Louyse Buvard, femme majeure à la cour de Louis XIV
L’Ombre du Roi-Soleil de Claude Rodhain, publié en septembre aux Éditions La Route de la soie, est ce que l’on appelle un roman historique. Cette classification bien commode pour les libraires ne nous sert guère présentement : il s’agit toujours d’écrire à partir du réel, de l’expérience. L’histoire de France est notre héritage, le roman historique est un moyen de ne jamais fixer l’histoire et de lui rendre son caractère toujours actuel. Par Margaux Catalayoud.
Ainsi donc, le romancier aguerri s’approprie avec son œuvre un épisode bien connu à la cour de Louis XIV et qui a concouru à la création de la chambre ardente ; mais il ne s’est pas agi, à la manière d’un roman policier, de résoudre cette affaire des poisons, l’auteur a plutôt mis l’accent sur le rôle majeur que les femmes ont joué dans le règne du Roi, créant alors le personnage fascinant de Louyse Buvard.
Une inconnue fictive devient marquise
En effet, la récente orpheline, Louyse Bouvard, qui vient de nulle part, s’est imposée à la cour, jusqu’à devenir marquise et plus encore… Les sombres péripéties qu’elle traverse sont le fruit d’un caractère extraordinaire dont l’audace est le pendant de l’atmosphère anxiogène.
Sa mère, empoisonneuse, a connu le bûcher et a laissé derrière elle une enfant dont on n’aura de cesse de conter la beauté et bientôt l’intelligence – de se frayer une voie dans un monde hostile où tout n’est que secret, suspicion, superstition. Les nobles trempent dans un trafic que le poison symbolise : qui assassine son mari, qui est jalouse de la nouvelle favorite du roi, qui voudrait se faire aimer, etc.
Ces manigances, aussi extravagantes semblent-elles, ne font aucun doute grâce à la précision historique de l’auteur. Tous les personnages principaux de l’affaire des poisons sont convoqués : la Bosse, la Voisine, la Vigouroux, Fontanges la Reynie, etc, l’auteur réussit avec beaucoup de délicatesse et de fluidité à rendre compte de l’épisode historique sans alourdir le récit.
Et la création, plutôt chiadée, du personnage féminin rend bien le romanesque d’une époque où l’on pouvait encore croire à la magie.
Un autre regard
Cette invention est, à proprement parler, l’œuvre de l’écrivain, c’est-à-dire qu’il joue grâce à Louyse, avec elle, à côté d’elle aussi. Le développement narratif la définit comme un être complexe et psychopompe ! De facto, les rapports mère/fille sont troublants car Louyse parle à feu sa mère aux moments cruciaux de sa montée au pouvoir.
Son ascension questionne d’ailleurs la trahison de son appartenance sociale. Comme Jeanne du Barry dans le film éponyme de Maïwenn, fille du peuple et maîtresse de Louis XIV, Louyse Bouvard nous laisse entrevoir un roi attentionné, à la mégalomanie intermittente, j’en veux pour preuve sa confession : « En privé, Louis se qualifie lui-même d’ignorant. A peine lui a-t-on appris à lire et à écrire et ce défaut de connaissance des choses communes de l’histoire, des continents, des fortunes du monde, des conduites et des usages, le fait souvent tomber dans les absurdités les plus grossières, mais il n’en a cure. Il préfère l’action à la connaissance et regarde le savoir avec dédain. »
En somme, L’ombre du Roi Soleil est un roman intelligent qui mêle fiction et histoire, jouant ainsi sur notre fantasme de la Cour et ses souterrains, révélant sans distance les rouages du pouvoir.