Catégorie : ACTU Léo Koesten
« Le Jour où… » de Léo Koesten par Cendrine Genty sur Vivre FM
Léo qui jamais, au grand jamais, n’imaginait enfant qu’il pourrait devenir un jour auteur, scénariste, écrivain. Lui qui cumulait les mauvaises notes en rédaction malgré son immense passion pour l’écriture. Lui qui n’intéressait pas spécialement ses parents, plus concentré sur son frère. Lui qui pourtant, un jour, a vu le signe d’un espoir grâce à une note enfin moins mauvais que les autres. Une simple note qui a changé toutes ses perspectives. Ce jour là, Léo a choisi de « croire en son écriture ». De la travailler. Et de persévérer.
Ce qu’il a fait, envers et contre tout. Travaillant en parallèle comme professeur d’allemand pour subvenir aux besoins de sa famille aux côtés de sa femme, elle-même professeur de sport.
Léo qui est parvenu au fil du temps à transformer, contrat d’écriture après contrat d’écriture, son destin. Lui dont la vue n’avait en parallèle de cesse de se dégrader depuis l’âge de six ans, âge auquel le diagnostic d’une myopie évolutive lui a été donné.
Devenu non voyant depuis de nombreuse années, l’auteur et professeur passionné qui n’a jamais cessé de chercher comment poursuivre ses multiples activités professionnelles, alors même qu’il perdait la vue. Et de se construire les outils pour y parvenir avec coeur et détermination.
Cette émission « Le jour où… » avec Léo Koesten nous plonge dans ces tournants décisifs de nos vies, de ceux qui tissent un un véritable panorama d’émotions, de challenges et de beautés. De rires. De joies. Par-delà les difficultés
Entretien avec Léo Koesten : une passion pour la musique et la littérature
Entretien avec Léo Koesten : une passion pour la musique et la littérature
De nombreuses personnes se contentent d’exister. L’écrivain que j’ai rencontré à Paris, Léo Koesten, est lui, vivant, et très vivant, alors même qu’il est aveugle.
Par Marc Alpozzo, philosophe et essayiste
À croire que son handicap lui donne une énergie débordante, faite d’attention et d’affection pour sa famille, habitée de passions comme la musique, la littérature, mais aussi son chien, avec lequel il vit une histoire d’amour (ou presque). Malvoyant, mais doté d’une énergie décuplée pour aider les autres. Il est devenu patient-partenaire à l’Hôpital des 15-20. Et sa bataille se mène sur tous les fronts : son œuvre d’écrivain s’agrandit considérablement. La preuve : son dernier roman Le Manoir de Kerbroc’h (Éditions Baudelaire, 2023) met en évidence les évolutions sociétales, et sonne comme très actuel.
Marc Alpozzo : Vous avez publié cette année un roman, Le Manoir de Kerbroc’h, aux Éditions Baudelaire. C’est un roman d’une grande richesse, qui n’a rien de monolithique. Mais c’est aussi un roman de construction et de style littéraire classiques, dans les règles des grands maîtres. On y trouve des accents féministes, soulignant les violences faites aux femmes. Vous considérez-vous comme féministe ? Où avez-vous puisé l’inspiration de vos personnages ?
Léo Koesten : Je construis mes personnages au fil des rencontres, au fil de tout ce que j’ai intériorisé sans même m’en rendre compte. Il suffit alors d’une phrase prononcée par une voisine, un interlocuteur d’un instant, pour que l’envie d’écrire se déclenche. Parfois, aussi, et là je parle du théâtre ou des fictions radiophoniques pour « France Inter », il peut s’agir d’une commande précise. Pour en venir à mon dernier roman, le second, l’écriture a débuté lorsqu’une amie a frappé à ma porte en me disant, désespérée : « Léo, j’ai besoin d’un remontant, une coupe de champagne, par exemple. Mes ados m’exaspèrent. Je n’en peux plus. Je vais creuser un trou dans mon jardin et les y enterrer ! J’ai ri et le désir d’écrire m’a saisi. Ensuite, le personnage, en l’occurrence, cette amie, a évolué. Il m’a entraîné, sans que je le veuille vraiment, dans sa vie propre. Mon héroïne, Eloïse, a pris son essor, pour décider, d’elle-même, ce qui était bien pour elle. D’autant qu’elle dépendait financièrement de son mari, lequel s’est avéré être violent. Je ne supporte pas la violence faite aux femmes, aux Hommes.
La question que je me pose, c’est celle de votre cause des femmes. De laquelle parlez-vous ? Celle des féministes historiques, si j’ose dire, ou plutôt celle de ces dernières années avec la naissance de certains courants militants comme les Femen et la parole libérée par le mouvement #MeToo ? Est-ce que ce nouveau féminisme vous a fait prendre conscience des écueils et dysfonctionnements sociétaux d’aujourd’hui suite à l’évolution des thèses féministes, à l’intersection de la cause des femmes et de la cause du genre ?
