CAUSETTE – NOVEMBRE-DECEMBRE 2009
DOSSIER SPECIAL FEMINISME
Je ne suis pas féministe mais…
… ma mère l’a été pour deux
UNE FEMME EST UNE FEMME
A 73 ans, Antoinette Fouque accuse une vie intense de combats et de prises de position risquées. Editrice et psychanalyste, celle qui fut la cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF) continue la lutte. L’esprit vif, elle est là où on ne l’attendait pas. Conservatrice et moderne à la fois, elle se positionne pour la gestation pour autrui et contre la prostitution.
Quel regard portez-vous sur le féminisme aujourd’hui ? Pourquoi a t-il mauvaise presse ?
Chez qui a t-il mauvaise presse ? Telle femme dit qu’elle n’est pas féministe mais ses actes disent le contraire. Telle autre affirme l’être, et on en est surpris. Il y a un féminisme de masse qui va avec la démocratisation des moeurs. Il s’ignore ou se revendique sur le même point d’affirmation de liberté. Aujourd’hui et pour longtemps encore, être féministe peut faire plaisir, apporter de la liberté, de l’air, de la libido. S’il est le premier stade de la prise de conscience de la domination masculine, alors il est nécessaire. Mais il ne suffit pas, et par certains côtés, il renforce même cette domination.
Vous êtes cofondatrice du MLF. La scission au sein du mouvement a t-elle fondamentalement changé les choses ? A quand la réconciliation ?
Au départ, en 1968, avec Monique Wittig, nous étions de vraies partenaires pour faire démarrer le MLF, mais nous avions des perspectives différentes. pour elle, femme signifiait aliénation. Il fallait donc se débarrasser de l’identité femme. Lacan disait : « la femme, ça n’existe pas », et mon obsession était : « comment exister ? » L’expérience de la gestation, ce qui fait qu’on est une femme et pas un homme, de mère en fille, m’est apparue la chose principale. Lorsqu’en 1970, le mouvement est devenu plus massif, certaines ont voulu le rebaptiser « mouvement féministe révolutionnaire », faisant voler en éclats les mots « femme » et « libération ». Voilà la scission. Je n’en suis pas l’agent. Elle est venue de cette volonté d’unifier le mouvement sous le label féministe. En 1979, certaines qui se revendiquaient du féminisme et qui ne voulaient plus du MLF sont allées dans les partis. J’ai fait une association pour que le MLF ne disparaisse pas.
Vous avez déclaré que les lesbiennes et les gays sont des enfants du MLF…
J’ai organisé, dès 1970, la première réunion sur le thème de l’homosexualité, chez moi, rue des Saints-Pères. Nous y étions très nombreuses, et nous avons même vu arriver de Pigalle toutes sortes de jeunes femmes travesties, trans., hétérosexuelles comprises. Le MLF n’était pas pour moi un mouvement lesbien, mais un mouvement homosexué, un espace de solidarité, de culture, pour sortir de l’esclavage. Et il a ouvert le voie à la reconnaissance de l’homosexualité pour les deux sexes. lorsque j’ai rencontré Guy Hocquenghem, il n’osait pas affirmer sa sexualité dans son groupe gauchiste et se sentait discriminé comme homosexuel. Je lui ai expliqué qu’il devait en faire une question politique, un moteur de lutte. Trois mois après, il fondait le FHAR (front homosexuel d’action révolutionnaire).
Votre lutte pour la liberté des femmes fait écho à une question éthique cruciale : la gestation pour autrui. On ne vous attendait pas si ouverte sur la question…
Là aussi, votre surprise mérite une genèse, une généalogie, pour dire la naissance d’un mouvement de pensée. La gestation était mon motif pour faire le MLF en 1968. Dès l’apparition de la gestation pour autrui, vers 1982, j’ai dit publiquement que la question du statut des « mères porteuses » serait la grande question du XXXIème siècle et que les reconnaître était « un acte de décolonisation de l’utérus » (interview d’Antoinette Fouque, Elle n° 2039, 4 février 1985.) Comme l’avortement pour lequel le MLF s’est fortement mobilisé a été le moment négatif de la gestation, la gestation pour autrui en est le moment affirmatif. Elle fait surgir, après presque quarante ans, ce qui est en cause dans la différence des sexes : cette compétence de gestation propre aux femmes. Comme Marx a levé la censure sur le travail et l’exploitation du prolétariat, le peuple producteur, il y a, avec la gestation pour autrui, levée de forclusion sur qui produit la richesse humaine : les femmes, qui produisent, gestation après gestation, l’humanité. Beaucoup de femmes de gauche se sont élevées contre, d’un point de vue strictement économique. Mais il y aura toujours le monde de l’économie capitaliste et celui de l’économie du don. Le monde de la prostitution de l’utérus, et celui de la gestation qui est l’éthique même. Il y aura toujours une course entre l’asservissement et la libération des femmes. Il faut une reconnaissance de la fonction génésique des femmes pour lutter contre la prostitution sexuelle et utérine.
N’est-il pas paradoxal d’être pour les mères porteuses et contre la prostitution ?
Je suis née à Marseille, dans le quartier des prostituées. La marraine de mon père, enlevée à 15 ans, fut déportée de Corse vers un bordel en Argentine par son propre frère. Elle a été enfermée les vingt premières années de sa vie. C’est une histoire d’esclavage. Lorsque j’étais députée au Parlement européen, il fallait distinguer la traite des êtres humains et la prostitution « librement consentie ». Certaines prostituées se disaient libres sous la pression de leur proxénète. Je ne crois pas à la prostitution libre.
On connaît les divergences entre le féminisme et le Queer, autour du genre. Vous avez écrit Il y a deux sexes. Votre position est-elle en
core tenable ?
core tenable ?
c’est une position de combat ! Au-delà du gender, qui me paraît être le déploiement d’une humanité adolescente, narcissique, dans le paraître, la posture. Contrairement à Freud, je pense qu’il y a, au-delà de l’adolescence, une génitalité, une activité des femmes avec une compétence propre. Si le sexe de l’homme est symbolisé, la symbolisation du sexe des femmes reste à faire. On peut tout greffer, sauf un utérus. C’est pour cela que des femmes qui veulent devenir des hommes prennent tous les caractères secondaires de la masculinité mais gardent leur utérus pour ne pas perdre la compétence matricielle. Les signes secondaires qui passent avant les signes premiers, ceux du sexe, c’est le frivole qui prend le pas sur la matière. C’est un processus de dématérialisation, la mise en fuite de la matière charnelle, du réel et des deux sexes. Le jeu de genre à l’infini va du travestissement au transgender, mais il ne passe pas la barrière de la génitalité. C’est un jeu. Une forme de nihilisme. Mais le réel de la différence des sexes résiste.
Êtes-vous Queer ?
Si le Queer est un jeu et s’il s’agit de lever la censure, nous le faisions depuis longtemps avec Wittig ! Dans les années 70, on s’habillait en homme. Il faudrait être stupide pour ne pas se reconnaître bisexuée. Nous étions libres !
Quels sont vos rêves pour les femmes ?
Si chacune s’arrime à se demander : « Je suis une femme, est-ce que j’ai le droit d’exister en tant que femme ? » et que la réponse est oui… alors, c’est gagné !
Propos recueillis par Agnès Vannouvong
A lire : Antoinette fouque, Entretiens avec Christophe Bourseiller, Bourin éditeur, coll., à paraître le 13 novembre 2009.