Actualités (NON EXHAUSTIF)

« on ne s’ennuie jamais avec Laurent Benarrous, avocat de la vie », lisez « Tintamarre »

Laurent Benarrous, Tintamarre

Quand on est né juif mais laïc, Français mais pas perçu entièrement comme tel, déraciné d’Afrique du nord en banlieue parisienne… à Villejuif, doté d’un père violent et d’une mère ignorante – on recherche qui l’on est. Cette quête de soi est l’objet de ce roman autobiographique, écrit à hauteur d’enfant avec un vocabulaire simple.

Trouver sa place : tel est la quête de soi dans un monde qui ne vous attend pas, dans une banlieue métissée et dans une famille foutraque. Le jeune Laurent aura du mal avec tout : avec son père, avec sa mère, avec son beau-père beauceron, avec sa famille juive, avec ses amis espagnols ou arabes, avec le pédocriminel du HLM, avec les filles « qui ne fréquentent pas un Juif », avec ses profs parce qu’il est désorienté et chahute, avec les employés d’été de son oncle cafetier, avec l’armée qui le met dans une case de juif trublion, avec la fac qui le déprime.

Il faut dire qu’avec son orthographe déplorable, il a perdu des points à l’examen du barreau. A se demander s’il est vraiment français ! La patrie commence en effet par la langue, vecteur de communication, lien de culture, support de la mentalité commune. La route de l’à soi est d’abord le parler en commun. Aujourd’hui encore, au moins deux fautes d’accord subsistent dans le livre, mais on a beau se relire…

Et pourtant, l’humour juif n’est jamais très loin et surgit souvent comme un baume en fin de chapitre : situations cocasses, contradictions des adultes, chance inouïe à l’examen. La vie s’accroche, même si la tentation de disparaître surgit parfois. L’enfant apprend la lutte, le judo, l’adolescent est fou de sport, foot, course et tennis, l’adulte connaît la tchatche et ne lâche pas une affaire.

En désordre et à grand bruit – le tintamarre – le petit môme déraciné de banlieue deviendra avocat, un rêve qu’il avait enfant. Malgré ses handicaps et sa famille, il passera chaque année en classe supérieure, sauf une fois en Première. C’est que l’on dit qu’il est beau, râblé et musclé, qu’il supporte les coups et qu’il s’accroche, qu’il sait se faire des amis. A noter que la photo du frais petit garçon en couverture n’a rien à voir avec le portrait qu’il fait de lui-même ; elle représente plutôt symboliquement le gavroche plein de vitalité ouvert à tous les possibles.

Comprendre le monde par les yeux d’enfant, telle pourrait être la leçon du livre. Car l’enfant est pur et sait voir quand le roi est nu ; il est direct, va droit au but. Un récit romancé qui explore l’âme humaine et vante la résilience, cette capacité en soi de rebondir grâce à une tante ou une cousine, un ami, une circonstance.

La France des sixties a été autant bouleversée que la nôtre, avec les mêmes problèmes d’immigration, d’intégration, d’école et de méritocratie républicaine. Elle a été autant désillusionnée que la nôtre dans les années 80 avec la gauche au pouvoir et ses promesses démago irréalisables, le laisser-aller économique et budgétaire. Malgré cela, Laurent a réussi cahin-caha sa vie : trois femmes, trois rejetons, ses désirs enfantins réalisés. Devenir quelqu’un et se marier avec Yasmine, sa copine arabe de ses 11 ans : il dit en avoir trouvé la copie conforme adulte, pour son ancrage définitif.

Agréable à lire malgré le poids du livre (827 grammes) ; on ne s’ennuie jamais avec Laurent, avocat de la vie.

Laurent Benarrous, Tintamarre, 2024, éditions La route de la soie, 510 pages, €27,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Jean-Marc Sylvestre interviewe Jean-Philippe Bozek pour Atlantico sur les Dubrule-Mamet

 Quand l’histoire du capitalisme familial permet de comprendre les forces et les faiblesses de l’économie française

Jean-Philippe Bozek, biographe et coach de dirigeants, s’intéresse en profondeur à la vie des entrepreneurs et à leur capital culturel pour les aider à mieux comprendre leurs choix managériaux, à saisir les ressorts de leur succès.  En explorant la dynastie des Dubrule-Mamet sur deux siècles (deux des trois tomes de ses ouvrages biographiques sont déjà parus), il livre un témoignage précieux sur l’Histoire de France et met en lumière les héritages immatériels, les manières de penser et d’agir qu’une famille peut se transmettre de générations en générations ainsi que la façon dont ils les ont réformées ou adaptées pour s’adapter aux circonstances de chaque époque.

Jean-Philippe Bozek, pouvez-vous raconter à nos lecteurs quel a été votre déclic pour travailler à ces livres, véritables morceaux d’histoire, vus par un prisme original ?

Cela fait vingt ans que j’accompagne des dirigeants et plus particulièrement des entrepreneurs et je suis moi-même chef d’entreprise depuis plus de 30 ans. Dans chacune de ces situations, j’ai remarqué que ce que j’appelle “l’héritage culturel” est déterminant, notamment lorsqu’il s’agit de traverser des crises majeures. Pour ceux qui sont issus d’une lignée d’entrepreneurs, ce capital immatériel est un socle qui leur permet d’avancer avec une plus grande confiance. A l’inverse, ceux qui sont issus d’autres milieux et qui se lancent dans l’entrepreneuriat sans bénéficier de cet héritage, sont habités de plus de doutes, ce qui leur confère aussi une meilleure sensibilité à ce qui se présente à eux et par conséquence, une plus grande créativité. Il n’y a donc pas de situation meilleure qu’une autre mais une façon différente de réagir à des circonstances similaires.

Aussi, lorsque Paul Dubrule, co-fondateur avec Gérard Pélisson du groupe Accor et avec qui je travaille depuis plus de quinze ans, m’a ouvert ses archives et m’a donné accès aux membres de toute sa famille, ça a été une occasion inespérée de pouvoir regarder à la loupe comment ce capital culturel s’est construit et transmis au fil des générations. L’idée d’écrire un livre, puis une trilogie qui retrace l’histoire de la famille Dubrule-Mamet sur deux siècles et met en lumière les mécanismes de transmission s’est rapidement imposée et a remporté l’adhésion de toute la famille. Je me suis senti privilégié par la confiance qu’ils m’ont tous accordée. C’est comme cela que sont nés les trois tomes de Paul et Suzanne.

Votre premier tome « Les aïeux » commence avec deux frères, Paul et Marcel, pourquoi avez-vous décidé de commencer vos recherches avec ces « ancêtres » ? Qu’est-ce qui faisait sens de commencer ici plutôt qu’aux générations antérieures ?