Je n’ai pas eu besoin de la naissance de ces mouvements féministes pour m’apercevoir que la cause des femmes méritait d’évoluer : la différence entre les salaires des hommes et des femmes, celles-ci qui, ne travaillant pas, attendent de leur mari qu’il leur donne de l’argent, le droit de vote accordé si tardivement en France aux femmes, etc., font que nous aurions tous dû devenir depuis longtemps féministes. Sans les excès des mouvements que vous avez cités dans votre question.
Le philosophe Luc Ferry a écrit que c’était le mariage d’amour qui avait inventé le divorce : effectivement avant les couples se mariaient pour réunir des champs, pour souder un patrimoine, avec comme ciment l’unique aspect financier, etc. Georges Brassens a écrit sur les femmes mariées, qu’il ne voyait pas si différentes des prostituées, puisque l’aspect matériel les obligeait à garder le même mari. C’est également le cas de votre héroïne au début du roman. Pouvez-vous nous raconter le déclic qui la pousse à s’émanciper ?
Le déclic : un long « avant précède » souvent la révolte d’une femme. La goutte d’eau qui fait déborder le vase. L’impossibilité de supporter davantage l’insupportable. Le déclic ? Un coup de poing que Foucault, son mari, lui assène un « beau » jour. Cet acte de violence inouï, inacceptable, a fait prendre conscience à Eloïse qu’elle devait exister par elle-même.
Que pensez-vous de l’époque actuelle, quand elle déboulonne les PPDA, Polanski, Depardieu et consorts pour leurs comportements jadis qualifiés de « séducteurs », et désormais rebaptisés « prédateurs » ? Qu’est-ce que cela dit de nous aujourd’hui ?
Quel merveilleux « prédateur » que Don Giovanni ! Ces hommes qui aimaient trop les femmes. Ces femmes qui aimaient trop les hommes. Des « prédateurs », des séducteurs trop insistants, qui, je parle des noms que vous avez cités, ont du talent. Le talent, je le garde. Le non-consentement d’une femme, ces hommes de pouvoir doivent le respecter et ne pas abuser de leur position dominante.
Certaines féministes du troisième millénaire évoquent « l’emprise » pour expliquer qu’elles ont accepté l’inacceptable de leur conjoint, voir un rapport sexuel d’une célébrité qui les subjuguait. Que pensez-vous de ce terme d’« emprise » que la philosophe Sabine Prokhoris dénigre ? Comment le définissez-vous ? Par exemple, est-ce que Roméo n’est pas sous l’emprise de Juliette dans la pièce de Shakespeare ? Comment distinguez-vous l’amour de l’emprise ? Ne diriez-vous pas que la différence est subtile ?
Et Juliette, n’était-elle pas sous l’emprise de Roméo ? Ils s’aimaient donc. Mais, encore une fois, abuser d’une femme parce que l’on a une position dominante, est un signe de faiblesse. La faiblesse du dominant face à la faiblesse de celle qui attend une récompense. Les dés sont pipés. La maîtrise de soi est un gage d’honnêteté. Les rapports sexuels doivent toujours être consentis.
Faites-vous une distinction entre l’égalité et l’équité des sexes ? Pensez-vous que les débats actuels autour de la question de la transsexualité font avancer ou reculer la cause des femmes ? (Je fais par exemple référence à la présence de femmes trans (c’est-à-dire « assignées hommes ») dans les compétitions sportives, etc.)
Je ne fais pas de différences entre les sexes. Chacun doit vivre sa sexualité comme il ou elle le peut. A partir de ce constat, chacun reste citoyen de ce monde à part entière. Des lieux communs. Comment aurais-je réagi si l’un de mes enfants m’avait « avoué » sa sexualité différente ? Dans un premier temps, je pense que j’aurais eu un temps d’arrêt. Puis, l’amour prenant le dessus, j’aurais pensé que cet enfant aurait une vie bien difficile en assumant sa sexualité. Le monde est si peu tolérant.
L’un des détails qui rendent votre livre si savoureux c’est le travail autour de la langue. Ne seriez-vous pas un disciple de Louis-Ferdinand Céline, qui voulait créer sa « petite musique » ? Vous osez des expressions peu académiques qui rendent le récit bouleversant d’incarnation et de vie.
