Pandemic 2 « Culte de la mort » par Frederika Abbate

PANDEMIC 2
Printemps : Culte de la mort

Dire que c’est le printemps… Le temps du renouveau, de la reverdie et surtout du retour du soleil pour faire enfin de nouveau le stock de bien-être et de vitamines. Mais on ne peut pas prendre le soleil cette année, à moins d’habiter dans une maison avec jardin privatif ou d’avoir fui les métropoles, loin des gueux qui peuvent attraper la peste, dans sa résidence secondaire avec ou sans piscine mais du moins avec jardin. C’est tout de même idiot ces familles qui s’entassent dans des appartements minuscules, qui ne peuvent même pas sortir les enfants qui, en outre, traînent toute la journée à la maison puisque, figurez-vous, il n’y a pas école. Il faut occuper les enfants. Il faut travailler tout de même, par le si glorifié télétravail et dont il faudrait par ailleurs grandement se méfier, avec des enfants en bas âge qui réclament des jeux et des soins. Dire que c’est le printemps et qu’on ne peut pas en profiter. Dire que des gens ne le verront jamais plus, parce qu’ils sont morts prématurément, bêtement. La mort, c’est toujours bête. Cela fait mal de partir. Cela fait mal à ceux qui voient les gens aimés partir. Mais mourir faute de soins appropriés, faute de masques, faute de lits d’hôpital, faute de respirateurs, c’est comment  ? Je n’ai pas encore trouvé de mots pour le dire. En revanche, il y en a un qui me vient spontanément à la bouche quand je pense à ceux qui ont laissé faire cela. Criminel.

Cette année le printemps a pris une tournure autre. Ce n’est pas le soleil, ce ne sont pas les fleurs qui poussent, les robes fleuries qui nous attirent aux devantures des magasins, les rencontres à l’extérieur entre amis. Ce n’est pas la sensation si agréable de sentir l’air sur sa peau (même s’il est pollué à mort), ce n’est pas l’exposition tant attendue aux rayons solaires bénéfiques. Non, cette année, le printemps c’est  : Les gens qui se battent dans les supermarchés. Les petits mots à des homosexuels, à des infirmiers pour leur dire qu’ils doivent dégager. Les chiens passés à l’eau de Javel, comme si les animaux n’étaient pas des êtres vivants. Les femmes de ménage qui ne peuvent pas travailler et qui auront quoi? Les coursiers qui vont partout, exposés à la maladie, bien obligés de gagner leur croûte. Eux qui ont permis à celui qu’on appelle le président de faire baisser la courbe du chômage et de s’en vanter. Tant pis pour les coursiers s’ils n’ont aucun droit, tant pis pour eux s’ils sont les nouveaux esclaves qui vont livrer ces messieurs-dames. Et puis, n’est-ce pas, il faut bien se faire livrer puisqu’on n’a pas le droit de sortir.

Nous sommes tous en résidence surveillée. Je crois que c’est comme ça que ça s’appelle, quand on est coupables, quand on est persona non grata. On n’est pas mis en prison. Mais on ne sort pas de chez soi. Alors, je me demande. De quoi sommes-nous coupables pour être mis en résidence surveillée  ? Coupables d’être d’éventuels porteurs d’un virus (qui, soit dit entre parenthèses a été causé par la cupidité et la bêtise des humains). Coupables de ne pas avoir eu de masques pour s’en protéger. Coupables de ne pas avoir été avertis à temps (ce n’est qu’une petite grippe qu’on nous disait, pas de quoi en faire un plat). Coupables de ne pas se faire tester, grâce à quoi seules certaines personnes seraient prises en charge et écartées et pas des populations entières. Coupables d’être dans un pays qui n’a plus d’industries, qui est tributaire d’autres pays pour fabriquer des choses essentielles, coupables d’être dans un pays qui a recours à l’étranger pour 80 pour cent des substances de base pour fabriquer les médicaments. Cela fait froid dans le dos, cela. Dire qu’on pourrait nous faire crever en nous privant de ces substances de base. Les médicaments ne pourraient pas être fabriqués.

Il n’y a plus aucun respect pour la vie. Cette année, le printemps, ce n’est pas la reverdie. C’est le culte de la mort.

Ce qui me fait froid dans le dos aussi c’est le meurtre de la pensée. Imbus d’idéologie, tenant à paraître soi-disant larges d’esprit, mais ne faisant en vérité qu’obéir aux mots d’ordre lancés par le pouvoir qui, comme sur un coup de baguette magique, se transforment en belles idées que beaucoup de gens s’empressent de défendre, ces bien-pensants n’argumentent pas quand ils ne sont pas d’accord avec d’autres. Ils leur lancent des qualificatifs injurieux, des anathèmes préfabriqués. Je pourrais en donner la liste tant ce sont toujours les mêmes qui reviennent dans des ritournelles rancies qui, dans le fond,  ne veulent rien dire. Ou bien,  mieux encore, ils interdisent la parole à ceux qui ne pensent pas comme eux. C’est ignominieux. Au milieu de tout ça, heureusement il y a aussi des gens merveilleux, qui aident les autres, qui s’entraident.

Dire que quand on n’a pas de nouvelles de quelqu’un, on se demande s’il n’est pas mourant ou mort. Ceci est une transformation radicale dans tous nos rapports essentiels. Et je dédie ce texte à tous ceux qui ne reverront jamais le printemps.

2 avril 2020 -17ème jour de «confinement» à cause de la rapacité et de la bêtise des humains.

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