Premier volume excellent d’une saga familiale dont on attend déjà la suite…!
A Sicilian family in Tunisia
Voilà le premier volume de ce qui sera une trilogie, la trilogie de la famille Volponi et à travers eux l’histoire d’une communauté bien spécifique, prise dans les vicissitudes de l’Histoire (Histoire avec une majuscule, car les membres de la famille ne sont rien, impuissants face au rouleau compresseur des faits, de l’évolution politique de leur environnement sur lequel ils n’ont strictement aucune prise). Soit, ce thème est connu, d’ailleurs les sagas familiales sont toutes plus ou moins une libre variation dessus : montrer l’évolution d’une famille, d’un groupe, d’une « communauté » à travers une période de temps plus ou moins longue. Songeons à La chroniques des Pasquier de Duhamel, aux Grandes familles de Druon sans parler des Hommes de bonne volonté de Roland.
Aurélia Gantier fait preuve d’originalité au niveau de la communauté (à travers une famille) bien spécifique et fort peu étudiée tant en littérature qu’au niveau des historiens : les Siciliens en Tunisie. On peut trouver des milliers de livres, d’études sur l’immigration italienne en général et sicilienne en particulier en France (essentiellement dans le nord ou le sud-est) mais je n’en connais aucune sur celle en Tunisie, alors protectorat français.
Au début du XX siècle, Filippo Panzone épouse Rita, et très vite ils fuient la misère sur la petite île de Pantelleria. Ils traversent la Méditerranée pour la Tunisie. Là, à force de travail, ils finissent par obtenir une certaine aisance. Il faut dire que Rita est une « maîtresse femme » au caractère bien affirmé et avec un grand sens des affaires qu’elle mène de main de maître malgré ses sept grossesses et autant d’enfants à élever. Soit, ils sont quelque peu laissés à eux même, sauf les filles, car se sont des filles et leur destin et tout tracé, rester et entretenir leur futur foyer. Pas la peine qu’elles aillent à l’école, elles seront toutes analphabètes.
La saga commence en 1947, quand la petite dernière, Crocefissa, la préférée de son papa, la plus belle de la fratrie, est une adolescente qui biaise, ment pour aller rejoindre l’homme qu’elle aime : Marcello Volponi. Ce dernier, fils unique du forgeron, élevé et adulé par sa tante est un jeune homme de 19 ans, caricature de l’Italien, ne s’occupant que de son apparence et de ses conquêtes féminines : un hédonistes doté d’un égoïsme à toute épreuve.
Crocefissa finit par tomber enceinte, sa famille fait pression sur Marcello pour l’obliger de l’épouser alors qu’il ne l’aime pas. De fait, s’il lui fait quatre enfants en tout, il est très souvent absent, plus occupé à s’amuser avec ses amis et ses conquêtes que de s’occuper de sa famille. La première enfant, Rosaria, l’enfant du péché, est de fait élevée par la voisine (et non moins maîtresse de Marcello) qui est bien plus affectueuse avec elle que ses parents génétiques. Ce n’est que quand elle est atteinte de poliomyélite qu’ils s’impliquent pour elle.
Les événements politiques rattrapent la famille, Marcello part en précurseur en France pour trouver du travail et un logement. Cette première partie s’achève sur le bateau qui amène Crocefissa et leurs enfants le rejoindre.
A travers cette famille, essentiellement autour des personnages de Rita, Crocefissa et Rosaria, Aurélia Gantier nous décrit la vie de cette petite communauté en Tunisie juste après la Seconde Guerre mondiale. On leur fait comprendre à l’Indépendance qu’ils ne sont pas tunisiens, mais si les enfants sont français par le droit du sol, qu’en est-il des plus anciens ? Ils ne se sentent plus italiens (siciliens oui, mais pas italiens, mais ont oubliés leurs racines matérielles), et leur univers, leur vie est leur village en Tunisie. Et même la France, personne ne sait ce qu’elle est vraiment, il y a bien sûr le mythe de Paris mais il y fait froid et il n’y a pas la mer. La métropole est une vraie « terra ingonita » pour eux. Ils se vivent comme siciliens (avec sa culture, ses codes sociaux) mais sûrement pas comme français, italiens ou tunisiens. Ils sont quelque peu « hors-sol ».
Et que dire de cette culture qui semble sortie d’une autre époque ; société machiste, la femme n’est rien, juste bonne à engendrer et à s’occuper de son maître, elle ne dispose d’aucune liberté autre que celles données par leurs pères puis par leurs maris, une culture fondée sur les apparences physiques et sociales dans laquelle le « qu ’en-dira-t-on » a force de loi. Soit Rita domine tout le monde, mais elle sait s’effacer quand il le faut. Des rapports sociaux, de fait, très violents. Les femmes en sont les victimes, mais les hommes aussi quand leur »honneur » et leur « réputation » est en jeu. Le libre arbitre, la volonté individuelles sont des concepts totalement inconnus. Et pourtant, chacun semble heureux dans cet univers, ils acceptent leur place dans la société et font tout pour y trouver le plus de bonheur possible. L ’arrivée dans la France de la fin des années 50 risque d’être dure.
Cette saga, indéniablement inspirée par la famille d’Aurélia Gantier (je soupçonne fortement Rosaria d’être sa mère), nous fait découvrir un pan de notre histoire quelque peu méconnu. Vivement la suite !
Émile Cougut
Les Volponi
Aurélia Gantier
éditions Une heure en été. 16€50