainsi la richesse de l’amour pour une patrie complexe, tout en éclairant les interstices où se nichent les enjeux sociétaux les plus urgents.

Yves-Alexandre JULIEN 

Yves-Alexandre JULIEN est journaliste.
Après des études supérieures en Lettres Modernes à l’université de Caen il a été journaliste en PHR ( Presse Hebdomadaire Régionale) pour l’Eveil Normand .
Journaliste de théâtre pour les médias la theatrotheque.com et artistikrezo.com, il écrit également des critiques littéraires comme celle qu’il vient de nous proposer ici.

Thierry Gineste dans Bretagne actuelle « lorsque l’homme tend vers la vie et l’existence, la chance est contrainte de lui répondre. Toujours. »

Souviens-toi de moi dans les ténèbres, un récit biographique de Thierry Gineste Note : 3 sur 5HermineHermineHermine

Certains livres nécessitent de ne surtout pas savoir ce qu’ils racontent avant de les ouvrir. La surprise sera plus grande tant leur découverte se promet d’être formidable. C’est le cas du récit de Thierry Gineste, Souviens-toi de moi dans les ténèbres.

Nous sommes le 25 janvier 1950. Paul Gineste est un jeune lieutenant de Légion étrangère choisi pour rejoindre le corps expéditionnaire français en Indochine où il mourra au combat. Sa veuve placera dans la foulée leurs cinq enfants au pensionnat , puis elle réorganisera sa vie sans rendre de comptes à personne, devenant une véritable machine de guerre pour ses proches et son entourage. Souviens-toi de moi dans les ténèbres raconte l’étrangeté douloureuse de ses enfants, victimes d’une inconscience maternelle dont Thierry Gineste ne se remettra jamais, cherchant aujourd’hui encore à concevoir l’incompréhensible.

Double trésor émouvant

Le livre s’ouvre sur une citation de Paul Claudel : « Souviens-toi de moi dans les ténèbres. » On y entre comme par hasard, au fil des pages, sans rien chercher de particulier, avec l’espoir d’une lecture agréable. Peut-être allons-nous vers la découverte incertaine d’un trésor des plus émouvants. Ou pas. Qu’importe. La première impression est, comment dire ? … Esthétique. Le lecteur se rend immédiatement compte de la qualité du texte. Les phrases sont longues, mais elles se tiennent… Les nombreux adjectifs engagent l’immense bénéfice d’être particulièrement bien choisis… Moult adverbes insistent sur l’indéfectible détermination du narrateur… Quant à la conjugaison, elle marque l’éloquence d’une maîtrise grammaticale qui aujourd’hui tend hélas ! à disparaître. Double trésor émouvant, donc, à la fois pour la forme et le fond.

Témoignage à valeur historique

Quantité de récits familiaux existent. Ce sont avant tout des romans dans lesquels nombre d’écrivains mettent en scène un sujet aux prises avec la mémoire familiale. Tout s’y passe comme si, en cette époque de grands bouleversements, d’accélération de l’histoire et de déshérence des savoirs, certains auteurs éprouvaient le besoin d’effectuer un détour par ceux qui les ont précédés : leur parents, aïeux et bisaïeux. Le texte de Thierry Gineste ne déroge pas à cette règle, si ce n’est que l’on y découvre la confrontation de deux morales distinctes s’excluant l’une et l’autre. Chacune développe ses propres valeurs en face desquelles toute conciliation s’avère impossible. Du côté des adultes, le venin de la haine par l’indifférence. Du côté des enfants, l’incompréhension dramatique par l’innocence.

Souviens-toi de moi dans les ténèbres, aurait pu s’intituler Les cris du silence… éventuellement Pour l’amour d’un père… ou encore Autopsie d’un drame… Autant de possibilités qui résument l’histoire d’un jeune orphelin de six ans, reconnu pupille de la nation, ayant grandi dans le souvenir d’un père dont l’image glorieuse s’oppose à celle d’une mère tourmentée, défaillante, jetée à corps perdu dans une liaison incompréhensible à la mort de son mari. Mais le livre aurait aussi pu s’appeler Mémoires interrompues, celles de Paul Gineste retrouvées en 1990 dans un manuscrit sauvé in extremis. C’est grâce à ce texte inattendu que son fils Thierry s’est lancé dans une quête mémorielle. En ressort ce témoignage à valeur historique. Celui de sa propre existence à travers le destin d’un père.

