Opération Coronavirus : « Sur les ruines de l’Histoire » par Frederika Abbate

Par Frederika Abbate

Sur les ruines de l’Histoire

Le COVID-19 et le « Progrès »

Walter Benjamin dans son génie a imaginé l’Histoire telle une seule et unique catastrophe, que fixe l’Ange de ses yeux effrayés. Ailes déployées et tournant le dos à l’avenir, le visage tourné vers le passé, il voudrait réparer ce champ de ruines, le remembrer. Mais il en est empêché. Car le vent du Progrès, qui souffle constamment, l’en éloigne à jamais.

Pour le titre et la teneur de mon roman « Les Anges de l’Histoire », je me suis inspirée de ce texte de Benjamin où apparaît son fabuleux Ange de l’Histoire, évoquant le tableau « Angelus Novus » de Paul Klee, acquis par le philosophe en 1921 et qui, après quelques déplacements dus à la deuxième guerre mondiale et à la fuite de Benjamin menacés par les nazis, a fini par se retrouver au musée d’Israël.

Dans « Les Anges de l’Histoire », le « progrès » de la marche du monde où, justement, de monde il n’y en a plus qu’un, aboutit à un état de perfection du capitalisme jamais atteint auparavant, qui aplatit la singularité des individus, neutralise les personnalités et, secondé par le « progrès » techno-scientifique, vise à la destruction de la nature humaine, par, notamment, des manipulations génétiques allant jusqu’à vouloir l’éradication du maître absolu, la mort.

Le maître absolu : la mort

Tout ceci se retrouve et se décline dans la pandémie actuelle. L’éclosion du virus, (sa prolifération d’abord chez l’animal et son passage à l’humain par la gestion cupide de l’élevage et de la vente d’animaux au détriment de l’hygiène), sa propagation, non par laxisme ou incurie mais par choix délibéré et idéologique de ne pas toucher à la sacro-sainte liberté de circulation, qui, dans une situation aussi catastrophique qu’une crise sanitaire, révèle sa face et sa fonction véritables : le capitalisme sans frein. Ainsi que les manipulations politiques subséquentes ne reculant pas à jouer insidieusement sur le maître absolu qu’est la mort, l’instrumentalisant à leur profit.

Les Anges et les ruines

Ma mission de romancière est double. Voir, observer, prolonger, pousser à l’extrême pour mieux voir et rendre visible tout ce qui concerne les données essentielles de l’humain, d’une part dans leur versant atemporel ; et d’autre part prises dans les conjonctures les plus actuelles en mettant en relief les dégâts que celles-ci causent dans la vie et l’esprit des êtres.

Parallèlement à cela, le deuxième pan et non des moindres de ma mission, consiste à proposer un style de vie, de pensée, de ressentir qui me semble authentique et qui entre en résistance contre nos faiblesses intrinsèques et les répressions extérieures diverses que plus ou moins consciemment nous subissons.

Ainsi, pour le premier point, je vois la pandémie comme l’un des rejetons du drame où nous ont menés des années de malfaisances et qui se sont cristallisées dans le virus. Vouloir toujours plus, ne pas songer au lendemain, ne pas se soucier des facteurs proprement humains, ne penser qu’à la rentabilité outrancière. Et l’on voit d’ailleurs qu’on aboutit à l’inverse du résultat escompté. Car comme la plupart des états n’ont pas voulu fermer les frontières dès le début, étant aliénés à la marche inexorables du profit, méprisant la nécessité élémentaire consistant à protéger les populations, des crises économiques plus graves vont en résulter. Dans « Les Anges de l’Histoire », la marche inexorable du capitalisme libéral montre que l’on pourrait aboutir à la disparition de la nature humaine. Et la catastrophe sanitaire que nous traversons ramène à l’atmosphère d’apocalypse de ce roman, à son questionnement central sur la valeur de la vie humaine (dans les hôpitaux de France, vu leur degré de dégradation, le choix doit être fait souvent entre qui doit vivre et qui doit mourir). Dans « Les Anges de l’Histoire » est rendu visible le risque d’aller jusqu’au bout de l’humanité : de plus en plus de gens mènent une vie asservie au profit, au paraître et qui sont prêts à tout, vraiment à tout pour écraser les autres. Trop cupides, ils se sont éloignés du principe vital. En voulant toujours plus, ils bafouent le corps humain, l’amour, la mort… C’est un monde ravagé par la machine idéologique du profit, où sont neutralisés les élans primitifs essentiels, l’amitié, l’authenticité d’une vie en accord avec soi-même, la singularité des individus… Or, tout ceci amène aussi à la pandémie. La pandémie va rendre encore plus criantes des injustices et des inégalités scandaleuses.

L’immunité collective

Comme dans « Les Anges de l’Histoire », des gens vont être sacrifiés. Envoyés au casse-pipe, pour que se résolve d’elle-même la pandémie. L’immunité collective est inhumaine. Il faut le dire. C’est cela qui va arriver. Comme en témoignent les annonces venant d’être faites au sujet de la fin de ce qui est appelé «confinement». Les enfants pourront retourner à l’école. Petits porteurs sains et dans l’impossibilité absolue due à votre âge d’employer les « gestes barrières », contaminez bien vos enseignants, vos parents. Et vos parents d’ailleurs pourront mieux travailler parce que l’école, pour les petits, sert aussi de garderie, pas seulement à formater les esprits. Tandis que les étudiants, qui sont capables d’appliquer les « gestes barrières » mais n’ont pas besoin d’être gardés, ne pourront pas retourner à la fac. Étrange, non ? D’abord, on nous enferme, parce qu’on n’a pas voulu faire le nécessaire à temps. Sans compter que seule la moitié de la population reste chez soi, les autres sortant pour aller travailler… Et ensuite, on nous libèrera. Comme ça, trop heureux de pouvoir enfin profiter du printemps, on va se contaminer à profusion. Tout cela est savamment orchestré. On nous le dit, je n’invente rien. Il faut faire de la place dans les hôpitaux. Tout s’orchestre à partir de là. À partir des budgets restreints pour la santé, finalement… On criera à la joie de la fin du « confinement » mais pas de la fin de la pandémie. C’est là qu’il faudra faire très attention.

Alors, celui qui peut ne pas travailler encore quelques mois, ayant des réserves financières, pourra ne pas aller s’exposer. Tandis que ceux qui seront obligés d’aller travailler pour gagner leur vie, s’exposeront. Et ils travailleront ainsi, à leurs risques et périls dans le sens littéral du terme, à l’inhumaine immunité collective.

La vie ou la mort

Dans les hôpitaux de France, pays apparemment rangé dans les pays développés (en quoi serait-elle développée ?), faute de lits et de matériel, le personnel hospitalier est investi de l’horrible tâche de devoir choisir. Dans le fond, je ne vois pas pourquoi des personnes âgées auraient moins le droit de vivre que d’autres. Pour moi, une vie est une vie. Ce problème nous concerne tous actuellement, c’est un vrai problème d’éthique. Je ne sais pas si l’on mesure à quel point cela va changer la vie des personnes dans les milieux hospitaliers d’avoir eu à faire ces « choix ». Ce qui pose une question essentielle : notre rapport à l’humanité, à ces questions de vie et de mort va changer. Et il est à craindre que ce soit pour le pire.

Il y a toutes les « petites » professions non-protégées, qui ne peuvent pas être exercées. Comment vont survivre ces gens ? Il y a tous ceux qui ne peuvent pas travailler, qui sont au bord de la faillite, la faillite financière et morale. Comme ce restaurateur indien que je connais, qui est en France depuis 40 ans. Cela fait 40 ans qu’il travaille, sans prendre un seul jour de congé (même s’il est souffrant), parce qu’il en a un besoin absolu pour vivre. Il n’a pas à choisir entre la santé ou l’argent. Il sait que sans argent, il ne sera pas correctement soigné. Si on peut se payer 3 000 € par jour, à l’hôpital américain, on risque beaucoup moins de mourir, non ?

Les dommages collatéraux

Les gens, déjà très individualisés et menant des vies inauthentiques, vont être encore plus individualisés et encore plus aliénables, corvéables à merci. Les livreurs sont très exposés, eux qui ont servi à celui qu’on appelle le président de montrer que soi-disant la courbe du chômage a baissé, alors qu’ils n’ont aucun droit.

Il y a tous les dommages collatéraux, dont on ne parle pratiquement pas. Les banlieues qui sont devenues plus que jamais des zones de non-droit que le gouvernement abandonne complètement. Les règles ne sont pas respectées, ce n’est pas grave. Ce n’est pas la peine d’envoyer la police, laissons gérer (contrôler, dominer) ces zones par les dealers, les islamistes. Que les gens se contaminent à qui mieux mieux. Bon débarras, cette vermine de banlieue, pourvu que soit sauvé qui doit être sauvé intra-muros (ce terme reprend ici toute sa résonance). Et comme il y a peu de monde dans les rues et pas de contrôle dans ces banlieues, les voyous terrorisent les vendeuses esseulées dans les petits commerces de bouche, livrées à elles-mêmes, sans défense.