L’idée m’est venue quand j’ai retrouvé dans un carton d’archives le premier passeport de Paul Jules Henri Dubrule (né en 1905) et lorsque j’ai compris qu’il y avait dans ce voyage tous les ingrédients symboliques qui ont contribué à la réussite des générations précédentes comme des suivantes :

  • La curiosité et les voyages, qu’on retrouve depuis Paulus Dubrule, fondateur d’une fonderie à l’époque napoléonienne et Edouard Mamet, fondateur d’une filature de lin à Brugges, au milieu du 19° siè Tous les entrepreneurs et industriels de la famille ont voyagé et se sont intéressés à ce qui se faisait ailleurs pour s’en inspirer et développer ensuite leur propre affaire.
  • La nécessité d’entreprendre : à chacune de ces générations, entreprendre était la seule voie de réussite possible pour les fils de la famille. L’injonction que Paul, l’ainé, pose à son frère Marcel “tu ne vas pas travailler toute ta vie comme salarié à la Filature de Saint-Epin” illustrait parfaitement ce principe.
  • Les associations. Certains se sont associés avec des partenaires inconnus auparavant, d’autres avec leur frère, leur beau-frère ou leur cousin, d’autres encore avec leur épouse ou leurs enfants. Tous ont créé et développé leur affaire en association avec un partenaire en qui ils plaçaient une totale confiance. On retrouve aussi ces principes dans les générations suivantes : Paul Dubrule s’est associé avec Gérard Pélisson pour fonder Novotel et son frère, Régis Dubrule a co-fondé avec son épouse Ghislaine de Vaulx, la société Tok&Stok, entreprise d’ameublement leader sur le marché brésilien.
  • La complémentarité des caractères et des compétences entre associés est un autre ingrédient des réussites de la famille depuis deux siè Ici, mettre en scène Paul, l’homme réfléchi et prudent et son jeune frère Marcel, plus spontané et bon vivant était une illustration parfaite de cet autre principe culturel trans-générationnel.

Une dernière chose a validé ce choix : se positionner à cette époque charnière de la fin des années folles et dans un train mythique faisant route vers l’Orient permettait de capter l’attention du lecteur et de le faire s’interroger sur l’intention de l’auteur, ce que vous faites-vous même en me posant cette question. Le pari semble donc gagné.

Votre livre compte plusieurs documents très précieux et de nombreux arbres généalogiques. Vous avez donc exploré les caractères des différents personnages.  Attribuez-vous certains traits constants à une certaine éducation reproduite ?

Oui. C’est évident. Tous ont connu pendant leur enfance des conditions de vie éprouvantes dans lesquelles leurs parents avaient fort à faire pour sauvegarder leur affaire parfois gravement menacée. Le mode de vie de la bourgeoisie de cette époque comportait aussi des habitudes éducatives qui leur étaient propres : peu de manifestation d’affection, une éducation scolaire dans des milieux très sévères, une nécessité d’entreprendre et de réussir pour les garçons et un exemple des parents et grands-parents qui l’ont fait avant eux. Tout cela prédispose à des croyances entrepreneuriales fortes (si je veux être reconnu et apprécié – voire aimé, je dois entreprendre et réussir. Je dois prouver que je suis digne d’appartenir à la famille”. C’est un stimuli extrêmement puissant assorti de modèles qui favorisent l’audace et l’innovation. Il y a aussi des modèles managériaux propices au développement des affaires, en particulier, dans la famille Mamet, de type “patronat chrétien” pour qui la considération donnée aux ouvriers et l’amélioration sociale était un modèle bien ancré. Du côté Dubrule, on retrouve aussi cela chez l’arrière grand-père qui a beaucoup oeuvré au sein de chambres consulaires pour améliorer la sécurité au travail des ouvriers. Lorsque j’ai rencontré Paul Dubrule pour la première fois, en 2007, c’est l’une des premières choses qu’il avait tenu à m’expliquer. Ça a été le socle des valeurs communes qui ont présidé à son association avec Gérard Pélisson. Nous retrouvons cela dans le mariage et l’association de Régis et Ghislaine Dubrule – de Vaulx (Tok & Stok).

Chacun des entrepreneurs présents dans ce livre a t-il eu à cœur de s’inscrire dans une lignée ? C’est-à-dire d’être digne de ses prédécesseurs et de transmettre à ses enfants. Les liens du sang sont-ils à vos yeux essentiels pour qu’il n’y ait pas de rupture dans la manière de gérer des affaires ?

Oui et non. L’histoire est plus compliquée. Dans la famille Dubrule, rares sont les enfants qui ont pris la succession directe de leur aïeul et les quelques exceptions à la règle n’ont pas été couronnées de grands succès. La valeur “innovation” était par contre très présente dès le début du 19° siècle. Dans cette famille d’entrepreneurs, on assiste plus à des successions indirectes dans lesquelles le capital culturel était fondamental. Sur le plan financier, il y a eu peu de dons en argent ou en actions. Le plus souvent, il s’agissait de prêts que les bénéficiaires étaient ensuite tenus de rembourser, souvent avec des intérêts significatifs. Le capital transmis était immatériel. Il était composé du modèle entrepreneurial ainsi que de la confiance accordée. L’échec était une possibilité non écartée mais elle était assortie de l’obligation de tout mettre en oeuvre pour ne pas chuter. Même lorsque les circonstances obligeaient à renoncer (comme lorsque le grand-père a dû liquider son affaire à l’issue de la première guerre mondiale), c’était mal vécu. L’obligation d’innover était une injonction majeure, à la fois propice aux belles réussites et accablante lorsque des difficultés insurmontables se présentaient. Dans la famille Mamet, c’est légèrement différent. On retrouve des successions sur deux ou trois générations. L’innovation me semble cependant avoir été aussi le principal moteur aux origines des entreprises.

Je ne crois pas aux liens du sang (au sens biologique) comme vecteur de réussite dans les affaires. Je crois beaucoup plus à l’éducation et aux processus culturels et psychologiques qui en découlent.

La réussite peut-elle être le garant de la cohésion familiale ? N’est-elle pas à double-tranchant ? N’y a t-il pas au contraire des tensions, jalousies, luttes pour le pouvoir ? Qu’est-ce qui a fait que les Dubrule-Mamet s’en sortent toujours par le haut ?

Je ne dirai pas cela. Ce qui est au coeur de la cohésion familiale de cette famille, ce sont le sentiment d’appartenance, le respect, la considération et la volonté de rester unis. D’ailleurs, dans les couples maritaux comme dans les associations entrepreneuriales (de cette famille), les séparations sont rares, voire exceptionnelles. Une des choses qui m‘a le plus étonné dans ce travail, c’est de voir combien ce nouveau regard porté par tous les membres de la famille sur leur histoire commune a fortifié le sentiment d’appartenance et donc la cohésion. Imaginez-vous qu’aujourd’hui encore, les sept enfants de Paul et Suzanne se réunissent chaque mois pour passer un moment ensemble en viso-conférence, alors que leur âge moyen est de 84 ans !

Bien évidemment, à chaque époque, il y a eu des tensions parfois fortes, mais le plus souvent, elles étaient le fruit d’incompréhensions ou de logiques différentes plus que de jalousies ou de luttes de pouvoir. D’ailleurs, vous pourrez découvrir deux de ces tensions majeures dans le tome 3, l’une, lorsque Paul et Marcel (les deux frères présents dans le prologue du Tome 1) se sont violemment opposés sur leurs visions entrepreneuriales respectives et l’autre lorsque Paul Dubrule père et fils se sont opposés durant les années qui ont précédé le lancement de Novotel. Mais à chaque fois, l’histoire se termine bien, voire très bien. Je vous laisserai la découvrir dans quelques mois lorsque le tome 3 de Paul et Suzanne sera édité.

Les épreuves traversées par cette famille ont-elles contribué à stimuler leur capacité de rebond ?

C’est évident. A toutes les époques, les épreuves étaient vécues comme des aiguillons qui piquaient au vif ces chefs d’entreprise dans leur puissance créative. Leur curiosité, leur sensibilité aux tendances du marché et leur force d’innovation faisaient le reste. Je crois que nous pouvons parler d’un phénomène de résilience entrepreneuriale qui mériterait une étude encore plus approfondie. D’ailleurs, ce phénomène perdure sans limite d’âge, ce qui suscite mon admiration.

