La Marraine amoureuse, un bijou théâtral dans l’écrin du Parc Monceau
Par Erwan d’Harmental
“La Marraine amoureuse” : un bijou théâtral dans l’écrin du parc Monceau
Une histoire d’amour suspendue dans le fracas de l’Histoire
Il est des spectacles dont la délicatesse vous saisit dès les premiers instants — La Marraine amoureuse, pièce originale de Benoît Marbot, en fait partie. Dans le décor somptueux du parc Monceau reconstitué avec grâce par Philippe Varache, la pièce nous transporte en 1915, au cœur d’un Paris silencieux, loin du tumulte des tranchées mais tout aussi habité par l’ombre de la guerre. Ce jardin, avec ses colonnades et son bassin, devient le théâtre d’une rencontre poignante entre une femme endeuillée et un jeune homme sur le départ. Le temps y semble suspendu, comme le souffle des spectateurs, captifs d’une émotion rare.
Les costumes, eux aussi signés Philippe Varache, participent de cette immersion : silhouettes élégantes, tissus choisis avec précision, nuances sobres d’un deuil qui n’éteint jamais totalement le désir de vivre. Un travail d’orfèvre, à la hauteur du texte.
Un duo incandescent
Dans ce huis clos à ciel ouvert, Sylvia Roux incarne Clémence avec une intensité retenue, bouleversante. Formée à l’École Périmony, passée par le Studio Hébertot qu’elle a dirigé avec passion, la comédienne porte ce rôle comme un vêtement cousu sur mesure : celui d’une femme libre d’esprit, prisonnière de son époque. On pense à Anouilh, bien sûr (Antigone, L’Invitation au château), mais aussi à Giraudoux ou même à Marguerite Duras : cette parole fragmentée, pleine d’interstices et de silences, dit tout ce que les corps ne peuvent plus dire.
Face à elle, Jean-Nicolas Gaitte (remarqué dans Roméo et Juliette, Les Contes du Grand Guignol) campe un Anatole à la fois bravache et vulnérable, adolescent attardé dans un monde d’hommes qu’il ne comprend pas encore. Leur duo irradie de tension, de désir contenu, d’amour impossible et pourtant incandescent.
Un regard féministe sans slogan
La pièce dit beaucoup, aussi, de la place des femmes en 1915 — et par effet de miroir, aujourd’hui encore. Clémence, veuve avant d’avoir été aimée, correspond avec les soldats, prend la parole, pense. Mais le monde continue à lui imposer le silence. La pièce esquisse ainsi un féminisme élégant, tout en nuances, loin des discours simplistes : une femme forte n’est pas forcément une femme qui crie, mais une femme qui pense, qui choisit, même dans l’impossibilité. Le regard de Sylvia Roux suffit parfois à tout dire. Dans une époque qui redécouvre l’importance de ces combats, La Marraine amoureuse vient nous rappeler que l’Histoire est lente, et que les émotions sont souvent les plus puissantes des armes.
Un échos troublant avec notre monde
Ce qui rend la pièce si précieuse, c’est aussi ce qu’elle raconte de notre présent. Alors qu’Anatole s’apprête à partir pour un front dont il ignore tout, on pense à ces jeunes hommes d’aujourd’hui, en Ukraine ou ailleurs, projetés dans des conflits qui les dépassent. L’insouciance brisée, l’amour comme dernier refuge, la parole comme ultime résistance : tout cela fait écho à nos inquiétudes contemporaines. On croit assister à une simple comédie sentimentale ; on découvre un drame universel.
Un texte ciselé, une mise en scène qui respire
Benoît Marbot, à la fois auteur et metteur en scène, fait preuve d’une maîtrise remarquable. Son écriture, ciselée, joue de la légèreté et du tragique, à la manière d’un Giraudoux (La guerre de Troie n’aura pas lieu, Ondine), d’un Musset, ou d’un Marivaux en clair-obscur. Il laisse respirer ses personnages, évite tout pathos, et fait du silence une matière dramatique à part entière.
Le dispositif scénique est minimal, mais jamais pauvre. Tout se joue dans la tension des corps, l’économie du geste, la retenue des émotions. C’est un théâtre de la suggestion, profondément littéraire et infiniment humain.
Un rendez-vous à ne pas manquer
Il y a dans La Marraine amoureuse ce frisson rare que seuls les spectacles sincères peuvent offrir. Une pièce qui parle d’hier pour mieux éclairer aujourd’hui, qui touche sans asséner, qui fait rire parfois — et pleurer souvent. C’est du théâtre d’exception , mais il serait impardonnable de le laisser passer inaperçu.
Erwan d’Harmental
Du 20 mars au 27 avril 2025
Du jeudi au samedi à 19h, dimanche à 17h
Studio Hébertot – 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris
Avec Sylvia Roux et Jean-Nicolas Gaitte
Texte et mise en scène : Benoît Marbot
Décors et costumes : Philippe Varache