Quelle belle comparaison ! J’avais fait, en son temps, une fiction sur Louis-Ferdinand Céline pour « France Inter ». Pour cela, j’avais lu beaucoup de ses livres. Dont le magnifique Voyage au bout de la nuit. Mais aussi l’horrible Bagatelles pour un massacre. L’horreur de ce pamphlet ne m’a pas masqué les très riches inventions de son écriture. Et oui, Céline m’a permis de me libérer et d’écrire ce que je ressens avec les mots d’hier et d’aujourd’hui. Lorsque j’écris une pièce de théâtre consacrée à une femme qui a vécu au 17e siècle, en l’espèce Julie Maupin, duelliste et chanteuse d’opéra, mon style tente de se rapprocher de la langue que parlait cette femme. Je me suis appuyé pour ce faire sur des documents où j’ai retrouvé des phrases que des témoins de sa vie, avaient consignées dans leurs lettres ou leurs livres. Je m’adapte donc au contexte.
Depuis que vous êtes malvoyant, je suppose que vos autres sens se sont aiguisés, en particulier votre ouïe, n’est-ce pas ? Vous êtes aussi mécène à l’Opéra royal de Versailles. Pensez-vous que la musique pénètre davantage votre cœur et votre esprit du fait qu’elle est seule, sans les images de ceux qui la jouent, pour vous ? Est-il loufoque d’imaginer que perdre la vue a été un cadeau de la vie car un univers infini s’est ouvert à vous dans le noir, il porte les couleurs de l’amour ? La beauté est-elle encore plus bouleversante quand on l’imagine que quand on la voit ?
Vaste question… qui mériterait un roman ! J’ai toujours aimé la musique. Jeune, j’ai joué du violon. Vieux, j’aurais souhaité jouer du piano comme Glenn Gould. Et comme lui, je pense que j’aurais chantonné tout en exécutant une sonate de Bach. Avec la vue qui décline, la musique m’emplit encore davantage, d’autant que je ne puis m’appuyer sur la mise en scène, lorsque je vais au spectacle. Pour moi, rien de mieux qu’une version de concert. Si je suis mécène à l’opéra royal, c’est pour soutenir la musique, surtout baroque, au château de Versailles. Une institution qui ne reçoit aucune subvention. Maintenant la beauté… Comment l’imaginer ? À travers la voix ? L’odeur ? Mettons que je suis privé du coup de foudre !
Vous avez eu mille vies, mais ce qui me frappe chez vous, c’est la lumière éclairant votre visage, l’étonnant éclat de votre regard, alors qu’on le pressent à constater l’existence d’un chien à vos côtés. Vous êtes malvoyant. J’aimerais vous interroger à ce propos : vous considérez-vous comme un exemple de résilience ?
En aucun cas. Ma presque cécité est un « non-événement ». J’ai toujours eu une longueur d’avance sur le handicap. Une longueur d’avance pour pallier l’absence de vision et m’équiper du matériel qui me permettra et de lire et d’écrire. L’autonomie chez moi. N’oublions pas mon merveilleux chien-guide, Phoenix, qui lui, me rend autonome à l’extérieur.
Diriez-vous que la technologie est aussi précieuse pour vous aider à vivre normalement que le soutien de votre chien Phoenix ? Si demain la technologie vous rendait la vue, l’accepteriez-vous ?
La technologie est mon alliée : l’ordinateur qui parle, comme mon mobile, mon stylo muni d’un OCR, stylo que je braque sur un menu, une lettre, l’écran de l’ordinateur et qui lit tout, absolument tout… même les rappels des impôts ! Alors oui, si vous pouviez me donner de nouvelles rétines, je les accepterais bien volontiers, ce qui, il faut le noter, ne serait pas le cas des personnes totalement aveugles, qui elles, se sont construites avec la cécité. J’avais publié chez L’Harmattan un ouvrage intitulé « Aveugle ? Et alors ! Témoignages ». La totalité des aveugles que j’avais interviewés, n’auraient pas souhaité recouvrer la vue, si un tel miracle avait été possible.
Rien n’a été banal dans votre parcours, puisque j’ai appris que vous étiez un auteur best-seller en Allemagne. Pourriez-vous nous expliquer comment ce miracle a pu se réaliser ?
J’ai toujours aimé les médias. Déjà en tant qu’étudiant germaniste, j’ai décroché un stage à la télévision allemande de Cologne. De fil en aiguille, je suis parvenu à écrire des scénarios qui ont été produits. Avec la « notoriété », une maison d’édition scolaire m’a demandé si je souhaitais participer à la rédaction de manuels d’apprentissage du français pour les lycéens allemands. J’ai accepté et il s’est trouvé que « Klett », ma maison d’édition à Stuttgart, a inondé tous les lycées avec ces livres.