Poisons de la mondialisation

Comme révélateur, la pandémie va nous montrer la cupidité frénétique des laboratoires pharmaceutiques. La molécule d’un certain spécialiste des maladies infectieuses de renommée internationale est bafouée, juste parce qu’elle ne vaut pas cher.

Elle nous montre aussi les méfaits de la mondialisation. Plus un seul coin de sauvé. Sauf l’extrême nord et j’espère que cela ne va pas atteindre les peuples qui vivent là-bas, qui subissent déjà les méfaits des pollutions causées par l’occident, alors qu’ils n’y sont pour rien.

Il n’y a plus qu’un monde, un modèle unique, ce qui veut dire que nous n’habitons plus nulle part, puisqu’on ne peut pas faire sien un quelconque pan de terre. Ce qui veut dire que la nature n’existe plus, pas seulement à cause des pollutions diverses mais dans notre rapport au lieu. La mondialisation est le non-respect par rapport à chaque peuple, sous couvert de respect. Dire que tout est pareil et appartient à tout le monde revient à faire que plus rien de vrai n’existe et que personne ne détient quoi que ce soit, à part une poignée de puissants pour qui le monde est une vaste cour de récréation, et qui sont en train de manger la laine sur le dos des anges…

Les Anges

Les virus mortels… je les ai imaginés dans le roman que je suis en train d’écrire, qui vient après « Les Anges de l’Histoire ». Mais jamais je n’aurais cru vivre cela moi-même. J’ai mis du temps à accepter, et je ne sais pas si cela peut s’accepter vraiment, que ce pire deviendrait actuel. Et c’est donc maintenant que le deuxième pan de ma mission de romancière s’avère pleinement indispensable. La proposition d’un nouveau mode de vivre et de penser qui soit plus en adéquation avec la vie terrestre, avec une ouverture d’esprit plus grande, une sensibilité aiguisée. Ce qui ne peut avoir lieu qu’avec le courage d’être soi, de se créer sans cesse, de ne pas correspondre aux schémas pré-fabriqués, aux rôles qu’on veut nous faire endosser. C’est pourquoi dans « Les Anges de l’Histoire », même si souffle toujours violemment le vent du Progrès qui, non seulement veut empêcher de réparer la grande catastrophe qu’est toute l’histoire, tout le passé, mais pousse inexorablement à commettre toujours plus de ravages, il y a un groupe de résistants qui vont en essaimer d’autres. Les « Anges de l’Histoire » révèle les misères du monde dit réel, notre monde, où les humains seront des monstres complets. Ce qui risque de se produire dans le réel si des groupes de gens réveillés, encore singuliers, n’alertent pas les autres et n’entrent pas en résistance pour combattre ces méfaits.

La fin des temps

« Les Anges de l’histoire » initie un cycle sur la fin des temps. Dans ce roman, il y a des choses qui combattent l’incurie, l’incompétence et la cupidité des divers pouvoirs et de l’aliénation qui s’en suit, les manipulations génétiques qui signent le divorce d’avec la nature essentielle. Ces choses sont le désir absolu de vouloir rester humain, avec ses imperfections certes mais aussi et surtout avec la foncière adhérence à la vie authentique, la coïncidence de ce qu’est chacun avec son mode de vie, la création, l’amour, la recherche du sens. Dans la catastrophe sanitaire actuelle, j’ose espérer que c’est cela qui, en partie, pourrait sauver aussi.

Le 16 avril 2020 – 31ème jour de « confinement » quand les humains risquent de devenir an-humains.

La démathérialisation du Salon Culture et Jeux mathématiques

Nous avons pris acte des déclarations du Président de la République du 13 avril 2020 et les conditions ne sont plus aujourd’hui réunies pour que se déroule de manière habituelle le 21ème Salon Culture et Jeux mathématiques, Place Saint Sulpice dans le 6ème arrondissement.

Cependant nous tenons à maintenir cette célébration des mathématiques de manière virtuelle du 28 au 31 mai 2020.

Ainsi, nous avons lancé une réflexion autour de la “démathérialisation” du Salon.

Nous faisons notre maximum pour garder un sentiment de promenade dans le Salon, même si elle sera virtuelle. 

Nous vous tiendrons au courant des différentes avancées du projet via nos réseaux sociaux et le site internet.

N’hésitez pas à nous faire part de vos questionnements et de vos propositions pour préparer ce Salon “démathérialisé”.

Contact presse / Renseignements Guilaine Depis 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

TERREUR VERSUS PEUR « Réhabilitation de la peur » par Frederika Abbate

TERREUR VERSUS PEUR (à lire ici : https://issuu.com/whiterabbitprod/docs/white-rabbit-dream-la-peur-issuu)

Réhabilitation de la peur paru dans White Rabbit Dream 3/La Peur, mars 2020

J’imagine un monde délivré de la peur.

Il y règnerait l’insouciance. Je peux jeter mes déchets partout, polluer les terres, les mers, les ciels. Je suis au sommet de tous les règnes. La nature est mon esclave.

Il y règnerait le sentiment de la liberté. Je peux marcher sur les pieds de quelqu’un dans la rue, lui marcher même sur la tête si j’en ai envie.

Il y règnerait une impression de toute-puissance. La force est de mon côté, la superbe, le fun, l’élégance. Tous ceux qui ne sont pas comme moi, les pauvres et les ringards, n’ont qu’à disparaître puisqu’ils ne suivent pas la marche du progrès.

Il y règnerait l’impunité totale. Au nom de la sécurité et de la loi, je peux donner l’ordre de matraquer, mutiler, éborgner… Parasite de la révolte, je peux fracasser des boutiques, voler ce qu’il y a à l’intérieur, frapper.

Il y règnerait la permission absolue de tirer profit de la vie humaine. Je peux arrêter d’un coup la fabrication d’un médicament destiné à combattre les maladies graves, parce qu’il n’est pas assez rentable, et créer une pénurie de ce médicament essentiel, sans m’en soucier.

Je peux ne pas réagir en sachant pertinemment que le monde va mal, que la planète est en train d’être détruite. Tant que mes poches sont renflouées, tant que je suis dans les premiers rangs, qu’est-ce que cela peut me faire ?

Il y règnerait l’inconscience. Puisqu’on peut me blesser, me tuer d’une balle, de coups de couteau, de coups de véhicule ou je ne sais quoi d’autre, à quoi sert-il d’avoir peur ? J’aurais peur tout le temps et une telle vie n’est pas possible. Tous les jours, en sortant de chez moi, je cours ce risque. Et même si je ne sors pas d’ailleurs. Parce qu’il peut se produire une explosion de gaz dans une boulangerie près de chez moi, sans qu’on me dise pourquoi, comme cela s’est produit tant de fois.

Quelle merveille de vivre dans un monde délivré de la peur ! Vivre dans un monde qui est en train de courir à sa perte.

 

Malheureusement, je ne l’imagine pas, ce monde. Il n’est que trop réel. Un danger mortel cerne les humains. Et ils ne s’en rendent pas compte.

 

Notre siècle se fonde, se construit et perdurera (ou non) sur une série de disparitions. L’une de ces disparitions, et non des moindres, est la peur. La peur a disparu.

Nous vivons sur les ruines de la peur.

C’est bien de cela dont on devrait avoir peur. Peur de la disparition de la peur. Car la peur est essentielle.

La peur, émotion première, qui signale la présence d’un danger. Le signal du danger est capital pour la survie.

 

L’ouverture au temps, basée sur la peur de disparaître, permet de s’armer contre la faiblesse intrinsèque de notre condition et de se prémunir de la pulsion première, ou du moins l’une d’elles, visant à s’entretuer. La peur de cette disparition tenait les humains liés entre eux. La peur était opérante. La peur de la disparition a créé la civilisation, par les actions héroïques, les poèmes qui les chantaient, l’art, les religions qui relient… tout ce qui perdure.

Comme la bombe atomique sert principalement dans son pouvoir dissuasif, ne sert donc que si on ne s’en sert pas, la peur de la disparition globale servait à ne pas disparaître en tant qu’humanité globale. Elle tenait dans son pouvoir dissuasif.

Jusqu’à la moitié du 20ème siècle, la peur a rempli cette fonction. Même la guerre de 14- 18 et la grippe qui s’en est suivie, qui ont fait des millions de morts, n’ont pas écorné la peur. Car ni cette guerre ni l’épidémie, bien que monstrueuses par les hécatombes qu’elles provoquèrent, n’ont donné l’idée que l’entière humanité pouvait se détruire par elle-même. Elles ne faisaient pas système.