Diriez-vous que la faculté de résilience se perpétue parce que les membres de cette famille ont observé leurs aînés faire face durant leur enfance, qui comme disait Montesquieu est « le tout de la vie puisqu’elle en donne la clef » ?

Il serait intéressant de demander à Boris Cyrulnik ce qu’il en pense. Peut-être devrais-je lui envoyer un exemplaire des deux premiers tomes ?

Il me semble effectivement que le concept psychologique de résilience est à l’œuvre dans la destinée de la plupart des membres de cette famille. Prenez par exemple le chapitre 9 du tome 2, lorsque la maison où Suzanne s’est réfugiée avec ses enfants est bombardée le 10 juin 1940. C’est, de toutes évidences, un traumatisme majeur qui pourrait causer de graves séquelles par la suite. Or, il n’en est rien parce que la mère et le père se mobilisent immédiatement et fortement pour protéger physiquement et psychologiquement leurs enfants et les soutenir dans ce qui aurait pu être un drame absolu. Il en est de même plus tard, dans la vie comme dans les affaires. Même si l’entente est parsemée d’incompréhensions temporaires, les parents soutiennent leurs enfants dans les épreuves qu’ils traversent, que ce soit dans leur vie de famille ou dans leur vie professionnelle. L’avantage du tome 3 de Paul et Suzanne (à paraître) est qu’il s’appuie sur une mémoire vivante, ce qui permet d’accéder plus facilement à ces souvenirs de difficultés, souvent effacés des mémoires et des écrits lorsque les personnes ont disparu.

Si j’ai bien compris la théorie de Boris Cyrulnik, le principal élément de la résilience est de pouvoir s’appuyer sur ce qu’il a nommé un “tuteur de résilience”. Il s’agit d’une personne proche qui offre un appui solide externe lorsque la structure psychique interne est ébranlée, notamment lors de l’enfance mais aussi plus tard. C’est le rôle qu’ont joué les parents et les grands-parents pendant la guerre. Dans le tome 3, on retrouvera aussi ce rôle qui est plutôt joué par les grands-parents lors du passage à l’âge adulte (Marguerite Lefebvre-Dubrule pour les filles et Henri Mamet pour Paul).

C’est aussi l’un des rôles que remplit le partenaire dans une association de qualité. A deux, on résiste mieux aux gros coups de vents que seul. Ce n’est donc pas un hasard si toutes les affaires de la famille se construisent dans le cadre d’une association durable.

Il y a de nombreuses lettres recopiées dans vos deux tomes. Comment vous y êtes-vous pris pour imaginer les dialogues ? Trouver le bon ton ?

Ça n’a pas été facile. Dans un premier temps, je me suis inspiré des profils psychologiques que j’ai tenté de reconstituer le plus fidèlement possible. Ensuite, j’ai soumis les projets de textes à quelques frères et soeurs avec qui nous avons affiné les dialogues en fonction de leurs souvenirs et de ce qui leur avait été raconté, transmis. Finalement, j’ai demandé à une correctrice professionnelle de vérifier que l’ensemble était suffisamment plausible pour que le réalisme soit d’un niveau élevé.

A titre d’exemple, dans le chapitre III – Le tissage du Canteleu, j’ai limité les dialogues entre Alidor Mamet et son épouse Marie. Cette homme a manifestement eu une vie rude. Il est né en Belgique, a quitté ses parents vers l’âge de 18 ans, s’est expatrié en France et a longtemps vécu seul. Son épouse est décédée jeune et il a fini sa vie seul. Lorsqu’il s’est éteint en 1917, il était seul à Berck et ses fils étaient prisonniers de guerre. C’est un homme qui s’est totalement absorbé dans un travail acharné, ce qui lui a permis de fonder une filature remarquable mais aussi de se protéger des émotions qui ont dû le traverser. Considérant qu’il avait eu une vie dure et un caractère probablement assez taciturne, j’ai choisi des échanges brefs et peu nombreux, uniquement dans des phases décisives, accordant plus de place à ses pensées solitaires.

A l’inverse, Marcel Dubrule, qu’on découvre dès le prologue du tome 1 et qu’on retrouve dans le tome 2 comme dans le tome 3 était un bon vivant, affable, très commerçant et plaisantant volontiers avec tout le monde. Les dialogues sont donc nombreux, les expressions comportent de l’émotion et notamment de la joie. Dans son cas, j’ai eu la chance que l’une de ses filles me confie de nombreuses lettres qu’il avait écrites à son frère Paul. Il était donc facile de faire un récit très proche de la réalité.

Rétablir des dialogues est un exercice délicat qui présente cependant un énorme avantage : celui de plonger le lecteur dans l’histoire et de lui offrir un tremplin d’empathie pour les personnages. C’est la première fois que je prends ce risque mais je me sens récompensé par les retours des lecteurs qui sont excellents.

Le courage se révèle t-il uniquement dans les épreuves ? Est-il frère de l’audace et de la capacité d’innover ?

Voilà une question philosophique à laquelle je n’ai pas vraiment la réponse. Il me semble que Voltaire disait que le courage n’est “pas une vertu mais une qualité commune aux scélérats et aux grands hommes”. L’audace me semble être du même ordre avec plus d’intelligence et de créativité. Quant à la capacité d’innover, je pense qu’elle est d’un autre ordre et indépendante des circonstances rencontrées. Même les fainéants peuvent être créatifs. Peut-être même le sont-ils plus que les autres, par nécessité… Paul Dubrule père (1905-1999) disait “c’est un fainéant qui a inventé la brouette”.

Chez les Dubrule-Mamet, diriez-vous que c’est la réussite entrepreneuriale qui soude les couples ou que l’amour préexiste à la réussite ?

Je ne suis pas expert en amour ni en relations de couple. J’ai moi-même divorcé deux fois, ce qui ne fait pas de moi une référence particulièrement inspirante (rire). Ce qui est clair, c’est que toutes les unions dont on m’a parlé en détail dans la famille Dubrule-Mamet ont été des choix libres, parfois même en opposition avec le souhait des parents, et toujours basés sur une réelle rencontre amoureuse. Je n’ai eu connaissance d’aucun mariage arrangé même implicitement. Certaines unions ont été très touchantes, émouvantes. Vous découvrirez le récit de certaines d’entre elles dans le tome 3.

Tolstoï disait que toutes les familles heureuses se ressemblent, mais que les familles malheureuses le sont chacune à leur façon. Qualifieriez-vous la famille Dubrule-Mamet d’« heureuse » ?

Je suis admiratif de de la façon dont Léon Tolstoï a réussi à peindre le portrait de cette famille aristocratique russe mais je me sens bien loin d’avoir le même talent (rire). Je crois cependant pouvoir dire que la plupart des couples de la famille Dubrule-Mamet ont suivi des modèles plus proches de celui de Kitty et Lévine Dmitriévitch plutôt que de celui d’Alexis et Anna Karenine qui, comme vous le savez, s’est perdue esprit, corps et âme dans la liaison passionnelle et tragique qu’elle a entretenue avec le comte Vroski.

