Bertrand du Chambon signe une critique très élogieuse pour Frédéric Andrau (Le Salon littéraire)

AVT_Bertrand-Du-Chambon_5245.jpegAlbert Cossery sous la loupe de Frédéric Andrau

par Bertrand du Chambon (Le Salon littéraire, 30 mars 2013)

Rares sont les biographies qui s’avèrent élégantes et fines. Celle d’Albert Cossery, par Frédéric Andrau, est de celles-ci. L’auteur nous fait la grâce de parler courtoisement à l’homme dont il écrit la vie : « Vous êtes rentré droit comme vous l’avez toujours été. Le port de tête altier. Pas une expression au visage. Un regard de sphinx. Les lèvres comme cousues […] », et ce voussoiement, ces quelques mots bien choisis nous dépeignent Albert Cossery mieux que vingt pages.

CouvCossery.jpgChacun le sait, né sous le grand soleil de l’Égypte en 1913, Cossery est arrivé à Paris en 1945 et a vécu 60 ans dans une chambre d’hôtel. Ses premiers poèmes édités au Caire étaient méconnus. Plus tard, en 1947, ce fut le regretté Edmond Charlot qui malgré ses soucis financiers, publia La Maison de la mort certaine. Après un autre roman, réédité de nos jours, Les Fainéants dans la vallée fertile (que Jean Vilar faillit adapter au théâtre), ce fut la publication, par René Julliard, de Mendiants et orgueilleux.

Ce roman connut un grand succès et stupéfia beaucoup de monde : un bordel dans le vieux Caire, Set-Amina la tenancière, un homme-tronc qui quémande quelques piastres, un policier homosexuel qui quittera la police in fine, tout cela faisait un peu scandale en 1955 et nombre de lecteurs, y compris Jean Genet, dirent que c’était le meilleur livre de Cossery.

Impavide, insouciant, serein devant le succès comme devant l’échec, méconnu, Cossery promenait alors dans le quartier Saint-Germain sa silhouette d’ectoplasme, son élégance de dandy et montait derrière Georges Moustaki en moto quand celui-ci quittait l’île Saint-Louis pour aller voir les bouquinistes sur les quais ou les jeunes filles du Quartier Latin.

Le côté excessivement dilettante de Cossery est subtilement rendu : nous apprenons que Mendiants et orgueilleux devait être adapté au cinéma grâce à Jean-Pierre Rassam, avec une musique de Moustaki, mais que le romancier se promena à Cannes, devint figurant pour quelques jours, et… ne fit plus rien. Cet art du farniente, cette insouciance, ou ce « non-vouloir saisir » comme disait Barthes, sont admirablement restitués par Frédéric Andrau. Le côté voyant de Cossery est également mis en relief lorsque plus tard, en 1984, Cossery donnera chez Gallimard Une Ambition dans le désert, que plusieurs politologues tiennent pour une étrange prémonition de la guerre du Golfe.

L’écrivain vieillissant, toujours élégamment vêtu, profitant souvent de ses amis au point de se faire offrir régulièrement des chaussures ou des flacons de lavande, se révèle être un homme qui a fait des choix rigoureux : « Comme un argument péremptoire, vous ajoutiez que « la vie est belle, il ne faut pas se présenter étriqué devant elle. » La vie : une belle femme en quelque sorte, votre maîtresse de toujours.»

FA cote.jpgIl paraît indélicat d’éviter de lire une biographie où l’on trouve d’aussi belles phrases. Albert Cossery a sûrement trouvé ici un biographe ; peut-être aussi un successeur.

 

Bertrand du Chambon

 

Frédéric Andrau, Monsieur Albert. Cossery, une vie, Éditions de Corlevour, février 2013, 280 pages, 19,90 €

Lire également la critique de Frédéric Saenen.

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