L’air du monde – irrespirable et poétique réalité de Victor Kathémo sur Le Salon littéraire par Julie Lecanu (31 mai 2014)
Il y a des livres comme ça que l’on ouvre un peu au hasard. On se lance dans les premières pages sans trop savoir à quoi s’attendre au regard de la quatrième de couverture. Puis page après page, les émotions se succèdent : tristesse, attendrissement, révolte aussi. C’est l’effet que L’air du monde de Victor Kathémo produit.
Jérôme Jauréguy est un Français moyen : il occupe un poste d’opérateur de presse dans l’imprimerie, une femme et un enfant. Mais un licenciement économique va le mener sur la route d’un enfer dont il ne soupçonnait pas l’existence. Sa femme le quitte, il sombre dans une dépression profonde, se retrouve à la rue et finit par atterrir dans un appartement mal isolé avec comme chambre un réduit microscopique. Pourtant c’est dans cet appartement qu’un brin de réconfort va lui être offert : son appartement donne sur une cour d’école. Tous les jours, il y observe les jeux, les joies et les pleurs de jeunes enfants dont l’innocence n’a pas encore été brisée. Ami invisible, il tisse avec eux un lien pur qui va être mal interprété par les adultes. Arrêté à son domicile, mis en examen pour des faits de pédophilie, il attente à sa vie avant d’être finalement innocenté.
Le narrateur, Jérôme Jauréguy, s’adresse dans un plaidoyer poignant et poétique au juge qui l’a mis en examen. Il tente d’expliquer les incohérences d’une société devenue dure et froide. Pour cela, il recoure à des contes venus des quatre coins du monde, nous entraînant dans un univers poétique qui adoucit une réalité qui s’affiche tous les jours dans les journaux. Victime de la concurrence de pays offrant des tarifs attractifs, le narrateur se retrouve au chômage et doit faire face à tout ce qui s’en suit : implosion du couple, départ de sa femme et de son enfant, précarité, détresse financière et émotionnelle. Une spirale infernale en somme. A cela se rajoute les horreurs du monde qui investissent son petit appartement via son vieux téléviseur cathodique : le 11 septembre, les bombardements de Gaza, les attentats islamistes. Une accumulation qui oppresse le lecteur, le submerge. Petite période de calme, l’observation de la cour d’école : l’innocence s’y affiche, tranquille et bruyante. Ces enfants deviennent « ses mômes » : ils ne le connaissent pas, ne le voient pas mais lui les observe et leur offre de menus présents qu’il laisse tomber dans la cour, juste pour observer leur surprise. Mais dans un monde de défiance, cette attitude paraît suspecte. On voit le mal partout. Finalement, on referme le livre, un goût aigre doux dans la bouche, se demandant effectivement dans quel monde on vit. Et cela n’est pas prêt de finir.
L’air du monde est à la fois réaliste et plein de poésie. L’écriture fluide aide à faire passer quelques lenteurs puisqu’il faut attendre 78 pages pour rentrer au cœur de l’histoire du narrateur qui s’adresse à Monsieur le Juge, nous lecteurs. Lisez et jugez donc.
Julie Lecanu
Victor Kathémo, L’air du monde, Editions Myriapode, mars 2014, 184 pages, 18 euros.