J’imagine que dans la famille Dubrule-Mamet, comme dans toutes les familles, il a du y avoir des difficultés conjugales mais c’est un sujet auquel je ne me suis pas intéressé. Ce qui est certain, c’est que la fierté d’appartenir à la famille est élevée et que la réussite dans les affaires comme dans certains rôles consulaires ou politiques y a beaucoup contribué.

L’héritage ne peut-il pas être un poids ? La tentation de se reposer sur une vie confortable ? Entreprend t-on pour donner du sens à sa vie, sans lequel elle ne mérite pas d’être vécue ?

De quel héritage parle-t-on ? L’héritage matériel peut être une chance mais aussi une charge surtout lorsqu’il est chargé affectivement “mes parents ont consacré leur vie à construire ce patrimoine que je me dois de préserver”. Ça peut même être écrasant. Dans la famille Dubrule-Mamet, il s’agit presque toujours de créations d’entreprises. La charge affective est probablement moins lourde.

Mais le véritable héritage auquel je me suis intéressé est l’héritage culturel, voire psychologique, qui peut lui aussi être un formidable tremplin “puisque toute ma famille a réussi, il n’y a pas de raison que je n’y parvienne pas” comme une injonction inhibitrice “si je veux être apprécié, je dois absolument créer mon affaire et montrer ce dont je suis capable”, voire “je n’ai aucune envie d’être chef d’entreprise mais je n’ai pas le choix : dans ma famille, on est entrepreneur de père en fils depuis de nombreuses générations”. Cela dépend donc des familles, du contexte, des personnes. Certain trouveront dans cet héritage confiance, sensibilité et audace alors que d’autres y trouveront contrainte, inhibition et déception. Je ne crois pas qu’il y ait de règle d’or. L’important, c’est d’écouter ses envies, de savoir s’entourer et d’apprendre en marchant tout en regardant attentivement autour de soi.

Ce qui me semble évident c’est que l’entrepreneuriat permet d’atteindre plus facilement l’accomplissement personnel que le salariat, ne serait-ce que parce que la force créatrice est bien plus libre. D’ailleurs, dans cette époque de plus en plus libre, vous aurez remarqué que l’entrepreneuriat qui était relativement méprisé il y a cinquante ans est aujourd’hui hautement valorisé.

Le monde est en marche et les entrepreneurs sont ceux qui changent le plus le monde.

Jean-Philippe Bozek livre une biographie éblouissante du cofondateur de Accor Paul Dubrule (second tome)

Jean-Philippe Bozek, Paul et Suzanne 1932-1950

De 1932 à 1950, que de bouleversements ! La montée du Front populaire et des congés payés, la guerre d’Espagne, la montée concomitante du fascisme puis du nazisme, la drôle de guerre puis la guerre ouverte t la défaite immédiate, le vote de 60 % des socialistes pour les pleins pouvoirs à Pétain, vieux maréchal ambitieux…

Tout commence en 40 par le bombardement de l’aviation allemande sur Ambleteuse, petite ville balnéaire peuplée de civils. Déjà la terreur. La famille ne cesse de se regrouper entre la proximité des usines et les villas loin du front provisoire, en Normandie. Entre les affaires et les enfants, le partage des tâches et vite trouvé : aux hommes les affaires, aux femmes les enfants, le ravitaillement, le soin aux blessés.

La saga familiale se poursuit dans l’esprit paternaliste et ingénieur du « capitalisme rhénan » propre à l’Europe continentale. Rien à voir avec l’esprit financier anglo-saxon, plus soucieux de profits que de production. Ce qui compte en France du nord, est de produire de bons produits sur la demande de bons clients. La guerre est évidemment le trublion dans cette façon irénique de voir l’entreprise.

Ce second tome est très vivant par son côté romanesque, reconstitué à partir des témoignages des membres encore vivants, des lettres, documents et photos. Il montre comment une famille aisée pouvait survivre en temps de guerre et d’Occupation. Comment les patrons d’usine devaient négocier avec l’Occupant pour éviter de trop servir l’effort de guerre, comment aussi faire tourner a minima les machines avec les rares ouvriers non mobilisés ou prisonniers.

La famille est partagée entre la production et l’élevage des enfants. Ceux-ci poussent en liberté, peu instruits par l’éloignement des villes. A Jullouville, dans le Cotentin, n’existe qu’une école primaire. Le petit Paul Jean-Marie (Paul JM), né en 1934, aura du mal à s’adapter aux contraintes et à la discipline lorsqu’il entrera en sixième chez les Jésuites à 11 ans, lui qui a vécu libre depuis ses 7 ans, voyant des avions descendus en flammes, des hommes sauter sur des mines, des morts et des blessés. Il reprendra l’usine, une fois adulte, mais ce sera pour le tome suivant.

Tome 3 à paraître sur l’époque contemporaine.

Jean-Philippe Bozek, Paul et Suzanne – Histoire de la famille Dubrule-Mamet, tome 2 Guerre et paix 1932-1950, éditions Place des entrepreneurs 2023, 256 pages, € 25,00

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Tome 1 : 1800-1932 déjà chroniqué sur ce blog

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

« Un roman qui titille la morale » : Tribune Juive a aimé « Un drôle de goût ! » d’Alain Schmoll

La Chronique estivale de Jérôme Enez-Vriad- “Un drôle de goût !” : le nouveau roman d’Alain Schmoll

Un drôle de goût ! : le nouveau roman d’Alain Schmoll

Alain Schmoll est de retour avec un roman à suspense. Son titre : Un drôle de goût ! L’intrigue se profile dans un monde inquiétant au sein duquel on reconnaît le nôtre par analogie. La seule limite de l’histoire est l’imagination fertile de son auteur. Voyons donc… 

Après son étonnant La tentation de la vague (L’Harmattan, 2019 ; Cigas, 2022) Alain Schmoll revient avec un thriller des plus haletant. Il s’agit d’une plongée dans les méandres d’un univers qui ressemble beaucoup au nôtre, où les problèmes quotidiens apparaissent au format d’une fable contemporaine en frontière avec la réalité. Inspiré de faits imaginaires que le lecteur est invité à croire réels, Alain Schmoll offre avec Un drôle de goût ! bien davantage qu’une simple histoire à suspense. 

Le sifflement du serpent

Alain Schmoll signe un cinquième roman ambitieux, mieux ! audacieux, surprenant par sa construction dans laquelle se superposent Feuillets et Chroniques intercalées, sorte de mise en abîme de l’auteur qui, dans le préambule, affirme être collaborateur du travail d’écriture de son héros, un certain Werner Jonquart. « Mon nom ne dira rien à la plupart d’entre vous. Il arrive pourtant que votre œil s’arrête sur mes mots, qu’il suive le fil de mes phrases. J’écris sur toutes sortes de sujets, importants ou mineurs, graves ou futiles, passés ou futurs ; j’écris pour des journaux, pour des magazines, pour des éditeurs. » Et. Un peu plus loin. Dans l’introduction. Nous apprenons ceci. « Tout a commencé de façon diffuse, impalpable. Comme le murmure introductif des cordes, avant que l’orchestre n’emplisse en force l’espace sonore. Comme le souffle éthéré d’une brise tiède annonciatrice de tempête. Comme le sifflement d’un serpent méditant une attaque sournoise. » De quoi diable ! s’agit-il donc ? D’une intrigue financière sur fond de contamination alimentaire et… Stop ! Ne dévoilons pas le complot, car c’est bien de cela dont il est question, et rien n’est plus frustrant pour le lecteur que d’en trop connaître avant d’entamer l’histoire. Disons qu’il y a du Robin Cook (on pense à Toxine) et du John Grisham dans ces pages. Alain Schmoll joue avec les nerfs de ses lecteurs comme le bourreau s’amuse à repasser le scalpel sur la plaie. 