Vous êtes bilingue français-allemand. Avant votre cécité, dont j’aimerais que vous nous racontiez l’origine, lisiez-vous avec autant de plaisir des livres directement en allemand ? Les Allemands, comme les Français sont célèbres pour leurs grands philosophes, et leurs grands écrivains. Nous avons eu (entre autres) Descartes et Bergson. Ils ont eu (entre autres) Kant et Hegel. Ils ont eu Goethe et Hölderlin. Pensez-vous que la construction syntaxique de la langue germanique, permet une élaboration plus aisée de la pensée philosophique ?
Encore une vaste question ! J’ai toujours aimé lire, hier des livres « papier », aujourd’hui des ouvrages que j’entends, soit avec des donneurs de voix, soit avec des voix de synthèse. J’ai une petite machine à lire, pas plus grosse qu’un téléphone, machine sur laquelle je stocke des dizaines d’ouvrages. J’en viens à mes études d’allemand à l’université de Paris X. J’ai adoré les cours de thème, l’histoire des idées au 19e siècle, l’évolution de la langue allemande depuis le moyen âge. La structure de la langue, si logique pour moi, me plaît. Les œuvres de Musil ou de Thomas Mann où il faut chercher le verbe à la fin d’une subordonnée… parfois en fin de page, m’escagassent l’esprit ! Cette logique, celle du raisonnement philosophique, est réellement germanique. À condition d’en comprendre les subtilités, notamment lorsqu’il est question du « Übermensch », si cher à Nietzche.
Un dernier mot sur votre expérience de « patient partenaire » : pouvez-vous nous dévoiler comment se passent vos premières actions depuis que vous avez fait la formation ?
Pour l’heure, j’ai participé à une réunion du service du glaucome à l’hôpital des « Quinze-Vingts ». L’ensemble du personnel y participait. J’ai constaté que malgré les difficultés d’organisation, tous faisaient pour le mieux pour le bien des patients. Quant au chef de service, il a salué ma présence. Il pense qu’elle sera très utile pour aider les patients à qui le médecin annonce une mauvaise nouvelle. Je m’y connais mieux que les ophtalmologistes sur ce que l’on peut faire lorsqu’on perd la vue. Après la vue, la vie, non ? Ce n’est que mi-octobre que j’interviendrai directement auprès des patients… Des anecdotes à livrer dans un prochain roman ?
Quels sont vos prochains projets ?
1. Je viens d’envoyer à L’Harmattan, le manuscrit de ma dernière pièce de théâtre, Les triomphes de Mademoiselle Maupin. Sera-t-il publié ? Joué ? 2. j’ai entamé l’écriture d’un 3e roman. 3. L’idée d’une série pour YouTube. 4. L’imprévu passionnant, à saisir à bras le corps, ce que d’aucuns appelleraient la Providence !
Propos recueillis par Marc Alpozzo
Une critiqie sociale moderne de la famille (sur « Le Manoir de Kerbroc’h » de Léo Koesten dans La Cause littéraire
Le manoir de Kerbroc’h, Léo Koesten (par Jean-Jacques Bretou)
Le manoir de Kerbroc’h, Léo Koesten, Éditions Baudelaire, février 2023, 243 pages, 19 €
La famille de Kerambrun pourrait être une famille comme les autres à cela près que, sans faire d’analyse sociologique poussée, on peut dire qu’elle appartient à la bourgeoisie radicale. Le père Foucault de Kerambrun, ingénieur polytechnicien, fils d’un autre Foucault de Kerambrun aussi polytechnicien comme le furent ses aïeux (Foucault et ingénieur), fait vivre sa famille grâce à ses seules ressources. Son épouse, Éloïse, est femme au foyer, et leurs deux enfants Margaux et Théodore suivent le cursus scolaire habituel d’enfants pubères de leur âge. Ils habitent Versailles et sont de confession catholique. On pressent pour le fils une carrière identique à celle du père. Les grands-parents Foucault et Lucille possèdent un manoir en Bretagne où la famille qui se voit déjà tous les dimanches en cours d’année se rend pour une partie des vacances. Enfin, n’oublions pas les Kerambrun ont défilé contre « le mariage pour tous ».
Tout irait pour le mieux si l’adolescence de l’aînée Margaux et de son cadet Théodore, dont la voix est en train de muer, ne venait se manifester sous forme de chamailleries où le ton de la voix monte et laisse entendre ce qui était caché. Un beau jour ce que l’on retenait jusque-là se moque des frontières de la bienséance et vient éclater au sein du noyaux familial. On le devine dans cette famille en apparence bien comme il faut, les cartes vont être rebattues.
Ce livre appartient à un genre prisé par les lecteurs : la saga, lorsqu’il s’étend sur plusieurs générations ou le « roman familial » lorsque la période analysée est plus courte. Compte tenu de la modeste densité de l’ouvrage nous parlerons de roman. Les portraits de chacun des personnages et leur évolution constituent en eux-mêmes l’une des parties attrayantes de cette œuvre de fiction. Les comparaisons avec des personnages existant, connus ou inconnus, font partie du jeu et consciemment ou inconsciemment on tente de percer la suite du livre en fonction de ces évolutions, ce qui nous rend « accro » à la lecture.
