La Marseillaise 20 décembre 2013 – Culture
Entretien. L’avocat Paul Lombard dialogue avec l’écrivain Claude Delay qui a publié à l’automne une originale biographie de Marilyn Monroe.
La Vénus blessée
Parmi les nombreux ouvrages consacrés à Marilyn Monroe, le livre de Claude Delay Marilyn Monroe, la cicatrice (éditions Fayard) propose un regard original. Cette biographie résolument littéraire permet d’appréhender différemment le destin exceptionnel de l’actrice américaine. L’avocat Paul Lombard a dialogué avec Claude Delay sur le sens de son ouvrage.
Vous faites de Marilyn Monroe une inconnue. C’est paradoxal non ?
Non. Elle est inconnue. Au nom de quoi, me direz-vous ? Eh bien ses poèmes, aussi maladroits fussent-ils, viennent d’apparaître. Et ils m’ont révélé, dans cette bête de sexe, une fille poétique et sentimentale dont personne ou presque ne se doute.
Qu’est-ce à dire ?
Le grand avocat que vous êtes, mieux que personne, sait que l’enfance est irremplaçable. On peut changer de vie, pas d’enfance. Et celle de Norma Jean car elle s’appelait Norma Jean reste unique.
Pourquoi ?
Parce que née à l’hospice des pauvres, à Los Angeles, d’une mère qui ne la désirait pas, Gladys Pearl Baker, et de père inconnu. Gladys s’était retrouvée enceinte à quatorze ans, à la fureur de sa mère une forte femme, Della, et contrainte d’épouser le vagabond du Kentucky rencontré sur la plage. Mariage feu de paille et divorce, lui laissant deux enfants dont elle n’a pas la garde.
Qui est le père de Norma Jean ?
C’est un père-photo, dont elle voit le visage dans la chambre de sa mère, son supérieur à la RKO où elle travaille comme monteuse. Beau, portant moustache, brutal, mâchoires voraces, Stan Giffort ressemble à Clarck Gable. Il ne la reconnaîtra jamais. Elle le cherchera toujours.
Où est-elle élevée ?
Gladys la met tout de suite en garde, chez de braves gens, très religieux, les Bolender. La grand-mère Della prend l’enfant un après-midi et essaie de l’étrangler. Norma Jean revint toute rouge chez sa logeuse. Della va être internée et mourir à l’asile, où s’est éteint son mari. La terreur d’une hérédité pourrie se met en place. A l’Eglise de la Science Chrétienne, et dès son plus jeune âge, transportée par les offices, la petite se rêve nue. Nue, elle serait la plus belle et aurait un père comme les autres, sans plus porter ces horribles vêtements qu’elle déteste. La nudité de Marilyn Monroe a commencé là.
Et la mère ?
Gladys drague, avec sa copine Grace. Toutes deux ont rêvé de devenir des vedettes, et elles emmènent l’enfant le dimanche soir voir les villas des stars. Grace, sans enfants, s’amourache de la petite et lui répète qu’elle est belle. La mère, prise de culpabilité en apprenant la mort de son fils qu’elle n’a jamais revu, se met en tête de reprendre Norma Jean et s’endette pour une petite maison blanche à Arbol Drive. Gladys prend des pensionnaires anglais pour subvenir aux charges. La mère, acculée par le cumul des factures insolvables, hurle et doit être internée. Grace devient tutrice, mais refait sa vie et va conduire l’enfant à l’orphelinat de Los Angeles. Quand Norma Jean le voit en grandes lettres sur la porte du bâtiment rouge où elles sonnent, elle se met à hurler : « Je ne suis pas orpheline, j’ai une mère ». Grace va la voir tous les samedis, lui prête ses bigoudis et l’amène à l’institut de beauté. Elle porte souvent des affaires trop petites et ce trait hérité de l’orphelinat lui restera toujours : serrée, boudinée. Les foyers vont s’ensuivre, avec le bain du samedi toujours la dernière et après les autres. Le fantasme du bain sera tout puissant pour celle qui deviendra Marilyn : dans son bain, enfin obtenu, elle se lâche.
On dirait que vous accumulez les indices, les robes trop serrées, le bain, comme si tout était joué ?
Une pause d’amour va rayonner sur son adolescence : tante Ana, une tante de Grace, s’attache à Norma Jean. C’est chez elle que les règles de Norma Jean se déclenchent, entraînant une transformation faramineuse de son corps, et le miroir la reflète : il va devenir le compagnon de sa vie. Tante Ana, malade du coeur, ne peut la garder. Elle et Grace vont tout faire pour éviter son retour à l’orphelinat, et la marier à Jim, jeune américain d’origine irlandaise, leur voisin. Le mariage enfantin d’une Norma Jean de seize ans ne résistera pas à cette maison de poupée que Jim quitte pour rejoindre la marine d’une Amérique en guerre, en confiant Norma Jean à sa mère.
Vous faites d’Hollywood un portrait terrible à travers ses magnats et ses créatures.
Son début misérable chez les frères Groucho Marx va prendre tournure en attrapant le regard du plus grand agent d’Hollywood, Johnny Hyde. Il s’éprend follement de la débutante et veut l’épouser. Cardiaque, il n’a plus que quelques mois à vivre, et propose sciemment à Marilyn de l’épouser, pour faire d’elle une femme riche et libre. Elle refuse. Il la présente à ses premiers grands metteurs en scène, John Huston dans The Aphalt jungle, et Mankiewicz pour All about Eve. Mais le deuil de Hyde est trop lourd pour elle. L’étoile de vison qu’il lui a achetée pour Noël arrive après sa mort, et elle tente de s’empoisonner. Natasha Lytess, sa première coach, va la sauver. Elle reproduira à l’envie les lavages d’estomac.