Une étrange maladie

Un drôle de goût ! se lit comme une médication qui vous fait trembler de l’intérieur, à la manière d’un exorcisme horrifique accentué avec la dose supplémentaire du chapitre suivant ; nul ne prononce d’ordinaire le nom de cette étrange maladie méconnue par la nouvelle génération, pas même les professeurs qui semblent ne plus la connaître, elle se résume pourtant en quatre petits mots : le plaisir de lire. Au fil des pages, Alain Schmoll réussit à nous faire regretter une journée sans lecture, telle est l’étonnant pouvoir de son livre : si singulier, si étrange que l’on se fait d’une construction romanesque classique, puisque ses Chroniques et Feuillet intercalés transfigurent l’équilibre de son texte autant qu’ils en refondent l’agencement sans lourdeur ni maladresse. 

Chapitre 9 de la 1ère partie (page 134) : « Le soleil s’étendait en un vaste halo blanc, plus puissant que le bleu du ciel, qui lui cédait en intensité. Frappée par des rayons impitoyables, la neige prenait l’aspect d’une nacre éblouissante. » ; chapitre 13 de le 2ème partie (page 296) : « Marcher, tout seul. Une bonne méthode pour s’oxygéner l’esprit, pour tenter de réfléchir fructueusement à une solution aux problèmes qui se posent. » ; et, un peu plus loin : « À l’angle du pont et du quai, à une cinquantaine de mètres de l’entrée de leur immeuble, Werner s’arrête, s’accoude au parapet et contemple distraitement les flux de navigation montants et avalants. » Trois extraits qui donnent envie de renier ce que l’on vient de lire en poursuivant sa lecture. Je m’explique. Toute avancée romanesque est animée par le souffle paradoxal des contraires. Alain Schmoll exploite la fadeur de l’angoisse comme personne, grâce à des phrases et des images simples qui nourrissent un suspense construit sur une intrigue où s’entrecroise la primauté de deux imaginations fertiles : la sienne et celle du lecteur. 

Avant que l’histoire ne s’achève 

Du baptême au dernier verre de rhum, la vie est un livre ouvert dont nous refermons les pages sans toujours avoir eu le temps de les lire. Certains les parcours en diagonal… D’autres les dévorent de la première à la dernière ligne… Werner Jonquart, héros de notre histoire, ne laisse personne lire aucune page à sa place, et nous incite à en faire de même… S’il fallait deux bonnes raisons pour lire Un drôle de goût ! , la première serait de glisser un roman d’été instructif dans son sac de plage ; la seconde relève d’une intrigue qui ne vous glace pas seulement le sang, elle vous titille aussi la morale dans ce qu’elle a de plus géométriquement variable lorsqu’elle est davantage soucieuse de profit que d’éthique. 

Un drôle de Goût

Roman d’Alain Schmoll

Éditions Cigas – 325 pages – 13,90 €

Jérôme Enez-Vriad

© Juillet 2024 – Tribune Juive & J.E.-V. Publishing

Une histoire d’entreprises contée par Jean-Philippe Bozek

Jean-Philippe Bozek, Paul et Suzanne 1800-1931

C’est une histoire vraie, une histoire d’entreprises au pluriel, une analyse de l’esprit d’entreprendre. Nous sommes dans les grandes familles du Nord de la France qui aiment la sociabilité et l’ingénierie. Ces deux penchants font les bonnes entreprises : de la technique et du commercial.

Jean-Philippe Bozek, lui-même entrepreneur et coach de dirigeants, montre que la psychologie plus que la comptabilité influence leur façon d’entreprendre. Il ne s’agit pas de finance, qui n’est qu’un outil, mais de volonté : d’innover, d’entretenir de bonnes relations clientèle, de soigner ses ouvriers qui travaillent bien, de s’adapter au marché. C’est un tempérament. Il faut être un homme complet, pas seulement une tête bien pleine. Les exemples des grands-pères fascinés par la technique mais qui n’ont pas su écouter la demande sont éclairants.

Dans cette épopée en trois tomes, fondée sur les archives familiales et les témoignages des vivants, Les aïeux décrivent l’aventure de la famille Dubrule et Mamet au XIXe siècle. L’actuel Paul Dubrule (tous les fils aînés portent ce prénom), né le 6 juillet 1934 à Tourcoing, est coprésident Fondateur du Groupe Accor. On le voit, de la ferronnerie à l’hôtellerie, de l’industrie lourde aux services, la famille a su s’adapter.

La Révolution délivre des normes contraignantes et des droits seigneuriaux, la révolution industrielle anglaise donne l’exemple technique des machines, la demande sous Napoléon 1er offre un marché. L’ancêtre Paulus crée un atelier de fonderie, armes, outils agricoles,matériels de transport hippotractés. Son fils Paul, devenu ingénieur Arts et métiers (l’école portait alors un autre nom), inventa de nouvelles machines textiles.

Ce fut un grand succès, porté par l’essor de la société notamment sous Napoléon III, et de l’armée. La guerre 14-18 va détruire les usines du Nord, les Boches du Kaiser agissant comme les barbares de Poutine avec une volonté vengeresse. L’auteur passe sur la reconstruction et saute directement des ruines de 1918 à la prospérité 1925. On aurait aimé en savoir plus sur la façon de remettre en état, les financements, les initiatives. De même après « la crise de 29 », qui a au fond assez peu touché la France, sauf par contrecoup.

Le livre est illustré de documents d’époque, cartes postales anciennes, affiches d’événements, lettres, photos de famille. Il se lit avec intérêt.

Paul Dubrule, né en 1905, épouse Suzanne Mamet, née en 1912 et l’épouse en 1931. Auparavant, il a accompli un rêve : voyager dans l’Orient-Express, de Paris à Istanbul ; il en gardera un souvenir émerveillé. Car l’entreprise signifie aussi s’ouvrir au monde, être attentif aux changements. Dès son mariage, le couple génère quatre enfants, dont un petit Paul, destiné à prendre la suite. Ce sera l’objet du tome suivant.

Jean-Philippe Bozek, Paul et Suzanne, histoire de la famille Dubrule-Mamet, tome 1 Les aïeux, 1800-1931, 2023 éditions Place des entrepreneurs, 248 pages, €25,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

L’excellente revue « Souffle inédit » a adoré « Les Bergers d’Arcadie » d’André et David Grandis

L’artiste photographe Laurent Denay nous livre sa critique de « La cuisine des âmes nues » de Yezza Mehira

Yezza Mehira, La Cuisine des âmes nues. Nouvelles et recettes, éditions de la Zitourme, 2023, 146 pages, 13€

L’Histoire – avec un grand H – a été écrite par des hommes. Mais les histoires, les histoires intimes ou les histoires du quotidien ont souvent été écrites par des femmes : de Georges Sand à Colette et de Violette Leduc à Sylvia Plath.

Yezza Mehira s’inscrit dans cette prestigieuse lignée. Plus précisément, par le prisme de la cuisine et de la vie domestique, elle nous permet de découvrir l’intimité de femmes de culture méditerranéenne.