Malgré quelques imperfections, Léo Koesten nous a fait le portrait d’une galerie d’acteurs gentils et méchants qui renversent une histoire de famille banale pour en faire une critique sociale moderne où chacun va trouver le vrai rôle que la vie lui avait attribué.
Une analyse claire, sans concession de la cellule familiale où chacun à son niveau, en modifiant plus où moins le bâti ou en prenant des exemples opposés, pourrait se reconnaître. Un ouvrage à l’écriture fluide à la portée de tous. Un bon livre qui ne laisse pas sans réflexions.
Jean-Jacques Bretou
Léo Koesten, professeur agrégé d’allemand, auteur et scénariste, a écrit une centaine de pièces pour la radio allemande et une trentaine pour les séries « Au Fil de l’histoire » et « Nuits Noires » de France-Inter. Deux des documentaires qu’il a réalisés pour la télévision allemande ont été primés dans le cadre du Prix franco-allemand du journalisme, le premier consacré au peintre Max Ernst, le second au compositeur Olivier Messiaen. Par ailleurs, il a été coauteur de nombreux manuels d’apprentissage de français destinés aux lycéens allemands.
Dans Souffle inédit, « une écriture qui se donne ‘’pour de vrai’’ » (sur le roman de Léo Koesten)
Léo Koesten – Le manoir de Kerbroc’h
Par Margaux Catalayoud
Les éditions Baudelaire publient Le manoir de Kerbroc’h d’un habitué des ondes, Léo Koesten. L’écrivain livre toute son expérience des grandes aventures narrées sur France Inter dans « Affaires sensibles » et « Autant en emporte pour l’Histoire » dont il fut, entre autres choses, scénariste, puisque le roman en question annonce bien des mystères que les personnages principaux s’attacheront à élucider.
L’émancipation féminine
Le manoir de Kerbroc’h donne à lire l’histoire d’une famille versaillaise dont la mère ne supporte plus le carcan bourgeois imposé par son mari polytechnicien et sa belle-famille patriarchale. Rien ne manque, ni patrimoine immobilier – le manoir en Bretagne -, ni l’anthroponymie caractéristique – le patronyme « de Kerambrun ».
La mère de famille, Eloïse, s’ennuie en tant que mère au foyer et veut sortir du rôle que le Bottin Mondain veut bien lui donner. Elle deviendra enseignante, et pour les élèves défavorisés (en capitaux financier et culturel) ! D’aucun dira « c’est encore l’œuvre de la générosité enseignée par le dogme catholique ». Qu’importe ! ici, l’héroïne est une femme qui agit contre son mari, pour elle. L’on appréciera d’ailleurs le clin d’œil féministe de l’auteur qui emploie la forme inclusive « professeure ».
Néanmoins, l’élaboration des personnages et leur cheminement ne sont pas écrits selon leur pensée politique, l’auteur ne versant pas, de toutes les manières, dans l’idéologie ; les êtres sont incarnés et réagissent aux situations de façon tout à fait singulière à l’instar de leur caractère. Ainsi, les hommes ne sont pas caricaturaux mais révèlent toutes les nuances d’une tendance, d’une génération, d’une évolution. La dichotomie entre homme et femme n’est pas de ce monde, ou pas du livre tout du moins : l’amitié entre Eloïse et un instituteur à la retraite, jouant le rôle de confident, en témoigne. Ce dernier, à force d’une écoute toujours attentive, lui conseille à demi-mot – parce qu’en vérité, le choix est fait – de prendre la voie de l’adultère.
Les vertus de la détermination, de la confiance et de l’amour sont au cœur du roman qui réussit à faire montre d’une aventure au féminin, sans renier le quotidien de celle-ci – car il s’appuie sur la réalité et donne en pâture les accidents d’une vie de famille. L’évocation de la violence conjugale ne connaît aucun dramatisme par exemple, on y reconnaît même la banalité de pareille situation, minimisation et remords traditionnels : « Je reviens du commissariat, explique Éloïse au conseiller conjugal. J’ai porté plainte. Enfin, c’est lui qui voulait le faire parce que je lui avais donné…un coup de poing. Je le regrette, mais il m’avait giflée. Alors je me suis défendue. » Cette rébellion est un des nombreux signes qui font rupture avec la docile Eloïse d’antan qui s’engage dans un processus d’individuation.
