Quel pouvoir de séduction pour « l’Astrée » aujourd’hui ?
Il est difficile de parler d’amour lorsque le registre des émotions exprimables se limite à quelques mots.
Est-ce à dire qu’une pastorale amoureuse du XVIIème siècle, – dont les cinq mille pages furent un best seller puis tombèrent dans l’oubli – , est-ce à dire que le roman fleuve d’Honoré d’Urfé, « l’Astrée », nous fait redécouvrir aujourd’hui la puissance du discours amoureux ?
Pastorale amoureuse, discours amoureux : la répétition même révèle l’indigence du vocabulaire, comme s’il nous était impossible de trouver un autre mot. Nous masquons l’obstacle en affirmant le pouvoir performatif du verbe « aimer » : « je t’aime », et cette déclaration n’est pas un simple énoncé car elle fait advenir une réalité. Tout est dit : « Je t’aime », comme « je le jure » a valeur d’action sur le monde.
Pourtant, nous souhaiterions en dire plus. Nous partageons l’intuition de Cyrano de Bergerac : la conquête d’une femme ne peut se prétendre achevée qu’en sachant la belle éprise des manifestations épistolaires autant que de la personne de leur auteur. Existerait-il un art d’aimer inséparable du langage, insatisfait pour l’image .
Qu’est-ce qu’un roman d’amour à l’ère d’internet et du virtuel ?
Les échanges de mails, par leur abondance et leur « temps réel » disent la fragmentation, la nostalgie d’un tissu temporel où se trame la passion.
Nous voudrions arraisonner l’instant tout en lui conservant sa fulgurance, nous voudrions arrêter le temps tout en faisant progresser la plénitude, ce qui est contradictoire et pas aussi simple que « ô temps, suspends ton vol ! »
Nous rêvons d’un labyrinthe pour délabyrinther des sentiments.
Il existe un étrange devoir d’alambiquer, de chercher la subtilité jusqu’à la complication, de quêter le raffinement jusqu’aux détours les plus obscurs. Et dans cette obscurité même irradie la beauté de la langue maniée par Honoré d’Urfé.
Le style est donc essentiel : un roman d’amour est affaire de style, et non de mièvrerie et d’eau de rose, ni de borborygmes ou de « trash ».
Réinventer un discours amoureux au XXIème siècle, telle pourrait être l’aspiration du romancier.
Avec « A l’horizon d’un amour infini », des personnages sont victimes de la « mécroyance » (eût-on dit autrefois) du malentendu inhérent à « l’épanchement du songe dans la vie réelle ». Au quiproquo de la comédie, ils substituent la méprise de la tragédie, l’erreur qui rend aveugle à ce qu’on a sous les yeux.
Les amours d’Astrée et de Céladon épousent toutes les facettes de l’illusion qui croit à mesure que se fait plus ardente la recherche de la vérité.
Lucile, Guillaume et Astrid – dans « A l’horizon d’un amour infini » – rêvent de chemins menant vers un point de fuite dans le tableau de leur morne vie.
Laurence Zordan