 

L’aujourd’hui se dresse sur les ruines de la peur. La peur a été usée jusqu’à la corde. La Shoah. L’URSS. Mao. Pol-Pot. Là, il a été vu, éprouvé, subi que l’humanité en tant que telle avait commencé à disparaître, en tout cas qu’une telle chose était possible. On a pu parler alors de la fin de l’histoire. Hitler, peut-on voir énoncer Hannah Arendt dans une interview filmée, Hitler n’est pas un grand criminel de guerre. Il n’y a que des grands crimes. Il faut arrêter de romantiser les criminels. Hitler, dit-elle en caressant son chat car je crois qu’à ce moment-là elle avait besoin de réconfort, est un clown. Entendre le mot «clown »prononcé à l’américaine, aux sonorités bien ouvertes, dans la bouche alors un peu carnassière de Hannah Arendt, permet de saisir, comme de l’intérieur, le drame.

 

Il est bien sûr indispensable de rappeler toujours les crimes perpétrés dans le sanguinaire 20ème siècle. Par devoir de mémoire envers les personnes assassinées et celles blessées à vie. Et pour mettre en garde, pour que cela ne se reproduise pas. Mais cela ne vaudra que de manière partielle. On a voulu détruire un pan de l’humanité. Mais l’humanité entière en tant que telle est toujours là. Insidieusement, est-ce que cela n’a pas planté dans le cœur de chacun une horrible semence ? Une peur paradoxale, aboutissant à son effet inverse ; le sentiment que l’humanité de toute manière se relèvera, qu’elle ne pourra jamais être éradiquée ou remplacée. La peur réversible…

Quand le pire qu’on craignait est survenu, de quoi avoir peur ? La peur en tant que signal d’UN danger a été détruite. Et avec la destruction de cette peur ancestrale, nous risquons d’être détruits aussi. Car l’histoire n’est pas finie, même hideuse, elle continue. Même si la nature ancienne de la peur a disparu. Quand ce que vous craigniez le plus est arrivé, la peur est derrière vous. Vous êtes effondré. Mais vous n’avez plus cette peur. Vous êtes passé au- delà de la peur. Et c’est grave. Car c’est la peur qui, dans l’appareil des émotions et des affects, permet de détecter la présence d’un danger. C’est à partir de ce signal qu’on se met en mouvement pour échapper à la menace, d’une manière ou d’une autre, se battre, se mettre à l’abri. Le danger était perceptible, repérable, un, identifiable, indivisible. C’était simple, basique, naturel ; l’humanité craignait de disparaître. Cette disparition foncière s’est colmatée quelque temps par la menace de la bombe atomique.

 

Quand le monde était encore divisé en deux blocs antagonistes et puissants, du temps où sévissait encore l’empire soviétique, la peur du déclenchement de la bombe atomique était solide, repérable, indivisible ; quelque chose de franc et net, brutal.

L’URSS n’existe plus. Cette peur s’est évanouie. Elle s’est disséminée en maintes parcelles infinitésimales, même si les dommages peuvent s’avérer catastrophiques. D’une part dans les accidents des centrales nucléaires, pour ce qui en est de l’atome. D’autre part dans les assassinats terroristes, pour ce qui en est des forces antagonistes en présence.

La peur est devenue une nuée, une constellation de nébuleuses, une poussière non repérable qui s’infiltre par tous les pores de la pensée.

La mithridatisation, du nom de son inventeur, le roi grec Mithridate, qui consiste à prendre un tout petit peu de poison chaque jour afin d’en immuniser le corps et de rendre le poison inopérant, s’applique aujourd’hui à la peur. La peur, par trop diffuse et de fait omniprésente, aboutit à son effet inverse. On ne ressent plus la peur. Elle n’est plus le signal d’un danger. Il y en a trop.

Comme en témoigne l’utilisation à tout-va de mots valises se terminant par « phobie ».

Nombreux sont les appels formés de nouveaux mots parés de ce suffixe : islamophobie, homophobie, grossophobie… Sous l’appel manifestement énoncé, j’y vois une autre phobie, sous-jacente et en vérité première : la peur inavouée de la peur. En filigranes, à grands cris masqués, dans une souffrance si intolérable qu’on ne peut même plus la crier, qui ne peut même plus s’exprimer ouvertement, on réclame en fin de compte le retour de la peur.

 

Les singularités sont écrasées de plus en plus, par l’économie de marché qui atteint sa perfection maximale, à une cadence folle, au sens propre débridée. Dans une perfection glaciale, les singularités sont devenues presque complètement plates, réduites à des entités qui consomment, qui se battent dans les magasins pour accéder à des pseudo-réductions qui n’en sont pas, réduites à des individus atomisés, enfermés chacun dans sa solitude. Une mauvaise solitude, qui résulte, en eux-mêmes de l’emprisonnement de leur être profond et authentique, aux trois quarts asphyxiés. La seule oxygène restante s’emploie à se grouper par petits tas, pour se sentir exister, formant des micro-minorités. Mais cela comporte un effet pervers. Le recours à un groupe —certes plus petit et moins écrasant que le grand groupe global des consommateurs, la masse aliénée—aplatit encore les singularités. La bannière de ralliement comporte le suffixe « phobie ».

 

Une force maligne envahit tout, s’avance masquée, quelque chose de plus terrible que la peur, quelque chose d’extrêmement sournois et d’inopérant, qui ne remplit plus le rôle bénéfique de signal déclencheur pour parer au danger. J’ai nommé la terreur.

La mithridatisation de la peur a donné la terreur.

 

Hormis quelques rares exceptions, peu nomment la peur de la disparition complète de l’humanité, la peur première, fondamentale, remplacée par la terreur. La terreur prend les masques d’autres peurs, diverses, fragmentées. La terreur rend ces peurs peu efficaces, difficilement opérantes.

L’humanité a peur de la détérioration et de la perte de la planète. Elle a peur que le monde s’effondre. Pour des raisons écologiques, climatiques, économiques… Elle a certes raison d’avoir ces peurs. Ces raisons sont bel et bien réelles. Mais pourquoi alors ce maelström de craintes qui n’aboutissent pas aux bonnes mesures, à cette cacophonie ?

L’humanité a mis la peur en dehors d’elle-même. L’ancienne peur, la vraie peur, a été neutralisée. Alors, ça crie de tous les côtés, ça rue dans les brancards. Pour ce faire, on a même besoin d’une presque fillette, entre Cassandre et Antigone, pour assoir un semblant de légitimité perdue à la peur.

La terreur tétanise. C’est son rôle. La terreur fait oublier la peur première que toute civilisation devrait toujours garder en tête, sous peine de se dissoudre : la peur de disparaître, de s’entretuer.

 

En vérité, les gens font semblant d’avoir peur. Mais ils n’ont pas peur. La peur est derrière eux. Et ils ne s’en rendent pas compte. Ils croient avoir peur. Mais cette peur ne détecte plus le danger un, indivisible, la menace véritable. En vérité, s’ils s’écoutaient, peut-être verraient-ils qu’ils ont peur de tout et de son contraire.

 

Peur de la nourriture qui est si mauvaise. Peur de ceux qui vendent et prônent la nourriture un peu moins mauvaise et qui en font idéologie. Parce que l’idéologie peut conduire au pire.

Peur de l’air. L’air est pollué, nocif. Peur de ceux qui dénoncent les mauvaises pratiques qui polluent l’air parce que souvent cela dénote la haine de l’antériorité.

Peur de ceux qui les écoutent et les applaudissent aveuglément. Parce qu’ils rejettent la nuance et un monde sans nuances, c’est mortel.

Peur de ceux qui se fichent que l’air soit pollué. Parce que ce sont de sales inconscients, des profiteurs.

Peur des maladies. Peur de ceux qui au lieu de les combattre, veulent fabriquer des créatures qui ne seraient plus malades et qui assujettissent ainsi les êtres à une somme d’organes. L’addition des organes, ce n’est pas la vie.

Peur de la mondialisation. Elle engendre un faisceau incontrôlable de peurs diverses ; dont la première est le resserrement. Abolition de l’espace. Abolition du temps. Plus personne n’a d’espace. Plus personne n’a de temps. Les écrans et le temps dit réel ont tout mangé. La vitesse a tué le déplacement. Peur de faire sur du place. C’est pourtant ce que tout le monde fait. Il se trouve qu’à peu près tout le monde a peur d’à peu près tout le monde, justement.

Peur de ceux qui, pour combattre la mondialisation, en appellent à une autre sorte de resserrement, un repli absolu aussi sinistre.

Peur des oppresseurs qui dirigent le monde car ils le font au détriment des humains. Peur des réactions de révolte que cela peut entraîner. Car tout souhait de destruction, même pour la bonne cause, peut se révéler dévastateur.