Réalisme 2.0
De facto, la quête féminine s’enracine dans un récit irrigué par l’intérêt pour le fait social et l’expérimentation au sens où l’entendait Zola. Des questions séculaires telle que la place dans la société accordée en fonction du statut, ou actuelles telle que la pédophilie dans l’Église sont disséminées tout au long de la lecture, laquelle gagne en amplitude à force des multiplications de points d’accroche. Par ailleurs, la plume de Koesten ne manque guère d’amplitude non plus, elle emprunte au style oralisé un dynamisme qui sied parfaitement au désir de vivre dont est empreinte l’héroïne. Il y a fort à parier que le recours aux dialogues émerge depuis une injonction esthétique évidemment guidée par l’éthique du propos véhiculé. Autrement dit, au vu des sujets sur lesquels porte le livre, l’enjeu littéraire demeure dans le mimétisme de l’écriture : le lecteur rencontrera les tendres traits d’humour, relevant du comique de situation voire du burlesque, déguisés par l’usage d’expressions du ‘’parler jeune’’ – s’il existe – qui côtoient l’élégance du passé simple comme « Elle eut la furieuse envie de lui tirer la langue. Le fit-elle ? Personne ne s’en souvint, tant les événements se précipitèrent, intenses de chez intense. » Le narrateur omniscient intériorise le vocabulaire de personnages secondaires, même lui est mouvant ! Un mot d’ordre préside effectivement l’aventure qui se joue au Manoir, il s’agit de la mouvance d’esprit.
En résumé, Le manoir de Kerbroc’h maintient une certaine exigence éthique largement dominée par un féminisme, peut-être old school, en vertu d’une écriture qui se donne ‘’pour de vrai’’.
« Le Dit des mots » a bien lu Léo Koesten
Secrets de famille
Roman
Signé Léo Koesten, Le Manoir de Kerbroc’h (*) plonge le lecteur dans une famille sous tension où, derrière les apparences et des comportements bourgeois, le vernis craque…
Les secrets de famille ne durent pas éternellement et quand les vérités éclatent, l’onde de choc peut provoquer bien des dégâts, ouvrir de vieilles blessures. Dans le clan des de Kerambrun, famille bourgeoise de Versailles au cœur de Le Manoir de Kerbroc’h , les apparences sont sauves jusqu’au jour où… Éloise de Kerambrun souffre de la violence de son mari et de la rébellion de ses deux ados. Que faire pour s’en sortir, alors qu’elle reste financièrement dépendante de Foucault, son époux ? À force de ruminer, la jeune femme décide de devenir professeure des écoles, tout en sachant que ce salaire ne la fera pas vivre. Les premiers temps, Éloise reste fidèle à son mari pour lequel elle a encore des sentiments. Mais les violences s’accentuant, elle finit par aller porter plainte au commissariat. La jeune femme décide alors de prendre sa vie en main… Et le manoir de Kerbroc’h, dans tout ça ? Cette belle et sombre propriété bretonne appartient aux beaux-parents d’Éloise, qui sont particulièrement hostiles à leur belle-fille. À leurs yeux, personne n’est assez bien pour leur fils parfait. Que cache le manoir ? Quels secrets y sont enfouis ?
Il y a une atmosphère à la Hervé Bazin dans la première partie de ce roman de Léo Koesten, ancien professeur d’allemand et auteur d’une quarantaine de fictions pour France Inter, notamment pour les séries Affaires sensibles. De fait, chez les Kerambrun, partisan de la manif pour tous, défenseur d’une morale rigoriste, avec un grand-père qui tyrannise sa femme et méprise se belle fille, les repas de famille ne sont pas de tout repos. Surtout quand Foucault ne sait réagir que par la violence aux désirs de liberté de son épouse. « Foucault s’approcha du canapé. Menaçant, il arracha la couverture et s’en servit comme d’un fouet » écrit l’auteur.
Bretagne actuelle célèbre « Le Manoir de Kerbroc’h » de Léo Koesten
Bretagne actuelle célèbre « Le Manoir de Kerbroc’h » de Léo Koesten
Le manoir de Kerbroc’h, un roman de Léo Koesten Note : 3 sur 5
Le plus difficile à l’évocation d’un livre est de ne rien dévoiler de son intrigue tout en motivant les éventuels lecteurs à la découvrir. Le manoir de Kerbroc’h est un roman d’ambiance et d’atmosphères autour de personnages environnés de moult secrets domestiques. La passion tournoie au souffle du vent breton en dissipant les brumes conjugales avant qu’elles ne s’agglutinent un peu plus loin.