À la première personne, avec pudeur, mais sans rien cacher de leurs souffrances et de leurs déceptions, ces femmes se confient. Sans haine ni ressentiment, elles nous content le « misérable petit tas de secrets » dont parlait Malraux ; ces vies infimes qui furent si souvent cachées ou méprisées.

À chaque héroïne, correspond une recette de cuisine.

Une jeune Lybienne, mariée sans amour à un homme « comme il faut ». Elle se retrouva chosifiée et humiliée, soumise aux lois du patriarcat. Répudiée, elle s’épanouit et se découvrit elle-même dans un amour adultère ; un homme marié qui l’aimait et la respectait. Il lui permit de reprendre ses études : « Je me suis dévouée et j’ai vécu pour lui et pour moi. Je savais que je vivais une relation réprouvée par la morale, pas bien accordée avec nos coutumes, mais en dix-neuf ans, je n’ai jamais cessé d’être une femme bien ».

La vie intime d’une mère de famille, à Zarzis en Tunisie, du premier matin – El Fajar – au coucher du soleil – El Mereb. Une vie rythmée par les tâches domestiques ainsi qu’une vie sociale qui tourne autour de l’hypocrisie et des ragots. Cette jeune femme a une seule amie Lobna : « Lorsque j’ai vu ses yeux j’ai su que ce n’étaient pas ceux d’une fouine. […] j’ai su qu’elle était comme moi, emprisonnée dans cette cage à histoires et à apparences ».

SoniaK2Tataouine, la jeune étudiante au regard sombre de la banlieue parisienne qui aspirait à la liberté. Issue de l’immigration, prisonnière des « quartiers » ; les études étaient la porte d’entrée vers le monde. Au moment où elle touchait son but du doigt, elle fut trahie par les siens.

La jeune fille du Caire, odieuse avec sa belle-mère parce qu’elle souffre, en silence, de la disparition de sa maman.

En cette fin des années soixante, elle se réfugie dans la lecture des magazines féminins et fantasme la femme occidentale. Elle sera libre. Son acte de rébellion : brûler son soutien-gorge… Problème, elle n’en a que deux ; et, le soutien-gorge brûle en dégageant une odeur épouvantable.

Son secret, elle ne sait pas cuisiner.

Des femmes empêchées, prisonnières du carcan familial ; il est difficile de lutter contre des traditions multiséculaires.

Pour les femmes des différentes diasporas méditerranéennes, émigrées de la deuxième génération, les choses ne sont pas si faciles : accéder au monde des valeurs occidentales implique de rompre avec son passé et sa culture ; c’est-à-dire rompre avec soi-même.

Le monde capitaliste chosifie ; différemment, mais tout aussi bien que le monde traditionnel. Être transformé en outil de production plutôt qu’être le rouage symbolique d’une organisation patriarcale.

Le problème des héroïnes de « La Cuisine des âmes nues » n’est pas tant La Liberté, en tant que concept, que l’assignation à résidence, les chemins tout tracés et les idées préétablies. Elles souhaitent ouvrir les fenêtres ; avant tout, elles souhaitent vivre.

La solution se trouve dans la vie intérieure, l’acceptation d’une solitude ontologique ; apprentissage de la liberté qui passe par l’écoute de soi et de son corps. Et la cuisine n’y est pas étrangère.

La cuisine est ici un rituel et une création ; une expression et don de soi. Un acte d’amour en somme.

La recette de cuisine comme texte hermétique- au sens philosophique du terme, permettant la transmutation des âmes et des corps au moyen d’un élixir de belle et longue vie.

C’est le chemin que nous indique Yezza Mehira dans « La Cuisine des âmes nues » ; le chemin vers sa vérité intérieure.

Laurent Denay

Le grand site Actualitté présente « Une autre voix » nouvelle maison d’édition de Valérie Gans

20 ans après #MeToo

Harvey Weinstein, Gérard Depardieu, Roman Polanski, Benoit Jacquot… Depuis quelques années, nombre d’acteurs, de producteurs ou de réalisateurs se trouvent accusés d’abus sexuels. Ancienne critique littéraire, notamment au Figaro Madame, publiée notamment chez JC Lattès, Valérie Gans a choisi d’évoquer ce sujet sensible à travers un percutant roman, diffusé par ses soins car refusé par de nombreuses maisons. Texte par Étienne Ruhaud

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La Question Interdite

ActuaLitté

2018. Un peu boulotte, orpheline de père, mauvaise élève, Shirin Djahavani vit seule avec Irène sa mère, masseuse, dans le centre de Paris. À quatorze ans, l’adolescente semble totalement sous la coupe d’Irène, prématurément veuve, toujours célibataire. Projetant ses fantasmes sur Shirin, Irène l’encourage ainsi à poser pour Adam Lepage, vidéaste quadragénaire marié à une psychiatre, Pauline.

Féministe, habitué des reportages-choc, Adam photographie ainsi Shirin, en compagnie de femmes, pour la mise en scène de La force du destin, opéra signé Verdi. Naguère méprisée, devenue objet de fascination pour ses camarades car supposée en couple avec un « vieux », Shirin s’épanouit, pour le grand bonheur d’Irène, qui l’habille, la maquille, afin de la rendre plus sexy.

Chaque semaine, ainsi, pimpante, surexcitée, Shirin se rend à l’atelier d’Adam, en plein Marais, et pose nue, révélant une féminité naissante, désormais assumée. Tout ne se passe pas comme prévu, toutefois : rentrée en pleurs, un soir, à l’appartement familial, Shirin confie, devant une inspectrice, avoir été violée par Adam – contrainte à effectuer une fellation.

Dès lors, tout s’effondre. Jeté en pâture sur les réseaux, conspué par la presse internationale, quitté par Pauline, Adam finit par se suicider en se jetant dans le vide, un samedi soir. Shirin, de son côté, traitée en paria par ses copines, voit ses notes dégringoler, se replie et s’éloigne définitivement d’Irène. 

Vingt ans après

2038. Les relations hommes/femmes sont devenues exécrables, chacun fuyant l’autre, ce qui sape les fondements mêmes de la société. Devenue reporter de guerre, Shirin vit désormais avec Lalla, libanaise, lesbienne, elle aussi orpheline d’un père tué lors d’un attentat. Âgée de trente-quatre ans, Shirin sillonne ainsi le monde avec cette femme, sans pour autant partager son homosexualité.

Ayant totalement rompu avec sa mère, peu épanouie, Shirin paraît rongée par le passé. Ainsi finit-elle par avouer la vérité, à travers un post Facebook. Non, Adam ne l’a jamais violée, et cette histoire fut montée de toutes pièces. Devenue à son tour, comme Adam, victime des réseaux, conspuée par certaines féministes radicales l’accusant de traîtrise, de complaisance à l’égard d’une gent masculine nécessairement prédatrice, Shirin voit, à son tour, son monde disparaître.

Indésirable, dans le milieu de la presse, Shirin est également harcelée par diverses militantes, puis lâchée par son patron, Stanley, et enfin par Lalla, elle-même éclaboussée par le scandale. Résolue à en finir par overdose médicamenteuse, Shirin est prise en charge par une clinique privée, où Irène, toujours masseuse, officie.

Elle y retrouve par hasard Pauline, et avoue tout. Amoureuse d’Adam, éconduite, manipulée par une mère abusive, omnipotente, Shirin s’est laissé manipuler, jusqu’à salir l’honneur d’un homme, et le pousser dans la fosse. Une histoire s’ébauche finalement avec Stanley, l’ancien patron. 

Une dénonciation ?

