Texte figurant dans le catalogue des trente ans des éditions Des femmes :
Trentenaire de l’ardente sereine guerre de trente ans, conduite,
ô blanches caravelles,
tous voiles chus,
sur hautains et hardis calicots,
contre cohortes bottées casquées cuirassées,
tenant en embuscade clinquants phallus
d’hargneux cadets pondus hors le ventre toujours fécond de la bête immonde,
la Gorgone fasciste des églises, sectes, intégrismes, pouvoirs, partis,
à tes nus pieds, ô des femmes, je déplie,
voix de mémoire amie,
le poème tapis rouge
(et que viennent donc s’y encorner les mufles minotaures !)
Etrennes de trente années du livre,
trente années tigresses aux griffes de papier
au joyeux au soyeux au rugueux rugissement,
trente glorieuses larguant toute gloriole et tout décorum,
ô des femmes
bénies soyez-vous entre toutes les âmes, et zélés corps,
pour avoir duré, simplement duré,
en juste fidélité,
orfévrant fins trésors de ferme tendresse,
par-delà flèches cupides, venins de langues et de regards,
plumes à l’injure crasse, bras tendus poings dressés prêts à frapper
des machismes sectaires mafieux acoquinés pour se payer
virile casse et culbute cavalière.
Point ne conviennent ici plaintes, élégies et thrènes,
mais bien plutôt accorte clameur d’hymne dionysiaque,
et plus sûrement l’ode isiaque
au miel hyménoptère,
pour la saga fabuleuse d’Isis à la divine partyhénogénèse,
car du néant, du nihil,
fui le Nil luxueux voluptueux lustral,
tu surgis,
toi ma lumineuse,
des eaux mères matricielles,
tu t’informes toi-même,
ô Mère primordiale,
pour une parade isiaque
qui ravisse l’extasié univers entre terre et ciel,
tu emmontes, artisane cosmique, les trente pièces d’Osiris le Morcelé,
fils frère amant dieu cadavre énigme, meursaub*
dispersé aux quatre horizons et qui,agrippé à ton sein, s’y enkyste,
s’acharnant, ô sombres mystères, à régler tes errances d’amour
déraisonné
– mais où est donc passée, poisson, du viril voyou,
la verge oxyrhinque** ?
Trente années d’oeuvres nous vécûmes,
Et ce fut minutes de sable mémorial, broderies de fière écume,
jours ouvragés de parole empoignée
de parole extorquée renouée
de parole étoilée déliée
Arianes mes soeurs, toutes, combien de fils tendîtes-vous
en labyrinthes pareils à des miroirs sans tain ?
Tissage-pénélope de textes qui s’entextent se contextent se détextent,
écritures en nave
ttes qui filent et claquent et s’affolent et s’apaisent,
livrant, gorgées d’ivrèmes, ces pages, ces pages, ces pages,
en étranges nappés japon piqués de pointes et gouffres. (…)
* meursaub, en arabe, « voyou », « coquin ».
** Le sexe d’Osiris fut avalé par le poisson oxyrhinque (cf : Psychanalysis entre chien et loup, Imago/PUF, 1984)