L’art de savoir dire les choses
Ce texte, élégamment écrit, offre l’originalité d’une vision contemporaine de la Bretagne à travers la vie complexe d’Éloïse de Kerambrun, femme amoureuse perdue dans la naïveté des sentiments, qu’explore le narrateur comme un regard neuf et pénétrant sur le monde. Évidence discrète et spontanée de ce que peut-être une vie… Le lecteur est confronté à la verve… Au brillant… Mais aussi à certaines allégresses de style nourries par la puissance évocatrice du dessein général… Léo Koesten écrit comme l’on raconte, ou plutôt comme l’on écoute un feuilleton radiophonique : il a l’art de savoir dire les choses avec la fluidité d’un style de belle coulée ; d’autant que l’histoire évite le pire des affaires de famille : ici, le sentiment ne tourne jamais au sentimentalisme.
Le manoir de Kerbroc’h ne dissimule aucune vérité des vicissitudes conjugales. Elles nous concernent tous et nous frappent au cœur. Violemment. Passionnément. Tout à coup l’on s’interroge de savoir qui est vraiment celui que l’on aime et dans les yeux duquel on croit lire la bonté, l’amitié, l’amour. D’étranges intuitions nous font douter de ce mariage dont les preuves attestent qu’il s’étiole de jour en jour. Le suspens s’installe. Il prend forme au sein du manoir, belle et sombre demeure bretonne appartenant aux beaux-parents d’Éloïse, hostiles à leur bru ; Leo Koesten propose une intrigue étonnante à la mesure de son sujet. On le connaissait pour ses documentaires historiques, il atteint ici la plénitude d’une écriture simple mais efficace.
L’humeur de l’âme bretonne
Pour comprendre les évocations de l’auteur, il faut avant tout envisager la mystérieuse âme bretonne. Difficile de faire tenir dans des formules rigides un phénomène aussi subtile, aussi complexe que l’esprit d’un peuple. Pour autant, il existe une spécificité bretonne, non seulement en hérédité de la Bretagne bretonnante d’hier, mais aussi et surtout à travers la grande originalité des Bretons : ils ont la psychologie des solitaires, des isolés, trop longtemps replier sur eux-mêmes. L’âme bretonne est au reste en lutte constante avec une nature et des éléments âpres, en particulier la mer et le vent qui, patronnesse pour l’une et rude pour le second, font triompher la légendaire ténacité péninsulaire. Sans oublier le climat : capricieux. Le ciel : pernicieux. Les Bretons sont en quelque sorte comme leur pays, à l’étrave du navire, soumis au suroît qui détraque les nerfs, au crachin qui glace, et aux embruns qui masquent les larmes. Est-il étonnant que leur humeur soit changeante ?
L’île engloutie du plaisir de lire
Voilà aussi ce que raconte Léo Koesten en filagramme. Car la Bretagne est la grande héroïne de cette intrigue qui mérite de très nombreux lecteurs, précisément parce qu’elle touche le cœur sans nulle facilité. Rares sont aujourd’hui les romanciers ne considérant pas comme une faiblesse de voir leur plume courir plus vite que l’imagination. Embarquons-nous à la suite du Manoir de Kerbroc’h. La croisière bretonne de son auteur n’a qu’une destination : l’île trop lointaine que l’on croyait plus engloutie que l’Atlantide où se réfugie le plaisir de lire.
Jérôme Enez-Vriad
© Juillet 2023 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing
Le manoir de Kerbroc’h, un roman de Léo Koesten aux éditions Baudelaire – 243 pages – 19,00€
Article dans « Les Nouvelles de Versailles » sur Léo Koesten par Olivia Ker
Article dans Les Nouvelles de Versailles sur Léo Koesten par Olivia Ker
Emission télé sur Léo Koesten écrivain mécène de l’Opéra de Versailles par la TV des Yvelines – merci à Gabrielle Gonthier
Emission télé tournée dans le Foyer royal de l’Opéra de Versailles par la TV des Yvelines – merci à Gabrielle Gonthier
Réécoutez sur youtube ci-dessous
Léo Koesten est professeur agrégé, auteur et scénariste. Il revient dans cet épisode sur sa carrière à la télévision allemande, son dernier livre « Le Manoir de Kerbroc’h » et sa collaboration avec France Inter pour plusieurs émissions. Installé à Versailles depuis plusieurs années, ils nous a donné rendez-vous à l’Opéra Royal dont-il est mécène.
« Un roman contemporain dans le vent » sur « Le Manoir de Kerbroc’h » de Léo Koesten
Léo Koesten, Le manoir de Kerbroc’h
Éloïse de Kérambrun est bourgeoise au foyer, épouse d’un polytechnicien de petite noblesse bretonne très catholique, directeur d’usine et souvent absent, et mère de deux ados, Margaux de 16 ans et Théodore de 14 ans. La famille très BCBG habite Versailles et part en vacances au manoir ancestral en Bretagne, le Kerbroc’h, où les grands-parents paternels tiennent à maintenir la tradition et la bienséance.