La contrainte d’une réponse

C’est le destin qui raccommode les vies déchirées, pas la volonté ni la résilience, elles en sont à l’inverse la conséquence. Le destin fixe malgré nous de façon irrévocable le cours des événements, il mêle les cartes mais nous laisse y jouer ; à ne surtout pas confondre avec la fatalité qui, elle, engage une force naturelle proche du déterminisme. Le destin est une invention après-coup, alors que la fatalité est une croyance en amont. Oui ! Chacun d’entre nous cherche inconsciemment son propre destin, sa montagne magique et les promesses d’y croire. Voilà le fond du récit de Thierry Gineste : lorsque l’homme tend vers la vie et l’existence, la chance est contrainte de lui répondre. Toujours.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Août 2023 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing

Souviens-toi de moi dans les ténèbres, un récit biographique de Thierry Gineste aux Impliqués Éditeur – 221 pages – 21,00€

Une critiqie sociale moderne de la famille (sur « Le Manoir de Kerbroc’h » de Léo Koesten dans La Cause littéraire

Le manoir de Kerbroc’h, Léo Koesten (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou 23.08.23 dans La Une LivresLes LivresRecensionsRoman

Le manoir de Kerbroc’h, Léo Koesten, Éditions Baudelaire, février 2023, 243 pages, 19 €

Le manoir de Kerbroc’h, Léo Koesten (par Jean-Jacques Bretou)

La famille de Kerambrun pourrait être une famille comme les autres à cela près que, sans faire d’analyse sociologique poussée, on peut dire qu’elle appartient à la bourgeoisie radicale. Le père Foucault de Kerambrun, ingénieur polytechnicien, fils d’un autre Foucault de Kerambrun aussi polytechnicien comme le furent ses aïeux (Foucault et ingénieur), fait vivre sa famille grâce à ses seules ressources. Son épouse, Éloïse, est femme au foyer, et leurs deux enfants Margaux et Théodore suivent le cursus scolaire habituel d’enfants pubères de leur âge. Ils habitent Versailles et sont de confession catholique. On pressent pour le fils une carrière identique à celle du père. Les grands-parents Foucault et Lucille possèdent un manoir en Bretagne où la famille qui se voit déjà tous les dimanches en cours d’année se rend pour une partie des vacances. Enfin, n’oublions pas les Kerambrun ont défilé contre « le mariage pour tous ».

Tout irait pour le mieux si l’adolescence de l’aînée Margaux et de son cadet Théodore, dont la voix est en train de muer, ne venait se manifester sous forme de chamailleries où le ton de la voix monte et laisse entendre ce qui était caché. Un beau jour ce que l’on retenait jusque-là se moque des frontières de la bienséance et vient éclater au sein du noyaux familial. On le devine dans cette famille en apparence bien comme il faut, les cartes vont être rebattues.

Ce livre appartient à un genre prisé par les lecteurs : la saga, lorsqu’il s’étend sur plusieurs générations ou le « roman familial » lorsque la période analysée est plus courte. Compte tenu de la modeste densité de l’ouvrage nous parlerons de roman. Les portraits de chacun des personnages et leur évolution constituent en eux-mêmes l’une des parties attrayantes de cette œuvre de fiction. Les comparaisons avec des personnages existant, connus ou inconnus, font partie du jeu et consciemment ou inconsciemment on tente de percer la suite du livre en fonction de ces évolutions, ce qui nous rend « accro » à la lecture.

Malgré quelques imperfections, Léo Koesten nous a fait le portrait d’une galerie d’acteurs gentils et méchants qui renversent une histoire de famille banale pour en faire une critique sociale moderne où chacun va trouver le vrai rôle que la vie lui avait attribué.

Une analyse claire, sans concession de la cellule familiale où chacun à son niveau, en modifiant plus où moins le bâti ou en prenant des exemples opposés, pourrait se reconnaître. Un ouvrage à l’écriture fluide à la portée de tous. Un bon livre qui ne laisse pas sans réflexions.

Jean-Jacques Bretou

Léo Koesten, professeur agrégé d’allemand, auteur et scénariste, a écrit une centaine de pièces pour la radio allemande et une trentaine pour les séries « Au Fil de l’histoire » et « Nuits Noires » de France-Inter. Deux des documentaires qu’il a réalisés pour la télévision allemande ont été primés dans le cadre du Prix franco-allemand du journalisme, le premier consacré au peintre Max Ernst, le second au compositeur Olivier Messiaen. Par ailleurs, il a été coauteur de nombreux manuels d’apprentissage de français destinés aux lycéens allemands.

