Wokisme : la guerre des mots
Par Emmanuel Jaffelin, Philosophe
Monsieur n’est pas d’hier, ni Madame ni Mademoiselle.
De Monsieur, Madame et Mademoiselle, il y a des choses à dire.
Le premier remonte à 1314, il s’écrit « Monsor » et est la contraction de l’adjectif possessif « Mon » et du nom commun « Sieur »qui, lui-même, est une abréviation de « Seigneur ». Monsieur donne Mister en british et constitue un mystère pour la réflexion.
Madame, au moyen âge, était le titre réservé aux seules femmes de chevaliers, puis à la Femme du Roi, voire à celle de son frère.
Quant à Mademoiselle ou Ma Demoiselle, le mot vient du bas latin « domnicella »qui désigne la maîtresse de maison et implicitement le mariage consommé et la reconnaissance d’un titre : la domina dominait donc socialement la servante ( ancilla ou serva) ! Quelle gène que ce nom dans une société égalitariste qui vise à traquer et éliminer les mots pouvant colporter une hiérarchie sociale.
Mademoiselle est donc un substantif qui fut éliminé en France des termes administratifs en 2012 et remplacé à l’oral par « Madame » (Appeler Madame» une adolescente âgée de 14 ans est aussi pertinent que d’appeler « chien » un chiot âgé de un mois ! Mais il faut donc désormais considérer tous les individus par l’espèce à laquelle ils appartiennent!). A dire vrai, dès le XVIIIe post-révolutionnaire, le terme Demoiselle fut maltraité, celle-ci tombant de son piédestal, perdant son statut social et ne désignant plus que la fille, voire, au dix-neuvième, la prostituée ! A noter qu’au Moyen âge existait le terme « Damoiseau » désignant le Gentilhomme qui n’était pas encore armé « chevalier ».
Ainsi, après avoir critiqué et annulé tous les Seigneurs de la société post-révolutionnaire, leurs termes furent réappropriés civilement et distribués à tous les citoyens, étrangers à la Noblesse, mais en tant que signe de respect civil et social détaché officiellement de leur origine nobiliaire. Dans son Dictionnaire Philosophique, Voltaire anticipe donc, un quart de siècle avant la révolution française, cette évolution de l’abréviation masculine : « Pour terminer ce grand procès de la vanité, il faudra un jour que tout le monde soit Monseigneur dans la nation, comme toutes les femmes, qui étaient autrefois Mademoiselle, sont aujourd’hui Madame[1]. »
Autrefois on jouait aux Dames. Avec le wokisme, on joue aux Dames, aux Messieurs et aux Demoiselles considérés comme des nomina non grata à bannir ! La vie sociale est devenue un jeu de mots soit-disant pratiqué pour guérir des maux sociaux ! En réalité, il s’agit d’une guerre des mots qui génèrent d’autres maux : ceux d’une civilisation de plus en plus déstabilisée de l’intérieur par des minorités. Et une civilisation aussi dominée par de » telles minorités file un mauvais coton : celui de la décadence. Monsieur, l’Occident agonise. Son Iel lui survivra-t-il ?
Devons-nous passer du Monsieur au Mons-Iel ?
Notre Père qui êtes aux Cieux
Que ton Iel soit sanctifié ?
Emmanuel Jaffelin
auteur de Célébrations du Bonheur (Michel Lafon, 2021), Apologie de la Punition (Plon, 2014), Eloge de la Gentillesse (Bourin 2010, Pocket 2016)
[1]– Voltaire : Dictionnaire Philosophique, article « Cérémonie », 1764