Le sel du roman est de faire craquer ces gaines, devenues insupportables aujourd’hui. La femme à la maison, réduite au rôle de servante de Monsieur et des ados, sans opinion autre que celle de son mari sur la tenue de la maison, l’éducation des enfants, la politique – c’est bien fini. Lui déclare « aimer » sa femme comme il se doit mais va batifoler ailleurs, avec Jupencuir sa secrétaire vêtue ras la moule, alors qu’elle-même n’aurait pas le droit de prendre un amant. C’est la révolte.
Madame veut son indépendance, découvrir un métier, passer le concours de professeur des écoles – autrement dit institutrice ; elle enchaîne les stages en CE1 à Versailles (gamins bien élevés, adorables) puis en Section d’enseignement général et professionnel adapté ou Segpa (ados perturbés et sexuellement avides, retardés mentaux et sociaux, en rébellion). Devant cette sortie du moule catho tradi, la fille aînée avoue vouloir baiser avec son copain Martin, son amoureux depuis la cinquième – et le fils de 14 ans coucher avec son ami Corentin, tout en refusant le dessein paternel de lui faire intégrer Polytechnique au profit d’un CAP de pâtissier !
Le mari prénommé Foucault, comme son père le grand-père, ne voit pas d’un bon œil cette révolution contre son autorité tenue de Dieu et de la coutume, sinon de la loi lors du contrat de mariage. Si les coutumes et la loi changent, pourquoi lui changerait-il ? Comme tous les mis en cause, il « réagit » – en réactionnaire : par la crispation sur ses « Zacquis » et par la violence. C’en est trop, le divorce est inéluctable même si lui comme elle ont chacun encore des sentiments l’un envers l’autre.
Quant aux enfants, c’est la baffe : le sexe, le sexe, le sexe ! Passe encore pour Margaux, elle a l’âge d’être active, même si le hors mariage n’est pas admis par l’Église ni par la précaution bourgeoise. Mais pour Théo, un fils pédé est une tache indélébile sur la lignée, la réputation et l’avenir. Tout fout le camp et un abbé est requis pour redresser l’homo illico. Sauf que la loi française interdit l’homothérapie, que le bon sens trouve aberrant de confier la tâche de redressement à un célibataire frustré trop souvent tenté par les enfants de chœur, et que la mère s’insurge carrément contre. Elle a milité contre le mariage gay avec ses relations versaillaises de la « bonne » société mais son fils la met devant la nature. Elle est d’ailleurs aidée par sa belle-mère qui trouve cette contrainte inepte. Le gay contrarié risque d’être aussi névrosé que le gaucher contrarié.
Chacun doit s’épanouir comme il est, non tel que le pater familias le veut. Ce choc des époques, ces dernières cinquante années, se révèle tout cru en ce roman jubilatoire autant que jaculatoire. Car chacun baise à couilles rabattues, Foucault en Jupencuir, Éloïse avec Sandro le prof de gym puis Richard le directeur puis Stéphane le réalisateur de films, Margaux avec Martin avant un autre, Théo avec Corentin dans le même lit. Cet élan vital et vigoureux ressoude la famille – sans le père. Pour le moment, car il arrivera peut-être à résipiscence avec le temps, lorsqu’il aura « rebondi » et se sera trouvé un nouvel équilibre – plus réaliste et mieux en phase avec l’époque.
La grand-mère Lucille divorce aussi de son mari prof de prépa qui collectionne les maîtresses et tient des fiches soigneuses sur les mensurations et performances de chacune d’elles, cachées dans la cave condamnée pour « risque d’éboulement » sous le manoir. Elle retrouve son amoureux d’adolescence Rémy et sa vocation de comédienne. Mère, grand-mère et petits-enfants forment alors une sorte de gynécée contre le pouvoir du mâle (Théo étant du côté féminin), un phalanstère égalitaire face au pouvoir hiérarchique patriarcal. L’argent n’est pas un problème car chacun va travailler : Éloïse comme instit, Margaux comme garde d’enfants, Théo comme blogueur vendant ses pâtisseries et donnant des formations payantes, Lucille avec la location de gîtes et comme metteuse en scène. Elles ont le projet de monter un spectacle au manoir racheté par la grand-mère, afin de pouvoir l’entretenir et le sauvegarder pour la lignée.
Un roman contemporain dans le vent, adoubant un « matriarcat » qui n’a jamais été qu’un mythe mais que la vertu démocratique égalisatrice peut permettre en temps de paix, avec pour objectif que chacun puisse être enfin lui-même, hors du moule religieux et social.
Léo Koesten, Le manoir de Kerbroc’h, 2023, Éditions Baudelaire, 243 pages €19,00 e-book Kindle €12,99
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