Peur des religions fanatisées. Peur de l’absence de spiritualité qui tue la fantaisie.

Peur de la mort. Peur de ceux qui veulent l’éradiquer. Parce que la vie sans la mort n’a pas de sens. Et qu’une vie qui n’a pas de sens c’est la folie et l’enfer.

Ces peurs se neutralisent entre elles. Et finalement, la peur, réduite en poussière, s’endort et entraîne avec elle les gens dans le vilain sommeil de la terreur.

 

Thanatos/Hypnos/Éros. Chacune à sa manière, ces instances correspondent à l’abandon de la maîtrise et du contrôle de la conscience. Les dissolutions momentanées de l’individualité sont salutaires.

Le sommeil où je plonge aux tréfonds de ma psyché me ressource, Hypnos.

L’amour qui fond mes limites mentales et corporelles, ouverture à l’autre, par où je prends force et consistance au monde, Éros.

La mort par où je participe du cycle éternel du vivant, Thanatos.

 

La terreur est un sommeil, hypnos, un sommeil malade, hypnos déréglé. Sommeil éveillé, où le réel n’est plus vraiment réel. Le sommeil n’est plus vraiment sommeil. Le songe n’est plus vraiment songe et le cauchemar, plus vraiment cauchemar… Tout s’inverse en son contraire, indéfiniment, dans une insignifiance mortelle. Cet hypnos omniprésent abroge presque complètement Éros et Thanatos.

Si nous ne pouvons pas rétablir le sain ordonnancement des trois instances, les cohortes de zombies que nous sommes en train de fabriquer, ne vont avoir de cesse de proliférer. Et iraient à disparaître jusqu’aux ruines de la peur. Il n’en resterait même plus le souvenir ni la trace. La mémoire de ce que, avant nous, nous avons été, ainsi que le projet de ce que, après nous, nous serons, seront pulvérisés.

Il y a quelque chose de pire que la mort. Un monde sans histoires, pur règne de la terreur.

 

Ombre parmi les ombres, j’erre entre les ruines de la peur.

Frederika Abbate

 

« Les Anges de l’histoire », un nouveau roman de Frederika Abbate à paraître le 15 septembre 2020 aux Nouvelles éditions Place

« Les Anges de l’histoire », un nouveau roman de Frederika Abbate à paraître le 15 septembre 2020 aux Nouvelles éditions Place

Il comporte 206 pages, distribuées en 3 parties :1°L’Initiation ; 2° La Canopée ; 3° Hadès.

Ce roman suit le parcours depuis l’enfance de Soledad, un jeune homme qui devient cyber-artiste, avec son initiation artistique, cybernétique et sexuelle. Art, cybernétique et sexe seront dans sa vie étroitement mêlés.
Après un passage en Asie et en Russie, il revient dans un Paris complètement chamboulé, jeté dans un monde en proie à un capitalisme effréné, où toutes les barrières morales sautent dans des rituels de grande cruauté.
Ralliant un groupe de résistants qui vivent à la cime des arbres dans un faubourg Saint-Germain aux trois quarts dévastés, il est confronté à un complot mondial de transhumanistes qui veulent le remplacement de l’humain, vaste crime contre l’humanité. Ce qui fait sauter toute morale et spiritualité et donne lieu à des pratiques barbares.
Soledad va mettre tout son art et ses dons en informatique pour lutter avec les résistants contre ce qui, aujourd’hui, constitue l’une de nos pires menaces : la cupidité éperdue des humains alliée aux manipulations génétiques, avec les hybridations humain/animal à partir des cellules-souches, la confusion générationnelle, les permutations des identités sexuelles, l’éradication de la mort.

Voici les grandes lignes de ce roman à la fois initiatique et épique, qui font l’économie de la galerie des personnages attachants et étranges que le héros côtoie (comme une chamane Hmong dans une scène d’orgie initiatique, une préhistorienne qui le rend amoureux fou, une hermaphrodite surnaturelle, une créature cybernétique pleine de sagesse, etc), ainsi que maintes autres choses à découvrir.

 

Le 38ème Marché de la Poésie est reporté du 21 au 25 octobre 2020

Chers amis et visiteurs du Marché de la Poésie,

Le 38eMarché de la Poésie ne pourra se tenir en juin prochain.

Cependant, depuis quelques semaines déjà, nous travaillons sur le report de l’événement.

Sous réserve de l’accord de la Mairie du 6e Arrondissement, de la Mairie de Paris et de la Préfecture, le 38eMarché de la Poésie devrait avoir lieu
du mercredi 21 au dimanche 25 octobre prochains,
avec vraisemblablement l’ensemble des manifestations de la Foire Saint-Sulpice.

Il est évident que la Périphérie du 38eMarché de la Poésie devra également se dérouler autour des dates de ce Marché.

L’urgence étant de soutenir l’édition de création, il n’y aura d’invités d’honneur que les éditeurs et revues qui y participent, en compagnie de leurs auteurs. Plus que jamais, nous allons nous atteler à défendre la production des éditeurs et revues de création, sous la forme d’une édition spéciale « Pour le livre et la lecture ! ».

Nous espérons que vous pourrez venir nombreux soutenir leur travail, en cette période délicate pour leur activité.

Contact presse / Pour en savoir plus : guilaine_depis@yahoo.com 06 84 36 31 85

Dans l’Obs, Emmanuelle Anizon rend hommage à la générosité de Kathya de Brinon, Présidente de S.O.S. Violenfance, qui tient une « petite permanence téléphonique » durant le confinement et sauve ainsi des vies.

Kathya de Brinon propose une écoute à tous les angoissés de la « distanciation sociale ». Victimes de violence, prostituées, étudiants, soignants… La liste est longue de ceux qui appellent, et leurs histoires ahurissantes.