Dans Souffle inédit, « une écriture qui se donne ‘’pour de vrai’’ » (sur le roman de Léo Koesten)

Léo Koesten – Le manoir de Kerbroc’h

Par Margaux Catalayoud

Léo Koesten - Le manoir de Kerbroc’h  

Les éditions Baudelaire publient Le manoir de Kerbroc’h d’un habitué des ondes, Léo Koesten. L’écrivain livre toute son expérience des grandes aventures narrées sur France Inter dans « Affaires sensibles » et « Autant en emporte pour l’Histoire » dont il fut, entre autres choses, scénariste, puisque le roman en question annonce bien des mystères que les personnages principaux s’attacheront à élucider.

L’émancipation féminine

Le manoir de Kerbroc’h donne à lire l’histoire d’une famille versaillaise dont la mère ne supporte plus le carcan bourgeois imposé par son mari polytechnicien et sa belle-famille patriarchale. Rien ne manque, ni patrimoine immobilier – le manoir en Bretagne -, ni l’anthroponymie caractéristique – le patronyme « de Kerambrun ».

La mère de famille, Eloïse, s’ennuie en tant que mère au foyer et veut sortir du rôle que le Bottin Mondain veut bien lui donner. Elle deviendra enseignante, et pour les élèves défavorisés (en capitaux financier et culturel) ! D’aucun dira « c’est encore l’œuvre de la générosité enseignée par le dogme catholique ». Qu’importe ! ici, l’héroïne est une femme qui agit contre son mari, pour elle. L’on appréciera d’ailleurs le clin d’œil féministe de l’auteur qui emploie la forme inclusive « professeure ».

Néanmoins, l’élaboration des personnages et leur cheminement ne sont pas écrits selon leur pensée politique, l’auteur ne versant pas, de toutes les manières, dans l’idéologie ; les êtres sont incarnés et réagissent aux situations de façon tout à fait singulière à l’instar de leur caractère. Ainsi, les hommes ne sont pas caricaturaux mais révèlent toutes les nuances d’une tendance, d’une génération, d’une évolution. La dichotomie entre homme et femme n’est pas de ce monde, ou pas du livre tout du moins : l’amitié entre Eloïse et un instituteur à la retraite, jouant le rôle de confident, en témoigne. Ce dernier, à force d’une écoute toujours attentive, lui conseille à demi-mot – parce qu’en vérité, le choix est fait – de prendre la voie de l’adultère.

Les vertus de la détermination, de la confiance et de l’amour sont au cœur du roman qui réussit à faire montre d’une aventure au féminin, sans renier le quotidien de celle-ci – car il s’appuie sur la réalité et donne en pâture les accidents d’une vie de famille. L’évocation de la violence conjugale ne connaît aucun dramatisme par exemple, on y reconnaît même la banalité de pareille situation, minimisation et remords traditionnels : « Je reviens du commissariat, explique Éloïse au conseiller conjugal. J’ai porté plainte. Enfin, c’est lui qui voulait le faire parce que je lui avais donné…un coup de poing. Je le regrette, mais il m’avait giflée. Alors je me suis défendue. » Cette rébellion est un des nombreux signes qui font rupture avec la docile Eloïse d’antan qui s’engage dans un processus d’individuation.

Réalisme 2.0

De facto, la quête féminine s’enracine dans un récit irrigué par l’intérêt pour le fait social et l’expérimentation au sens où l’entendait Zola. Des questions séculaires telle que la place dans la société accordée en fonction du statut, ou actuelles telle que la pédophilie dans l’Église sont disséminées tout au long de la lecture, laquelle gagne en amplitude à force des multiplications de points d’accroche. Par ailleurs, la plume de Koesten ne manque guère d’amplitude non plus, elle emprunte au style oralisé un dynamisme qui sied parfaitement au désir de vivre dont est empreinte l’héroïne. Il y a fort à parier que le recours aux dialogues émerge depuis une injonction esthétique évidemment guidée par l’éthique du propos véhiculé. Autrement dit, au vu des sujets sur lesquels porte le livre, l’enjeu littéraire demeure dans le mimétisme de l’écriture : le lecteur rencontrera les tendres traits d’humour, relevant du comique de situation voire du burlesque, déguisés par l’usage d’expressions du ‘’parler jeune’’ – s’il existe – qui côtoient l’élégance du passé simple comme « Elle eut la furieuse envie de lui tirer la langue. Le fit-elle ? Personne ne s’en souvint, tant les événements se précipitèrent, intenses de chez intense. » Le narrateur omniscient intériorise le vocabulaire de personnages secondaires, même lui est mouvant ! Un mot d’ordre préside effectivement l’aventure qui se joue au Manoir, il s’agit de la mouvance d’esprit.

En résumé, Le manoir de Kerbroc’h maintient une certaine exigence éthique largement dominée par un féminisme, peut-être old school, en vertu d’une écriture qui se donne ‘’pour de vrai’’.