Un monde en manque de femmes, par Martine Gozlan (Marianne du 3 au 9.11.07)

Magazine

catastrophe démographique

Un monde en manque de femmes

L’humanité se déshumanise… de sa part féminine, en voie d’extinction. Cent quatre-vingt-dix millions sont déjà portées manquantes en Asie. Attention, danger !

Par Martine Gozlan

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Depuis qu’on peut choisir le sexe de sa progéniture, les sélectionneurs accordent la prime au mâle.

L’origine du monde

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Montée des frustrations

je me sens vide et seule à pleurer parce que sans moi, l’air de rien, c’est la fin de la pensée. Catastrophe confirmée par ma soeur féministe Antoinette Fouque qui me reçoit dans son salon blanc avec tous les honneurs dus au dernier spécimen de l’espèce condamnée. D’admirables lys se pâment sur la commode. Nous nous fânerons ensemble. « Nous voilà au bout du processus amorcé il y a dix mille ans puisque les trois monothéismes ont construit une spiritualité sans femmes ! » diagnostique Antoinette. « L’utérus artificiel, c’est le fantasme du Meilleur des mondes, la fin de l’intelligence des corps, une jungle de pseudo-femmes et de pseudo-mâles… » Elle qui a fondé le MLF, les éditions Des femmes et l’Alliance des Femmes pour la Démocratie trouve le retournement assez effrayant. Un monde sans nous ? En Asie, c’est un monde sans Aung San Suu Kyi, cette orchidée qui résiste aux brutes épaisses de Rangoon. Sans Taslima Nasreen la Bengladaise, ce dahlia qui défie les intégristes de Dacca. Sans Chirine Ebadi l’Iranienne, ce lierre vivace qui s’accroche au mur d’interdits des mollahs de Téhéran. Jolies fleurs contre peaux de vache, elles restent dans le ventre du danger, refusant de céder aux miroitements de l’exil.

En quittant Antoinette, je marche, j’erre, je rumine. Quand nous n’y serons plus, à quoi ressemblera mon beau Paris si follement féminin ? Sur les quais, je déniche un roman prophétique du grand Amin Maalouf. En 1992, cet Oriental visionnaire imaginait déjà un monde sans moi. Grâce à la poudre d’une fève magique, je ne donnais plus naissance qu’à des garçons. Le héros de Maalouf, lui, tenait à sa fille Béatrice comme à la prunelle de ses yeux. Désespéré, il se mit à combattre l’âge fou qui venait, « ce siècle après Béatrice » qui est désormais le nôtre : « Certaines sociétés avaient connu au lendemain des guerres, des période où les femmes étaient en surnombre ; malgré la détresse et les privations, il s’agissait, au regard de l’histoire, de plages paisibles où les humains reprenaient leur souffle. Jusqu’ici, on n’avait jamais pu observer, grandeur nature, des sociétés où les jeunes mâles seraient en surnombre écrasant. »

Aujourd’hui, on peut. Les émeutes de célibataires ont déjà commencé. En Inde, on se partage les pauvrettes. Une pour dix hommes dans les villages du Bihar. Une épousée doit assurer le service pour toute la patrie. Les frustrations montent. Aux affaires depuis des millénaires, vous n’avez pas brillé par votre douceur ! Et encore, j’étais dans la coulisse. Ce sera pis sans moi. Plus de repos pour le guerrier, donc la guerre à l’infini. Amin Maalouf avait tout compris : « Je pense à ces mâles qui vont rôder pendant des années à la recherche de compagnes inexistantes ; je pense à ces foules enragées qui vont se former et grossir et se déchaîner, rendues démentes par la frustration, pas uniquement sexuelle, car ils sont aussi frustrés de toute chance d’avoir une vie normale, de bâtir un foyer, une famille, un avenir. Pouvez-vous seulement imaginer les réserves de rancoeur et de violence chez ces êtres que rien ne pourra satisfaire ni calmer ? Quelles institutions résisteront ? Quelles lois ? Quel ordre ? Quelles valeurs ?

Extinction des civilisations

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