Kathya de Brinon propose une écoute à tous les angoissés de la « distanciation sociale ». Victimes de violence, prostituées, étudiants, soignants… La liste est longue de ceux qui appellent, et leurs histoires ahurissantes.
« Je me suis dit : “Ce confinement va être terrible, je vais peut-être pouvoir aider”. »
Le 17 mars, Kathya de Brinon, 71 ans, décide de monter au front contre le coronavirus. A sa façon, avec ses armes : un téléphone, une lointaine formation en psycho, une grande expérience de la vie, une immense empathie. De son appartement de Puteaux, en région parisienne, la fondatrice de l’association SOS Violenfance, auteure de deux livres sur l’inceste
(1), laisse ce message sur Facebook :
« Je suis à votre disposition jusqu’à la fin de cette pandémie. Si vous vous sentez angoissés, phobiques, effrayés ou seulement abandonnés et trop seuls, je serai là pour vous. Tous les jours de 13 heures à 1 heure du matin […]. Courage à tous et entraidez-vous. »
A la « petite permanence », comme Kathya l’appelle désormais, les appels affluent.
Sept le lendemain, et jusqu’à 50 par jour depuis. Dans le portable, des voix chuchotent, pleurent, crient, dénoncent. Un condensé de la France qui a peur, qui va mal, dans cette ère étrange où l’intense promiscuité pour les uns, la solitude extrême pour les autres, l’absence de liberté de mouvement, la menace sur la santé, l’incertitude sur l’avenir bouleversent les repères les plus intimes.
Des mères désespèrent de ne pas savoir aider leurs enfants à faire leurs devoirs ou paniquent de les voir malades. Des vieilles dames angoissent à l’idée de mourir seule, demandent comment on peut acheter des légumes sur internet, disent qu’elles n’osent pas sortir parce que des enfants jouent devant chez elles. Des jeunes s’inquiètent parce qu’ils croient qu’on ne leur donnera pas un vrai bac, et leurs parents ne savent pas toujours expliquer ce qu’est un contrôle continu. Une future mariée, dont la fête a été reportée, sanglote :
« Mon fiancé ne voudra plus se marier après le confinement… déjà qu’il hésitait avant ! »
Des échanges jusqu’au petit matin 
Tous les milieux sont concernés. Une femme de ménage rémunérée au noir, mère de trois enfants, ne sait plus comment payer son loyer. Une chef d’entreprise calcule qu’elle va devoir se séparer de la moitié de ses 16 salariés qu’elle connaît tous personnellement.
« Comment je vais choisir alors qu’ils ont tous des familles à nourrir ? »
Elle n’en dort plus.
Des gens confinés appellent parce qu’ils voudraient sortir, des gens obligés de sortir pour travailler appellent parce qu’ils voudraient rester confinés. Comme cette standardiste d’un centre de relais pour les routiers, « prête à se casser un poignet pour ne pas y aller. Elle n’avait pas de masque à disposition, ne savait pas comment désinfecter son téléphone… Ça ne devrait pas être à moi d’expliquer ça ! ». Ni d’ailleurs de répondre aux nombreuses questions du type « j’ai le nez qui coule, est-ce que j’ai le virus ? », « où peut-on acheter de la chloroquine ? », et encore « comment fabrique-t-on des masques ? ».
Kathya écoute, rassure, conseille, aiguille vers des numéros de téléphone qui peuvent aider, alerte les associations…
Sur son Facebook, chaque jour, de sa plume alerte d’ancienne journaliste scientifique, elle relate les histoires marquantes de la veille, donne des nouvelles de ceux qu’elle continue de suivre, se réjouit des victoires, pleure les drames, confesse sa lassitude parfois, pousse des coups de gueule. Mais toujours poliment, bonne famille oblige. Quand les appels se bousculent, son mari, physicien reconverti en standardiste, fait patienter.
Souvent, les échanges s’éternisent jusqu’au petit matin. La nuit, les voix peuvent chuchoter dans le téléphone depuis les toilettes ou la cuisine, sans réveiller le conjoint ou les enfants. La nuit, l’anxiété grandit, les âmes perdues s’accrochent à un numéro comme à une ultime bouée. Les alcooliques et les drogués tentent en nombre de squatter la ligne. Une ingénieure au chômage de 53 ans menace de se suicider.
« Elle cherchait du travail depuis plusieurs mois, le confinement a achevé de la désespérer. »
Les prostituées du Bois
Une prostituée du bois de Boulogne, Nouchka, 32 ans, malade du Covid, crie sa colère et sa misère, entre deux quintes de toux, fiévreuse.
Nouchka appelle vers 3 heures du matin. Elle dit qu’elle se prostitue au bois de Boulogne. Elle a 32 ans, vient d’Europe de l’Est, elle a été amenée en France à 14 ans. Son maquereau a disparu au début du confinement, sans la payer. Pour manger, elle doit continuer à faire des passes. Elle survit en « meute », avec d’autres filles dans la même situation qu’elle. Comme il n’y a plus d’endroit pour se réfugier, elle se lave avec des bouteilles d’eau, dort sur place dans les bois, dans une tente mobile. Nouchka tousse beaucoup au téléphone, elle est
épuisée, elle a de la fièvre. Malade du Covid-19. Les clients, qui sont toujours aussi nombreux selon elle, mettent parfois un masque pendant la passe. L’un d’eux lui en a fabriqué un avec du papier toilette. Elle tousse encore et raccroche, laissant Kathya sous le choc.
« Je ne pouvais même pas la rappeler, elle téléphonait avec une carte prépayée. Je n’en ai pas dormi de la nuit. Pourquoi m’avait-elle contactée ? Je lui ai posé la question, elle n’a pas répondu. Sans doute voulait-elle juste que quelqu’un sache à quoi elles en sont réduites. Ces filles vendent leur corps et leur vie avec, et elles sèment la mort ! Ce sont des bombes à retardement ! J’ai honte. On ferme les yeux sur ce qui se passe au pied de nos appartements confortables. »
Le lendemain, c’est une « amie » de Nouchka qui appelle. Liva, 25 ans, prostituée depuis ses 12 ans, Russe sans papiers, explique que sa fille de 10 ans a été placée par son proxénète
« près de la mer ». Elle voudrait que Kathya la retrouve.
« Elle ne savait pas où sa fille avait été emmenée, elle ne savait pas qu’il y a plusieurs mers en France ! » s’étrangle celle-ci. Liva, malade et fiévreuse, elle aussi, tousse beaucoup. Un client lui a amené trois bouteilles de whisky en lui disant que ça allait la soigner… Deux jours plus tard, Liva rappelle. La voix est dure, le message lapidaire :
« Nouchka est morte. On l’a retrouvée dans le bois ce matin. On a creusé un trou et on a mis des feuilles dessus. »
Elle raccroche, laissant Kathya bouleversée.
« Combien de cadavres va-t-on retrouver après ce confinement ? »
Le surlendemain, une troisième fille du groupe, Tara, appelle, avec le téléphone de Liva. Elle dit qu’elle a 16 ans, que Liva lui a donné son téléphone, avant de disparaître dans les bois. Elle parle avec un fort accent de l’Est, elle dit qu’il n’y a plus de crédit sur la carte, la ligne coupe. Plusieurs prostituées du bois de Boulogne ont alerté Kathya de Brinon qu’elles étaient malades. Pour lutter contre le Covid-19, un des clients de Liva lui a conseillé de boire du whisky. (Marguerite Bornhauser pour « l’Obs »)
A l’ère du coronavirus, comme souvent en temps de guerre, les histoires s’écrivent en taille XXL. Le pire de l’humain y côtoie le meilleur.
Une semaine, Kathya raconte l’histoire d’un couple de soignants, chassés de leur résidence par d’atroces voisins pour leurs supposés miasmes. La semaine suivante, grâce à ce message, le couple se voit offrir un nouvel appartement et des petits plats à volonté par d’autres voisins. Deux immeubles d’un même quartier, deux versants de l’humanité.
L’infirmière, le médecin et les voisins
Christine, infirmière de 47 ans, est mariée à Philippe, anesthésiste, et maman de trois jeunes ados. Ils habitent en banlieue parisienne, dans une petite résidence. Leurs copropriétaires leur ont demandé de partir par peur qu’ils ramènent le virus de l’hôpital. Ces mêmes personnes avec lesquels ils organisent habituellement la Fête des voisins. Le couple est harcelé, insulté, leurs voitures ont été taguées. Pour protéger leurs enfants, qui sont terrifiés, le couple décide de dormir dans une petite pièce de l’hôpital, et de déposer dorénavant les repas pour leurs enfants devant la porte principale de la résidence. Sur son Facebook, Kathya relate l’histoire et commente : « J’ai vraiment un goût amer dans la bouche… Comment nos compatriotes peuvent-ils se comporter ainsi ? C’est honteux et monstrueux ! »
Quelques jours plus tard, une femme l’appelle. Elle a lu son message, et voudrait entrer en contact avec le couple pour lui proposer d’occuper son appartement. Le couple, qui n’en revient pas, atterrit dans un confortable 3-pièces ensoleillé, situé à 500 mètres de l’hôpital où ils travaillent quinze heures par jour. « Leur lit a été fait. Un repas chaud les attend dans le four. Une voisine boulangère-pâtissière a déposé pain, gâteaux et croissants pour leur petit déjeuner. Le primeur les a approvisionnés en fruits et légumes frais. Et tout cela gratuit ! »
s’enthousiasme Kathya. Leurs nouveaux voisins vont continuer à leur préparer des repas, et ont décidé d’apporter aussi ceux des enfants deux fois par jour. Au téléphone, Christine sanglote de joie. Philippe et elle peuvent désormais se consacrer à leur mission. Mais ils ont une certitude, qu’ils répètent plusieurs fois : à la fin du confinement, ils déménageront et partiront vivre dans une maison. Plus jamais d’appartement, plus jamais de voisins.
Sur son Facebook, Kathya relate l’histoire d’un couple de soignants chassés par leurs voisins. Grâce à son post, le couple a trouvé un autre appartement, à quelques mètres de l’hôpital où ils travaillent. Le voisinage les soutient en leur préparant des repas. (Marguerite Bornhauser pour « l’Obs »)
Dans les foyers, le confinement agit comme un révélateur, un accélérateur de vie, un détonateur. Il crée de la violence : 
La gardienne et le routier
« J’ai reçu beaucoup d’appels de femmes assez jeunes, dont les compagnons travaillent habituellement en extérieur et ne supportent pas l’enfermement dans un petit espace avec les cris des enfants. Ils deviennent violents alors qu’ils ne l’avaient jamais été auparavant. » Comme ce routier, cloîtré dans la loge de sa femme gardienne, qui bascule après quatorze ans de mariage tranquille.
« Mon mari nous a frappées, mes filles et moi. » Lorsque Louisa appelle Kathya, elle est en état de choc. Gardienne d’immeuble en région parisienne, maman de deux petites de 6 et 8 ans, elle vit depuis quatorze ans une histoire sans nuage avec son mari routier. Et aujourd’hui, après avoir bu, « lui qui ne boit jamais », il les a frappées, « lui qui n’élève jamais la voix ». La femme appelle pendant qu’il fait sa sieste. Elle dit qu’il s’est mis à pleurer ensuite, qu’il a expliqué ne pas supporter l’enfermement. Elle ne veut pas porter plainte, elle l’aime, « c’est un excellent père ». Kathya lui conseille de garder toujours un jeu de clé sur elle, de prévenir une amie, d’enregistrer son numéro et de l’appeler pour qu’elle-même puisse prévenir le
commissariat en cas de récidive. Louisa rappelle, quelques jours plus tard. Pour dire que Tonio quitte Paris ce soir. Il va ramasser les fraises et des légumes de saison dans le sud de la France. « Il voudrait vous parler », dit-elle. Il prend le téléphone, pleure sa honte, raconte sa phobie de l’enfermement. Il demande l’autorisation de la contacter tous les jours. Louisa aussi. Et ils s’y tiennent, ils appellent tous les jours, elle de sa loge, lui de son Sud. Tonio a été ouvrier agricole dans sa jeunesse, il adore son nouveau boulot. Un jour, le couple téléphone à Kathya pour lui annoncer la nouvelle : son chef lui propose de l’employer à plein temps en tant que responsable de l’exploitation, après le confinement. Il lui propose de surcroît une grande maison avec un jardin maraîcher ! Louisa est folle de joie au téléphone. Cet été, elle en est sûre, elle quittera définitivement sa loge et la grisaille parisienne pour cette nouvelle vie avec l’homme qu’elle aime. Et qui, elle l’espère en silence, ne rebasculera plus.
Kathya de Brinon joue aussi les conseillères conjugales.
Le confinement pousse parfois à la violence. Comme Tonio, qui a pris la décision de quitter le foyer pour devenir travailleur saisonnier dans le Sud afin de ne pas mettre en péril sa famille (Marguerite Bornhauser pour « l’Obs »).
La cohabitation forcée fait aussi exploser les silences. « Des personnes voient surgir des souvenirs traumatiques jusqu’alors enfouis, et m’appellent parce qu’elles ne savent pas quoi en faire. » A l’instar de cette jeune femme de 27 ans, confinée avec sa mère dans un hôtel particulier d’un quartier chic de Paris, qui appelle Kathya en sanglots un soir. « En voyant sa mère feuilleter un album de famille, elle avait osé lui dire ce qu’elle avait toujours tu : de 7 à 16 ans, elle avait été “l’amante” de son père, selon sa propre expression. »
Depuis, sa mère pleurait, l’évitait dans l’immense demeure, et ne lui adressait plus un regard quand elle la croisait. Trouver de la force Quatre semaines, c’est court. Et pourtant, tant de destins ont déjà basculé dans le portable de Kathya. Des batailles ont été perdues. Nouchka, la prostituée, a été retrouvée sans vie dans le bois, un uppercut pour Kathya. D’autres peut-être gagnées. Celle de Nadine, par exemple. « Je l’avais eue plusieurs fois au téléphone depuis le début du confinement, elle se trouvait enfermée avec son compagnon qui les violait, elle et sa fille, depuis plusieurs années. Elle parlait, mais ne voulait rien engager. La situation semblait figée, je me sentais démunie. Et un jour, elle me dit que son agresseur est sorti en oubliant de prendre ses clés et son téléphone portable ! Je lui ai demandé de profiter de cette occasion unique et de s’enfermer immédiatement. Elle avait tellement peur. “Vous êtes sûre ?” demandait-elle, tétanisée… Je lui ai crié : “Fermez la porte ! Appelez la police !” Elle a fini par le faire. Son conjoint a été arrêté dans la rue, sans attestation de sortie.
Comme c’était la quatrième fois, les policiers l’ont emmené au poste et ont découvert son lourd casier judiciaire. »
Nadine avait déjà porté plainte auparavant pour viol. Ils l’ont gardé en prison. « Un beau cadeau », commente Kathya, qui en raconte un autre encore, pour le plaisir : Marnie, 80 ans, très isolée dans sa maison du sud de la France depuis qu’elle est confinée, s’est créé un compte Facebook. Julien l’a contactée. Julien, l’amour de ses 16 ans, qu’elle n’avait jamais oublié. Au fil des discussions, ils se sont découvert un amour toujours vibrant, et prévoient de se retrouver dès qu’ils en auront le droit. « Merci Marnie. Votre histoire m’a redonné des forces. J’étais si fatiguée », a écrit Kathya sur sa page Facebook.
De la force pour répondre au téléphone, quand elle voudrait aller se coucher.
« J’ai trop peur de rater une urgence et de me sentir responsable. »
De la force pour continuer encore, durant les longues semaines à venir. Celles du confinement, et celles de l’après, que Kathya redoute autant : « Les gens vont retrouver la liberté, mais aussi la peur de cette liberté, la peur de contaminer, d’être contaminés, sans compter les problèmes économiques… Décompensation, dépression… Ça risque d’être terrible », pronostique-t-elle. Sa « petite permanence » n’est pas près de fermer.
(1) « Des larmes dans les yeux et un monstre par la main », 2018, « la Femme aux cicatrices », 2019, éditions Maïa.

