Pierre Ménat, Attendre encore
Un premier roman agréable et cultivé, bien écrit et édité superbement dans une typographie lisible. La couverture, au grain mat, est sensuelle au toucher, ce qui ajoute au plaisir de lecture.
L’histoire se passe dans le milieu diplomatique que connait bien l’auteur. Elle mêle une intrigue politico-mafieuse aux souvenirs de stages de l’ENA pour parvenir à la Carrière, et divague parfois dans la philosophie à la manière de Voltaire. Le style s’en ressent, ces quelques pages grimpant au jargon sans que cela fasse avancer l’intrigue. Ce sont les défauts d’un premier roman. J’ai noté une contrevérité p.283 à propos de la volonté de puissance de Nietzsche : l’auteur écrit « cette volonté crée des pulsions pouvant modifier le cours d’une vie ». Que non pas ! Cette « volonté » n’a rien de volontaire, elle est l’expression irrésistible de l’instinct vital… dont les pulsions sont la résultante au niveau instinctif, mais également les passions au niveau affectif et les idées ou même « la science » (la volonté de savoir) au niveau intellectuel. Ces digressions savantes, mal intégrée dans le récit, sont heureusement rares.
L’auteur coupe l’amour en quatre dans une typologie peu convaincante mais imagine une conscience après la mort fort réjouissante et originale. Sauf qu’il oublie la conquête du feu dans les étapes de l’humain, qu’il voit les peuples paléolithiques en « villages » (alors qu’ils nomadisaient sous tente ou sous grottes) et ignore la démographie comme fléau de notre monde contemporain : ce n’est pas mince, en une génération la population mondiale a doublé !
Pour le romanesque, un ambassadeur du Luxembourg en Roumanie se fait piéger par une journaliste d’investigation locale sur les ordres du chef des services secrets attachés au président, afin de compromettre l’ancien chef de la sécurité intérieure au temps du communisme reconverti dans les affaires lucratives (et un brin mafieuses). Tout le monde manipule tout le monde, ce qui est fort gai.
Le complot est bien monté, faisant appel aux dernières trouvailles de la finance – mais fondé sur cette indémodable technique de la pyramide de Ponzi dont Bernard Madoff usa avec profit. L’ambassadeur est doté d’une épouse intelligente et morale, ce qui fait que le piège échoue dans la déconfiture – non sans galipettes sexuelles de l’ordre de la pulsion que le lecteur a du mal à placer dans les cases des quatre types de l’amour.
Le temps se passe en attente, d’où le titre du livre, doté d’un « avant-propos » peu engageant qu’il aurait mieux valu mettre à la fin. Il ne fait que quelques pages que le lecteur peut sauter sans peine pour entrer dans le vif du sujet. Durant les attentes, comme chez le coiffeur, la conversation avec un autre ambassadeur devenu ami (mais qui ne dit rien de lui…) égrène les anecdotes et souvenirs d’une existence de haut-fonctionnaire diplomatique, énarque à titre étranger. La Guinée de Sékou Touré est un morceau d’anthologie, tout comme les démêlés avec « le ministre » du stagiaire de préfecture en l’absence de son patron. Les polissonneries avec le beau sexe ne manquent pas non plus avant mariage (et plusieurs fois après).
Une façon romanesque de dire que le monde diplomatique est tissé d’attente (durée) et d’attentes (espérances), plus que le reste peut-être, manière aussi de distiller des conseils aux impétrants à propos des usages, visites et tutoiement. Et surtout à cette attente particulière qu’est l’euphémisme, le relativisme et la prudence : ainsi, pourquoi appeler Carville le très reconnaissable Deauville, à propos duquel l’auteur n’écrit rien de compromettant ? Comme me disait jadis Monsieur Le Blanc, ambassadeur de France en Haute-Volta, la diplomatie est une seconde peau qui vous recouvre à vie.
Pierre Ménat, Attendre encore, 2017, Les éditions du Panthéon, 293 pages, €20.90, e-book format Kindle, €12.99
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