Le propos est évidemment polémique. Dénonçant la dégradation des rapports homme/femme, et la toute-puissance d’un lobby féministe dans une réalité alternative, Valérie Gans fait œuvre de subversion. Car naturellement les armes ne sont pas égales : dans le roman, Shirin est nécessairement victime d’un adulte. Les rôles sont d’emblée attribués, et aucune marge d’erreur n’est tolérée, dans la mesure où l’idéologie, et non le réel, prend le pas.

Ce même lobby est d’ailleurs capable de violence contre les femmes elles-mêmes : celles qui refuseraient de se soumettre, de haïr les hommes, de se poser en martyres sont ainsi physiquement châtiées. Lesbienne, Lalla est malgré tout harcelée puis frappée pour avoir pris la défense de Shirin, avoir appuyé sa version des faits.

Innocent condamné par cette société partiale, qui fait de tout mâle un potentiel violeur, Adam Lepage n’a même pas la possibilité de se défendre, de démontrer l’illégitimité de l’accusation. Son honneur définitivement sali, le vidéaste n’a d’autre issue que la mort. Pareillement, le monde futur imaginé par Valérie Gans a quelque chose de terrifiant.

Basculant dans l’uchronie, l’ex-critique et romancière figure une nouvelle ère, située vers 2038, et où toute forme de séduction hétérosexuelle serait bannie, ou chaque geste, chaque mot, serait soigneusement soupesé afin de ne pas choquer, de ne pas contrevenir à l’ordre imposé par de nouvelles ligues de vertu misandres.

Adieu « Big Brother », bonjour « Big Sister » ?

Il ne s’agit pas pour autant d’un essai ni d’un pur roman à thèse. Écrit dans un style à la fois sobre et limpide, La Question interdite se lit sans peine – explorant un avenir dont nul ne pourrait avoir envie.

Ayant déjà publié de nombreux récits, Valérie Gans sait ménager le suspense, construire une intrigue efficace, prenante. Passé (trop) inaperçu car publié par l’auteure elle-même, comme dit plus haut, ce petit livre éclaire le présent, peut-être l’avenir, et mériterait, à ce titre, une plus grande diffusion.

« l’éclairage sensible et puissant de la transmission » sur « Les Bergers d’Arcadie » d’André et David Grandis dans Tribune Juive

Jérôme Enez-Vriad a lu “Les Bergers d’Arcadie” d’André et David Grandis

Les Bergers d’Arcadie

Avec Les Bergers d’Arcadie, André et David Grandis signent une autobiographie à quatre mains, celle d’un père et de son fils témoignant de ce qu’est l’amour filial lorsqu’il aide à dépasser les épreuves de la vie. 

Au commencement, deux hommes. Le premier est un célèbre journaliste dont la plume à capturé la nature et les tumultes de son époque ; le second est un musicien émérite, directeur musical du Virginia Chamber Orchestra(Alexandria – Virginie) et du William & Mary Symphony Orchestra (Williamsburg – New-York). L’un et l’autre sont respectivement père et fils. Ils ont « conscience de ne plus être à la mode dans cette époque qui renie l’importance des pères, mais les lubies des idéologies du moment n’effaceront jamais les vérités biologiques et ancestrales. »* Une occasion offerte aux lecteurs de se rapprocher des intimités générationnelles unies par le sang. 

Une certaine idée de l’autobiographie

Il est légitime pour un chroniqueur littéraire de s’inscrire dans un ton légèrement décalé par rapport à celui de la lecture à propos de laquelle il s’apprête à prendre position ; aussi, ne me voyais-je pas raconter ce dont parle Les Bergers d’Arcadie par le biais d’une énième recension plus banale que les précédentes. Car ce livre n’est pas ordinaire. Tant s’en faut. J’entamerais donc mon propos par une simple question. Quoi de plus banal qu’une autobiographie ? Convenons toutefois qu’elle le sera un peu moins si elle est bicéphale… Moins encore quand elle est écrite à quatre mains… Toujours moins lorsqu’elle engage un père et son fils, dont ni l’un ni l’autre ne racontent du préfabriqué émotionnel. Au contraire ! André et David Grandis ont construit leur récit à travers le « pourquoi » et le « comment », loin du banal « quoi » des autobiographies qui se contentent d’être racontées. Ils décrivent leurs expériences intérieures plutôt que de les narrer, manière de s’installer en véritables personnages de roman dont chaque lecteur entend les voix et visualise le quotidien. On imagine certains visages, les colères et les rires, les silences aussi qui, parfois, étendent leur eau secrète et féconde. Voilà ce qu’il faut commencer par écrire à propos des Bergers d’Arcadie. Ce livre n’en est pas un. Il est avant tout un rendez-vous. Celui entre un père et son fils par l’éclairage sensible et puissant de la transmission. 

Père et fils

Il ne fait aucun doute que l’un sans l’autre, père et fils n’eussent jamais été capables d’aller au bout de ce texte tant ils ont besoin de leurs routes respectives pour l’écrire lorsque, dans un premier temps, la naissance de David s’inscrit en suite logique de l’existence d’André. « C’est donc à Limoges que je suis né, quelques mois après l’affectation de mon père dans cette rédaction de province. Puisque j’étais l’enfant de la dernière chance, puisqu’il fallait une dernière fois tenter de sauver le couple, mes parents décidèrent de s’isoler et de vivre plus lentement, au rythme de la campagne environnante, en construisant une petite maison dans un lieu-dit des environs. »

L’enfant de la dernière chance pour sauver le couple ! Les mots sont rudes, mais peut-être sont-ils également la raison qui mènera David, d’abord vers la spiritualité…  « Alors je me mis à prier : « Faites que mon père soit heureux », et cela devint une prière récurrente pendant bien des années, jusqu’à ce que je me rende compte du vide de l’univers, et dégouté que l’on ne réponde pas à la prière la plus pure et la plus désintéressée d’un enfant, que je sombre dans l’athéisme par rébellion. » … Vers la spiritualité, donc, puis vers la musique comme une forme de prolongement en contrepied… « Et la musique devint intimement liée à la spiritualité pour tout le reste de ma vie. Subitement, le petit garçon que j’étais eut la foi et se mit à prier. Prier pour qui ? Pour moi ? Bien sûr que non, je ne manquais de rien, non, plutôt pour mon père. Il était seul, il n’était pas heureux (…) ».