« Les Bras d’Odin » un roman de Philippe OLAGNIER aux éditions de l’Onde, parution septembre 2020

Parution en septembre 2020 : « Les Bras d’ODIN », un roman de Philippe OLAGNIER aux éditions de l’Onde

Quatrième de couverture : Poussé à quitter les fjords de Norvège par la perspective d’une famine, un clan viking se prépare à cette expédition. Destination : les côtes normandes, où le jarl Arvid s’est déjà installé mais se trouve confronté à la montée en puissance des chrétiens, qui s’allient avec les représentants politiques des Francs pour accroître leurs richesses. Asgeir, le chef du clan, prend donc la mer avec ses hommes.

Arvid, à la différence d’Asgeir, compte mettre à profit l’ascension du christianisme (« la religion du désert »), qu’il devine inéluctable, pour asseoir sa propre autorité et s’enrichir à son tour, quitte à s’imposer, durant quelque temps, par la violence.

De leur côté, les prélats chrétiens pressentent que ces féroces Vikings, poussés hors de leurs terres hostiles par la nécessité, pourraient s’adoucir à la perspective d’une vie plus paisible et d’échanges lucratifs, voire abandonner leur propre religion au profit du christianisme s’ils peuvent en tirer bénéfice.

Une bataille conduira le lecteur aux portes du Walhalla avec le chef Viking Asgeir, qui se rapproche dangereusement des bras d’Odin… Le moine Thomas, en soignant le chef viking grièvement blessé, recevra la reconnaissance du clan et symbolise ici le lien entre les Vikings et l’Europe en cours de christianisation.

Quinze ans plus tard, on retrouve Asgeir et son clan parmi les chrétiens de Normandie, avec le moine Thomas, sur le chemin – tortueux – de la paix et du compromis entre leurs deux cultures. Isak, fils d’Asgeir, ne supportera pas la conversion de son peuple au christianisme, vécue comme une honte, tandis que son frère Erling se montrera au contraire très favorable à cette conversion à une religion qui, par sa maîtrise progressive du continent, se révèle prometteuse pour ses affaires.

Tout en étant une fiction, présentée comme telle, ce roman sur les Vikings s’appuie sur une importante documentation historique, qui rend le propos d’autant plus captivant. À travers l’histoire du clan d’Asgeir, l’auteur nous emporte, au fil de descriptions et de dialogues saisissants de réalisme, dans l’ère viking de l’Europe, qui s’est révélée un apport important dans l’histoire de notre continent, et attire notre attention sur le rôle fondateur du christianisme, qui par son pouvoir structurant a posé les fondations de l’Occident médiéval.

Le style, alerte et fluide, rend le texte agréable à lire ; les effets de réel obtenus,  dus à l’excellente connaissance du monde viking de l’auteur, offrent au lecteur une véritable plongée en immersion dans cet univers romanesque haut en couleur.

avant-propos :

Ce livre est une fiction romanesque  et non un livre historique au sens profond du terme.

Mais les évènements qu’il décrit,  furent dans un souci de cohérence par rapport à cette période si importante pour le continent européen, appuyés néanmoins,  sur une lecture des travaux de spécialistes du peuple viking.

Chaque temps d’écriture fut donc appuyé sur un temps minima de recherches préalables, qui rendent la trame romanesque,  réaliste à minima.

Quel est le propos au travers précisément de ce récit imaginaire ?:

-Décrire au travers de l’histoire d’un clan, l’apogée puis la disparition de ce qui fut constitutif, au plan ethnologique et sociologique, d’une ère viking en Europe du nord

-Décrire les traditions, les cultes, les modes de vie et l’organisation d’un peuple, trop longtemps réduit à sa dimension guerrière, alors qu’il fut d’abord un peuple ayant ouvert les plus grandes routes commerciales de l’Europe, d’OUEST en EST, et qui fonda des cités devenues pour certaines des Etats contemporains puissants de nos jours.

 -Décrire dans un haut Moyen-Age très primaire en EUROPE des principes hautement novateurs en cette époque d’organisation sociale : Emancipation de la femme, mœurs, divorce, assemblées populaires délibérantes, mécanismes financiers de solidarité aux plus démunis…

-décrire leur immense capacité d’adaptation et d’intégration (Normandie, Angleterre), capacité qui sera à la fois le gage de leur réussite dans l’Europe catholique naissante et la raison du déclin de leur culture viking en tant que telle, dès lors que ce peuple choisit de s’y intégrer.

