Catherine Aubry interviewe Antoinette Fouque pour Var Matin (1.12.08)

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Saint-Raphaël
Antoinette Fouque, créatrice du MLF : « Je rêve d’un Grenelle des femmes »Paru aujourd’hui, lundi 1 décembre 2008

Pour la psychanalyste Antoinette Fouque, « il faut concevoir une société moins masculine, moins nombriliste, plus altruiste, plus attentive à l’autre ».

La voix éraillée est chaude, le débit rapide et l’accent de Marseille, délicieux. A 72 ans, Antoinette Fouque, petite bonne femme au regard perçant, n’a rien perdu de la flamme qui l’a toujours animée. Et qui l’a conduite à créer, avec « une poignée de copines », le MLF (Mouvement de libération des femmes) en octobre 1968. Un ouvrage collectif (1) célèbre aujourd’hui les 40 ans de ce « mouvement civilisationnel », selon l’expression du sociologue Edgar Morin. Anniversaire contesté, parfois avec virulence, par d’autres femmes, qui réfutent la fondation du MLF par Antoinette Fouque. Preuve que « le combat reste idéologique », analyse la psychanalyste marseillaise. A deux pas de sa librairie « Des femmes », dans la maison blanche du quartier Saint-Germain où elle travaille quand elle ne réside pas dans sa villa de Saint-Raphaël, Antoinette Fouque raconte, détaille, en actionnant sans cesse le mécanisme du fauteuil roulant dans lequel elle se trouve depuis une maladie invalidante. Au bout de deux heures, elle ose un inquiet : « Je ne vous ai pas trop saoulée au moins ? » Avant de demander, avec une attentive curiosité, si vous, vous vous sentez féministe. Parce qu’elle, la professeure formée auprès de Barthes et de Lacan, conclut : « Moi, je ne suis pas que féministe, je suis surtout une femme de combat. » C’est drôle, on l’aurait parié…

Comment la fille d’un berger corse et d’une immigrée calabraise a-t-elle été conduite à créer le Mouvement de libération des femmes ?

« Je suis le troisième enfant d’une famille prolétaire, née dans une France conservatrice et nataliste qui ne permettait pas aux femmes de maîtriser leur fécondité. Mon père a quitté son île à 16 ans pour devenir marin à Marseille. Il savait à peine lire et écrire, était communiste, militant du Front populaire. Ma mère était illettrée et folle de culture, comme beaucoup de méridionaux. Mes parents savaient que la voie royale pour l’ascenseur social, c’étaient les études, l’instruction comme on disait alors. Ils croyaient en l’école républicaine. Je suis allée au lycée Longchamp, j’y ai reçu le même enseignement que les bourgeoises et les filles d’avocat, même si j’habitais la Belle-de-Mai. Après des études à Aix-en-Provence, je me suis mariée et je suis venue à Paris en octobre 1960.

Le moment décisif de ma vie, ce fut l’arrivée de ma fille Vincente en 1964. Cette naissance m’a questionnée. Mon mari était au service militaire, je ne pouvais même pas toucher les allocations familiales !

Si mon milieu n’était pas répressif, en revanche, dans celui, littéraire, que je fréquentais, la misogynie était flagrante, les femmes n’avaient pas droit au chapitre. Elles étaient censurées, jamais citées, jamais sur la photo, quand on parlait du Nouveau roman par exemple. Seuls les hommes tenaient la vedette. »

Alors est arrivé Mai 1968…

« Là, j’ai fait la connaissance, au début de l’année, de Monique Witting, un écrivain qui avait eu le prix Médicis en 1966. Elle était déchaînée comme moi contre la misogynie. On s’aperçoit vite que le mouvement de 68 est passionnant, mais très machiste, « la victoire au bout du fusil », « la victoire au bout du phallus ». On crée alors un comité à La Sorbonne, avec Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, André Téchiné… Il y avait des artistes, des étudiants, des ouvriers. On a l’impression que d’un coup, tout est possible. Mais les femmes ne prennent jamais part aux débats.