Au-delà des océans 

À travers leur récit, André et David font de leur cas personnel un témoignage qui interroge plus largement la relation qu’entretient chaque fils avec son père. Par là-même, découvre-t-on quelques-unes des plus lumineuses facettes déployées vers les paradis perdus de l’enfance. Mais pas seulement. Il est aussi question de voyages : Berlin-Ouest en 1966 [passionnant !]… La Pologne de Jaruzelski en 1985… Puis la Thaïlande de 1990… Suivie par le Vietnam deux ans plus tard… André voyage aux quatre coins du monde, là où David choisit la musique et le conservatoire de la Villa Paradiso (Nice) pour s’évader avant de s’envoler Au-delà de l’océan – titre du chapitre XIII… « Cette première séparation fut difficile pour lui et il me manquait beaucoup, mais j’étais ravi de continuer mes études dans ce lointain pays. C’était une expérience et une chance remarquables ; j’avais eu l’impression d’étouffer dans ma bonne ville de Nice où plus aucune évolution ne m’était possible. »

Puis la fin. Tel un autre océan à découvrir, et dont les courants, flux et ressacs ressemblent à du Rachmaninov que l’on écoute à une vitesse à la fois insupportable de lenteur et stupéfiante de rapidité… « Ces moments de joie furent hélas de courte durée. Nous découvrions au printemps 2016 que mon père était sans doute atteint de la maladie d’Alzheimer, ce qui se révéla être inexact, mais la réalité était encore bien pire, puisqu’il s’agissait de la maladie à corps de Lewy qui réunit les symptômes d’Alzheimer à ceux de Parkinson. J’ai bien cru avoir pleuré toutes les larmes de mon corps lorsque j’appris cette triste nouvelle, mais tout ceci n’était qu’un prélude. » 

Alors ! Faut-il lire Les Bergers d’Arcadie ? Oui. Parce que chacun y apprendra comment ne plus gaspiller son temps… « Arrêtons-nous tout de suite ici au bord de mer pour nous assoir sur un banc, côte-à-côte, et profiter l’un de l’autre en regardant [l’océan]. » Voilà bien l’essentiel de la vie ! Apprendre à gagner du temps sur celui qui défile de plus en plus vite au fur et à mesure qu’il passe. 

* Les passages en italique sont extraits du livre.

Les Bergers d’Arcadie 

Un livre d’André et David Grandis

Éditions La Route de la Soie – 405 pages, 27 euros

Jérôme Enez-Vriad

© Juin 2024 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing

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Jérôme Enez-Vriad. Photo Matthieu Camile Colin

« Un cheminement de thriller passionnant » pour « Un drôle de goût ! » d’Alain Schmoll

Alain Schmoll, Un drôle de goût !

L’auteur reprend les personnages de La tentation de la vague, paru en 2020, pour distiller un nouveau thriller financier à la manière de Sulitzer (et de ses nègres) jadis. C’est plutôt réussi, avec les mêmes défauts que dans le roman précédent : un début poussif, trop long, qui s’étale sur la vie privée passée sans enclencher l’action. La « préface » (datée de « mai 2029 »!) d’un faux rédacteur qui aurait connu les personnages est inutile et alourdit l’intrigue, d’autant qu’elle n’ajoute rien. Mais, une fois parti et passé le premier quart, c’est passionnant.

Werner Jonquart est fils de famille entrepreneur, patron depuis sept ans d’une multinationale familiale suisse du fromage de bonne réputation. Il sait déléguer et il finit par s’ennuyer. Alors, pourquoi ne pas vendre ses parts ? Il en possède assez peu, conservées dans une holding de tête qui elle-même possède des participations qui… au total une fraction du capital, mais suffisant pour assurer la direction.

Une fois cette idée instillée en lui, il est approché par deux groupes, l’un américain et l’autre chinois. Tous deux sont des fauves redoutables du capitalisme. Le premier en égocentré libertarien qui n’hésite pas à user de tous les moyens pour parvenir à ses fins, y compris les alliances troubles avec les mouvements extrémistes de droite trumpiste et les cartels colombiens. Le second en mandataire de l’Etat-parti chinois qui a le temps et les moyens pour lui et qui n’hésite pas à manipuler les banquiers des Triades qui font du trafic en tous genres ; des malversations tolérées par le régime s’il affaiblit l’Occident.

Werner a la fatuité de vouloir lui-même fixer les règles du jeu : une date et heure précise pour les offres ultimes, la possibilité de refuser, le cautionnement de 90 % du prix proposé à l’achat qui sera ferme et définitif une fois l’offre acceptée, le tout scruté et bardé par une bataillon d’avocats. Comme si les requins de la finance allaient obéir à des règles…

D’ailleurs, un drôle de goût survient dans certains fromages du groupe, pas partout et pas tout le temps. C’est un hacking habile qui a introduit un cheval de Troie dans le système informatique régissant les dosages. Le pentester (je ne connaissais pas ce métier neuf !) mandaté pour trouver les failles est curieusement retrouvé mort peu après s’être vanté de pouvoir remonter à la source ; il aurait succombé à une overdose dans sa baignoire, lui qui ne prenait aucune drogue… Cette déstabilisation ne serait-elle pas opérée pour faire baisser les cours de bourse et disposer d’un moyen de pression sur le « deal » ?

Comme la pression ne fonctionne pas, objectif sa vie privée. Werner est un homme à femmes depuis tout petit, mais l’homme d’une seule femme depuis son adolescence attardée lorsqu’il fut gauchiste à Cuba. Julia est son alter ego, avocate vouée aux causes libératrices, des femmes battues aux écolos anti-pollution. Elle est restée idéaliste, lui devenu réaliste. Ils se voient, se quittent se remettent, s’ennuient et se séparent, se regrettent et se remettent : drôle de goûts… Julia est mère d’une petite fille qu’elle a eu avec un avocat de Bordeaux, duquel elle s’est séparée, et qui a refait sa vie avec une autre en lui enfournant quatre enfants, elle qui en avait déjà deux. L’auteur s’amuse.

Mais Julia fréquente à Paris des gauchistes attardés de plus en plus radicaux depuis qu’ils voient que ça ne marche pas et que la jeunesse se détourne de leurs idéaux utopistes et irréalisables. De quoi être prêts au terrorisme de type Brigade rouge ou Action directe. De dangereux « insoumis » qui provoquent et paradent, agitateurs professionnels pour bouter le chaos dans la politique, l’économie, la société. Bizarrement, pour un auteur très au fait de l’actualité, la connexion islamiste n’apparaît jamais dans ces dérives sectaires à la Mélenchon, pourtant elles existent dans les mentalités. Reste que le gauchisme activiste est aussi un ennemi pour Werner, outre l’extrême-droite affairiste yankee et les Triades du parti communiste chinois.

De quoi s’en inquiéter, d’autant que l’affaire traîne à se faire. D’ailleurs, une question se pose : pourquoi diable un conglomérat américain et une entreprise chinoise veulent-ils à tout prix acheter une entreprise familiale suisse de fromages ? Certes, elle est installée à Genève, certes, elle a une excellente réputation auprès des banques, certes, elle est à proximité des Ports-francs et Entrepôts de Genève, zone peu réglementée qui abrite très souvent des œuvres d’art stockées comme en banque en dépôt sous douane illimité – parfois volées ou pillées. Est-ce la raison ? Mais la Fromagerie Jonquart ne loue aucun entrepôt dans les Ports-francs.

L’Américain mandate un commando de Colombiens pour zigouiller les Chinois, lesquels tentent d’enlever au GhB en plein Paris une Julia trop confiante. L’affaire se corse, si l’on ose dire. Werner va tout d’abord se rapprocher dune amie d’enfance devenue major à Interpol, puis, comme les enquêtes sont lentes et les menaces de plus en plus précises, il va devoir actionner ses petites cellules grises pour trouver une parade. Il s’agit de sauver sa vie, celle de sa compagne et de leur fille (il a adopté celle de Julia, dont son père biologique se désintéresse), et celle de son entreprise.

Il va trouver… et c’est plutôt original même si l’on se dit (mais après coup) que « bon sang, mais c’est bien sûr ! » Je ne vous en dis rien, ce serait ôter le suspense, même si c’est le cheminement du thriller qui passionne plutôt que la fin.

Alain Schmoll, Un drôle de goût !, 2024, éditions CIGAS SAS, 333 pages, €13,90, e-book Kindle €4,49 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Les romans d’Alain Schmoll déjà chroniqués sur ce blog