Dans ce roman, je tente de décrire ce combat sempiternel entre ce qui est appelé depuis la nuit des temps « le progrès » et les traditions qui doivent toujours accepter de plier et de disparaitre le plus souvent pour la survie des peuples.

Je tente de décrire par le personnage d’un JARL prestigieux et de ses deux fils adoptant un posture d’opposants à la christianisation de l’Europe quels furent les choix cornéliens qui s’imposèrent alors aux peuples païens d’Europe du nord et à leurs dirigeants.

Enfin, ce roman narre comment la puissante église catholique sut habilement sceller des alliances intéressantes et intéressées, formidablement intelligentes et redoutables, avec les Princes de l’Europe,  qui choisirent tous de servir sa cause et son expansion.

Bonne lecture et bonne immersion dans cette époque qui précéda celle du christianisme, lequel unifia et créa les pays dans leur forme contemporaine – époque qui fait partie intégrante néanmoins de nos racines européennes.

Philippe OLAGNIER, Mars 2020

« Mon poing sur les I », un essai de Philippe OLAGNIER à paraître en septembre 2020 aux éditions de l’Onde

« Mon poing sur les I », un essai de Philippe OLAGNIER à paraître en septembre 2020 aux éditions de l’Onde   

(Pensée et coups de gueule citoyens)

 « C’est leur pertinence qu’on reproche aux impertinents.” Claude Frisoni 

Propos préalable 

En décidant de compiler une série de réflexions ayant attrait à la société française et à sa politique, il convient en préalable que je limite avec réalisme et modestie, la cadre de ma démarche.

Elle est personnelle, et cette parole libérée d’un citoyen parmi d’autres n’a aucune valeur d’universalité et ne pretend à aucune vérité.

Elle n’est mue par aucune volonté, ni ambition d’engagement dans la vie publique pour laquelle, si je la respecte, je ne me reconnais ni les aptitudes, et encore moins la motivation nécessaire.

Juste un cri.

Juste un cri parmi tant d’autres, si j’en juge par les rues qui ne désemplissent pas de multiples colères ; colères qu’on feint dangereusement de ne pas entendre et pire que l’on méprise.

Un cri de désarroi devant une république fracturée, communautarisée, où chacun se replie derrière sa spécificité, l’impose parfois et trop souvent à autrui, plutôt que de travailler à ce qui pourrait et devrait nous rassembler.

Mais un cri d’amour aussi pour cette république ; et, si je suis sévère ou critique dans de nombreux passages de ce livre envers ce qu’elle devient, mon exigence témoigne de mon attachement à son histoire, à ses valeurs et à ses traditions.

Il est encore temps que la fraternité reprenne ses droits dans la cité, même si nous nous en éloignons pour le moment.

Une fois que nous aurons cessé par démagogie de tolérer l’intolérable dans une république laïque et que nous aurons eu de nouveau le bras ferme pour sanctionner et rappeler à l’ordre ceux qui entendent faire infléchir nos manières de vivre ensemble ; une fois que l’Etat sans devenir entrepreneur pour autant aura repris son devoir de régulation des inégalités et de modérations des excès ultralibéraux de l’économie, rien ne s’opposera à ce que nous rebâtissions ensemble le beau pacte social qui fut le nôtre, dans un passé encore récent.

Comme beaucoup je suis préoccupé de savoir si au nom d’un changement pour le changement, d’une confusion politique entre le mouvement et l’agitation forcenée ( marque de fabrique du dernier Président), nous ne sommes pas en train de liquider trop vite, des actifs sociétaux conquis de haute lutte par nos aînés.

Je ne suis pas nostalgique et encore moins un adepte du « c’était mieux avant «, mais j’aimerais voir cette frénésie réformiste encadrée par une vision, un projet, un dessein, un destin à moyen ou long terme.

Cette vision ne vient pas, et l’attitude d’un gouvernement qu’on peut qualifier de « circuler, y a rien à voir », ne fait que renforcer mon inquiétude.

Je fais partie de ces millions de français qui ne se reconnaissent que très peu dans l’offre politique actuelle, encore moins dans ses comportements, mais pour autant, ce livre en témoigne, la vraie politique, la vraie, celle que les philosophes grecs décrivaient si bien, j’aspire à son retour !

Alors que ce livre soit simplement pris pour ce qu’il est : un cri du cœur, pas plus, mais pas moins.

Je sais qu’une certaine élite qui dirige la bien-pensance en France et se croit autoriser à baliser ce qui peut être dit ou pas n’aime pas ce genre d’incursion populaire dans le discours politique ;

 Les gueux devraient rester à leur place.

Ceux qui aiment les propos tièdes  et creux, que cette même bien-pensance nous impose d’écouter matin et soir via des medias de plus en plus serviles n’apprécieront que modérément certaines de ces pages où mon coup de gueule est évident.

Je ne cache pas que je penche à droite, une droite populaire et sociale, profondément laïque, droite qui à mon sens a cessé d’exister ou mérite d’être rénovée au plan national.

Et je suis très profondément attaché aux destins des classes moyennes, mais surtout des classes ouvrières et paysannes, ces classes qu’on peut qualifier de grandes cocues des vingt dernières années,

Et de grandes oubliées par ce nouveau monde, dont on nous vante les mérites, mais qui embarque si peu de monde dans son train.

Je mesure le risque pris en m’exprimant ainsi.

 

Probablement je dois accepter le risque, de rejoindre dans la fosse bien pratique qu’ont inventée ceux qui n’apprécient pas l’expression populaire directe, cette fosse commune où on enterre plutôt que de débattre  avec eux ceux qu’on décrète populistes.

Comme elle est pratique, pour ne pas avoir à débattre, cette fosse commune où on enterre très vite aujourd’hui, et de leur vivant, tous les contradicteurs au système !

Tout cela m’indiffère au plus haut point.

Je suis comme le coq, notre animal national fétiche, celui d’ailleurs qui dérange désormais les citadins bobos découvrant son chant dans nos campagnes.

J’ouvre ma gueule, et je l’ouvre bien grand, ne vous en déplaise !

 Et comme cet animal, je ne chante jamais aussi fort que lorsque mes pieds sont dans la merde.

Il me semble très objectivement, que nos pieds y sont bien profondément enlisés, à de multiples égards.

Vous voilà prévenus avant de commencer votre lecture.

Philippe Olagnier

Pandemic 4 « La nouvelle bourse » par Frederika Abbate

PANDEMIC 4
La nouvelle bourse

Chaque soir il égrène une longue série de nombres, debout, imperturbable, derrière un pupitre, endossant un costume qui semble un peu étroit aux entournures. Il énumère les nombres, accompagnés de lieux, d’une voix un peu neutre mais appuyée tout de même à certains moments pour que, sans que les consciences s’en rendent compte, quelque chose s’inscrive dans les esprits noir sur blanc. Que la mort rôde partout et qu’il suffit de se priver de liberté pour en être épargné. Sentence qui pourrait passer pour un vœu pieux s’il ne s’agissait d’une pure et simple flagornerie. Certains soirs, il profère aussi des promesses, des trains par exemple pour transporter des malades, des masques, des tests. Là, son ton devient emphatique, on croit même qu’il va s’envoler. Sous ses dehors de vautour, ou d’un quelconque oiseau rapace qui mange les morts, perce sa technicité toute professionnelle. Ne pourrait-il pas s’imaginer facilement, son crâne chauve recouvert de la coiffe pour cacher l’actant de l’acte odieux abhorré, donnant la mort en mettant en branle la guillotine  ? C’est évident qu’il fait plutôt penser à un bourreau.

Ces nombres qui s’égrènent, est-ce une nouvelle bourse  ? Car c’est bien le cours de la bourse qui aligne des nombres accompagnés de noms. Elle est en hausse, disait-on, elle est en baisse… Hier soir, il a même employé le verbe «  se solder  », pour déduire l’argent qui rentre de celui qui sort ou bien l’inverse  ? Non, ce n’était pas d’argent dont il s’agissait. Mais des personnes malades entrées à l’hôpital sur leurs deux jambes, ou à peu près, et des personnes qui en sont sorties à jamais allongées, direction la morgue. On fait l’opération mathématique et il en sort le verbe «  se solder  ». Là du moins, c’est clair.

Avant, les malfaisances se cachaient. Plus maintenant. Elles se produisent impunément. Elles sont même érigées en valeur. C’est pourquoi il est légitime de ne pas croire la porte-parole d’un gouvernement qui, lors de sa nomination, annonça qu’elle mentirait. Là, ce fut la dernière fois qu’elle disait la vérité. On peut étendre cette façon de faire à tous ses acolytes. Bientôt, on ne pourra plus s’en plaindre, c’est leur métier.