Entre les requins du cinéma, vous faites des portraits à la cravache des hommes de sa vie. Pourquoi ?
Parce que Marilyn est leur proie. Ils la dévorent. Elle leur échappe en même temps, rusée et enfantine, avec son sourire de paradis terrestre. La Fox la traite mal, elle fait un coup de jaguar en épousant le champion adulé de base-ball de l’Amérique, Joe Dimaggio. Lui l’adore et ne songe qu’à lui faire quitter le cinéma. Il fait prodigieusement l’amour, mais hélas il est muet. Elle va épouser l’homme des mots, l’écrivain Arthur Miller. Leur histoire d’amour échoue. Devenir une artiste seul compte à ses yeux. Billy Wilder aura le mot de la fin : « Son mariage avec Joe DiMaggio a échoué parce qu’elle était Marilyn Monroe, avec Arthur Miller parce qu’elle n’était pas Marilyn Monroe. » L’orpheline de père deviendra l’orpheline de ses trois maris, tous appelés « papa », comme les hommes de sa vie.
Vous semblez très sévère à l’égard des psychanalystes de Marilyn Monroe, pourquoi ?
Il faut bien comprendre que le noyau des psychanalystes européens se tient, se soutient, contre vents et marées. Aucun simulacre hollywoodien ne peut éclipser leur alliance inaliénable. La première analyse, allemande émigrée, Margaret Hohenberg lui parlera bourse, à la fin. Le docteur Marianne Kris, émigrée elle aussi et amie d’enfance d’Anna Freud succède et commettra l’irréparable faute de l’hospitaliser au milieu des grandes folles. Enfin le dernier, Ralph Greenson, renonçant à toute précaution éthique, vivre son roman personnel de metteur en scène raté et de personnage en quête d’auteur à travers le drame de Marilyn. Marilyn était très attachée à son masseur et confident, Ralph Roberts, son doux géant connaissant toutes ses habitudes et seul capable de venir à bout de ses insomnies. Il avait aussi bégayé enfant et tenté de devenir acteur. Il parvenait à la détendre et à l’endormir, détachant le soutien-gorge qu’elle portait la nuit pour protéger ses seins – jamais le jour – et le lui renouant endormie. Ralph Greenson lui avait demandé de le renvoyer : « Il y a assez d’un Ralph ! » Marilyn en pleurs avait répondu qu’elle l’appelait Rafe.
Aurait-elle pu être sauvée ?
Oui, bien sûr. Mais le destin s’en est mêlé. Les Kennedy. Amoureuse du Président, le seul homme qu’elle n’ait pas appelé Papa mais Prez, elle va aller chanter pour lui, contre l’avis de la Fox, pour son anniversaire. Dans sa robe perlée qui épouse si étroitement son corps, elle éclipse toutes ses rivales : Maria Callas, Ella Fitzgerald. En retard, comme toujours – elle est en retard sur sa vie – et trois fois pour rien annoncée par Peter Lawford, il articule à la quatrième : « The late Marilyn Monroe ». En retard, certes, mais late est aussi utilisé pour défunte. Elle le sera dans quelques jours.
Alors, assassinée ?
Un accident de parcours, sans doute, mais tenu au grand secret. Pourquoi la voiture allant à toute allure vers l’aéroport, la nuit de sa mort, et arrêtée par hasard par un policier de la route, révéla t-elle réunis Robert Kennedy le ministre de la justice, hagard et la chemise déchirée, Peter Lawford le conducteur et le Dr. Greenson le psychanalyste ? Quel genre de lavement fut-il administré à Marilyn par l’âme damnée de Greenson placée là comme gouvernante ? Que penser des preuves disparues, tous les échantillons médicaux et les fiches téléphoniques ratissés à l’aube par le FBI ? On tremble.
Qu’est-ce qui pour vous est le plus important en Marilyn ?
Sa nudité. Elle en rêve depuis qu’elle est toute petite, quand grisée par les encens et les hymnes à l’église de la Christian Science, elle s’imaginait survolant les paroissiens complètement nue. Sa nudité l’exalte. Seule actrice à ne pas porter de dessous, ses robes moulées épousent son corps et son âme, c’est-à-dire sa passion de la séduction.Être aimée, encore et toujours plus, elle ne se lassera jamais de ce fantasme pour lequel elle se bat et veut devenir elle-même. Sa vie aura été un parcours du combattant. Vénus blessée, elle ne renonce pas.
Pourquoi diable vous être intéressée à cette star américaine, après Chanel et les frères Giacometti ?
Par attirance et par rébellion. Je l’ai vue déboucher sur ma télévision, avec son sourire plongeant et sa grâce, pour condamner la nostalgie. « Live your life now ! » Et ce « now », « maintenant », était déchirant dans la bouche de cette jeune morte. N’oubliez pas qu’elle est morte à 36 ans. C’était pour une publicité de voiture je crois. Rébellion, car je considère qu’elle a été parasitée par les fausses mères dont elle a été entourée et ses pseudo complices psychanalystes. La féminité, la maternité et la mort font le noeud de l’histoire.
Interview réalisée par Paul Lombard