Des tests, des masques, des tests, des masques, c’est une véritable litanie… Où a-t-on vu un pays qui, par ailleurs donne des leçons de civilité à tout le monde, incapable de produire le nécessaire pour sa population  ? Où a-t-on vu une pharmacienne, transpirant tellement elle était gênée devant l’homme qui la suppliait de lui de commander des masques, sa femme étant malade et qui ne comprenait pas que cela était impossible, finir par lui dire qu’on avait envoyé les masques dont on disposait à la Chine  ? La France, pays du luxe. Certes, mais pas le luxe de faire mourir.

Hier soir, le bourreau-vautour a eu une pensée émue envers les confinés. Cela, dit-il, les empêche de voir leurs proches, cela bouscule leurs habitudes. Comme si cela n’était embarrassant que pour les habitus et le confort. On ne va tout de même pas se plaindre parce qu’on ne peut pas aller prendre le soleil, faire du sport, aller au cinéma ou au restaurant. En n’évoquant que cela, il nous traite d’enfants gâtés. Ce qu’il omet de mentionner, dans sa liste des inconvénients du confinement, ce sont les gens qui ne peuvent pas travailler, tous les commerces, restaurants, femmes de ménages, etc. Ils ne vivent pas de l’air du temps, l’aurait-il oublié  ? Et ce sont les plus vulnérables qui vont trinquer. Le confinement n’est pas embarrassant juste au niveau des habitudes. Mais cela, bien sûr, il se garde bien d’en parler. La catastrophe a pris toute son ampleur de catastrophe juste par laisser-aller, par la bêtise de la soumission à l’idéologie, la sacro-sainte valeur du libéralisme qui est le laisser-faire. Tout doit être ouvert, transparent et couler à flots. On ne doit pas se protéger, c’est mal. Pourquoi est-ce mal  ? Sinon pour garder toujours active la disponibilité à être soit marchandise soi-même soit consommateur  ? Il faut que ça circule continuellement et de toutes parts. Le résultat, c’est l’enfermement individuel. Piètre résultat en vérité. C’est d’une logique implacable. Chacun a commencé par se dénoncer soi-même, en se réduisant à sa sexualité, en devant proclamer «  je suis hétéro  », «  je suis homo  », je suis «  trans »… Et comme ça, tout le monde surveille tout le monde, on se fiche soi-même et pour le reste aussi. Maintenant, comme l’état a été incapable de protéger les populations, c’est chaque individu qui doit le faire pour lui-même. Les frontières, ce sont les murs des appartements…

Je ne sors plus, non pas parce que c’est interdit. Une heure par jour, d’ailleurs, j’ai le droit. Je ne sors plus parce que je ne supporte pas de me comporter à la fois comme une qui fuit les pestiférés et une qui peut être aussi considérée comme telle. Je ne sors plus parce que je ne supporte pas de devoir éviter les gens, de ne pas rêver, penser, observer la vie comme je le faisais toujours, et de devoir épier pour voir s’il n’y a pas des gens aux alentours. Il y en a aussi qui s’en fichent, et qui me foncent dessus. Ils sont tous des fusils potentiels. Alors je me mets à les haïr. Je ne veux pas haïr parce que je n’ai pas été mise au monde pour faire le jeu du pouvoir. Car par cette haine insidieuse, le pouvoir peut obtenir ce qu’il désire depuis toujours. L’individualisme effréné. Que les gens ne puissent plus s’unir pour s’en défendre. Ainsi, il pourra plus facilement encore les dominer. On ne ferme pas les frontières, elles sont individualisées. Or, Hannah Arendt l’a appris à ceux qui ont des yeux et des oreilles pour voir et entendre  : l’atomisation totale des individus et l’abolition des états-nations, c’est ce que veut le totalitarisme.

9 avril 2020 – 24ème jour de «  confinement  » quand les humains ne sont plus que de nombres.

Pandemic 3 « Pour un tribunal futur » par Frederika Abbate

PANDEMIC 3
Pour un tribunal futur

Actuellement est en train de se faire la collecte des témoignages des malades guéris, des thérapeutes, de tout le personnel soignant pour laisser une trace de ce qui se passe dans les hôpitaux de France face au virus. Cela servira à plusieurs choses. L’une d’elles, et non des moindres, sera de fournir les témoignages devant le tribunal. Car les responsables seront jugés, n’est-ce pas  ? Ne m’enlevez pas cette idée de la tête s’il vous plaît. La rage m’aide à me prémunir et renforce certainement mes défenses immunitaires, du moins je veux bien le croire et c’est déjà suffisant. Cela servira aussi de matériel à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, en feront la chronique de diverses façons, par l’histoire, la sociologie, la philosophie, les récits oraux faits de personne à personne, l’art, le poème, le roman…

Ainsi, j’ai pris dernièrement connaissance du témoignage d’une infirmière. Une chose qu’elle dit est particulièrement frappante. Une chose terrible, dans tout cet amoncellement d’horreurs, à laquelle j’avais déjà pensée et que j’avais vite écartée de mon esprit tant cela me faisait horreur. L’infirmière est en première ligne face à la mort, dit-elle, c’est son métier mais là elle témoigne de l’inédit si douloureux de cette situation. Mourir du virus n’est pas mourir de n’importe quelle autre manière. Bien sûr, chaque manière est singulière, et c’est très important. Mais là, s’y ajoute une dureté toute spéciale, la personne meurt seule. Dans la solitude extrême qui est en train de l’absorber dans le trou du néant où personne d’aimé ne pourra venir avec elle, s’ajoute l’impossibilité de l’adieu, l’impossibilité de dire la dernière parole d’amour et d’accompagnement. Du fait de la contagion. Rejetée de la société, mise au ban et d’ailleurs souvent c’est bien cela qui arrive puisque dans ce pays qu’on prenait pour un pays nullement sous-développé, les personnes meurent faute de soins appropriés, non par manquement du personnel, il est compétent et dévoué mais certes en sous-nombre, mais faute de matériel. Comment arriver à accepter cela  ? Elle les voit, impuissante, sombrer dans une solitude radicale. Et comment vont se faire les deuils de gens qu’on n’a pas pu assister au moment de la mort, parce qu’ils étaient contagieux  ?  Et qu’on ne dise plus «  infecté  », où sonne par trop le mot «  infect  ». Or, infects, ce ne sont pas les malades qui le sont mais ceux qui laissent faire cela. Contagieux est plus approprié. Pourquoi on évite «  contagieux  »  ? Sinon pour nous empêcher de penser qu’aurait pu s’éviter la prolifération de quelque chose qui ne demandait qu’à se propager et tuer. Sans intentionnalité. Il n’y est pour rien, le virus. Il n’a pas fait une déclaration de guerre. Normal, ce n’est pas d’une guerre qu’il s’agit. Ou alors, ce n’est pas le virus l’attaquant… Mais les gens, on les a laissé se côtoyer au contraire.

Oui, il y a une guerre à mener. Mais pas contre un organisme privé d’intention, que celui qu’on appelle le président et ses complices n’ont de cesse d’anthropomorphiser. Comme si le virus pouvait avoir une face humaine et un passeport. Car énoncer qu’il n’a pas de passeport c’est justement le considérer comme un être humain, en le présupposant par la négative qu’il pourrait en avoir un, et donc responsable de ce qu’il fait. Toutes ces manœuvres sont faites à dessein. Pour une raison simple et hideuse  : détourner l’attention. Alors comme ça l’idée m’est venue que le confinement sert également à détourner l’attention. Il sert à masquer qu’en vérité l’état ne fait rien. D’ailleurs, où sont les masques, les tests, les machine respiratoires, le personnel hospitalier en plus grand nombre  ? Pourquoi avait-il d’abord refusé que les cliniques privées viennent prêter main forte  ? Pourquoi refuser une molécule qui soigne bien  ? Parce que le médecin qui la préconise a les cheveux trop longs  ? Ne serait-ce pas plutôt parce qu’elle est peu coûteuse et qu’elle ne fait pas le jeu des laboratoires pharmaceutiques et de leurs complices  ?

Si un martien venait sur terre, il dirait  : tiens, ils ont trouvé un moyen radical pour se débarrasser des pauvres et des vieux. C’est un peu cruel, mais du moins c’est radical.

La personne meurt sans qu’un proche lui tienne la main. Elle est déjà rejetée du monde des humains. L’un des traits qui caractérise l’humain, c’est qu’il peut être justement inhumain, dans le sens perfide et cruel. Là, sont inhumains les états et tous leurs complices qui font que se produisent ces monstruosités. Et les médecins, les infirmiers, les infirmières, tout le personnel pleurent. Un jour viendra, et malheureusement il est très proche, où l’univers sera fait de non-humains. La cruauté et la perfidie seront intégrées par tout le monde. Les autres, les humains, seront tous morts.

7 avril 2020 – 22ème jour de «  confinement  » où s’abat la mort inédite