Nous décidons alors de lancer un groupe de femmes pour libérer la parole. Début octobre, Marguerite Duras nous prête un studio rue de Vaugirard. On s’est assises par terre et on s’est mises à discuter, à quelques-unes. On fait des réunions avec des femmes battues, des femmes qui nous racontent des incestes. On organise des crèches sauvages. C’est ainsi qu’est né le MLF. »

D’autres datent la naissance du mouvement du 9 août 1970, quand un groupe de femmes dépose une gerbe à la femme inconnue du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe.

« Il s’agit là du baptême médiatique du mouvement. Depuis deux ans déjà, j’avais créé le MLF avec Witting et quelques autres. Nous avons fait une première sortie publique à Vincennes, en 70. Witting voulait prendre un cap médiatique, moi je songeais plutôt à lancer une université populaire. »

Quelle était votre définition du MLF ?

« D’abord, j’ai créé le MLF pour toutes les femmes, pour m’adresser au plus grand nombre. Pas pour une minorité. Sur le fond : Simone de Beauvoir disait que la femme est un homme comme un autre. Moi je dis non : il y a une différence des sexes. Il y a deux sexes. Nous sommes égaux, mais différents. Nous devons affirmer les deux à la fois. Celles qui m’attaquent aujourd’hui ont refusé de penser cette différence des sexes.

Il ne faut pas oublier que les femmes donnent la vie. Elles n’ont pas à sacrifier la maternité à l’ambition professionnelle ou vice-versa. Chez Beauvoir, il y a une vision machiste de la grossesse. Même une haine de la maternité. En France, on a le plus grand taux de fécondité et 80 % des femmes travaillent. Preuve que les femmes n’ont pas sacrifié l’ambition à la maternité, mais ont essayé d’avoir les deux. Le MLF n’a pas été seulement un mouvement social et politique, mais un mouvement civilisationnel. On a organisé, dans les années qui ont suivi, des conférences mondiales sur les femmes, dans la foulée du MLF. »

Vous pensez que les femmes sont sur le bon chemin ?

« On a plus gagné, dans les quarante dernières années, qu’en 4 000 ans. En affirmant tous les droits que nous avons conquis et les droits à la création, va peut-être émerger un nouvel humanisme, comme à la Renaissance. Il faut concevoir une société moins masculine, moins nombriliste, plus altruiste, plus attentive à l’autre. »

Et en politique ? Quelle place pour les femmes ?

« C’est toujours un milieu très machiste, où les femmes sont harcelées, en difficulté. Rachida, Rama… Elles le disent toutes. Le monde politique est un enfer pour les femmes. Notamment lors de la grossesse, pivot de la vie des femmes, toujours pas admise par la société. Il n’y a qu’à voir les quolibets dont fait l’objet Rachida Dati. Il y a une vraie résistance économique aussi. En cas de problèmes comme aujourd’hui, les premières victimes de la crise sont les pauvres et les femmes. »

Et Ségolène Royal ?

« Je l’ai soutenue. En voilà une qui a mené de front désir d’enfants (puisqu’elle en a quatre) et ambitions, puis qui a été vue comme une femme trompée. Et qui continue à être belle. C’est un chemin de vie que j’admire. Si elle avait fait davantage appel aux femmes à la présidentielle, elle serait passée. Mais je crois que c’était prématuré, ça n’était pas mûr. Peut-être seulement a-t-elle manqué d’indépendance quant à sa vie affective.

Or, pour une femme, il y a quatre indépendances à trouver : l’indépendance érotique, l’indépendance économique, l’indépendance politique et l’indépendance symbolique (comme par exemple garder le nom de famille de la mère). C’est le cadre indispensable.

Si je suis radicalement une femme de gauche, de gauche extrême (je n’ai jamais cependant eu de carte) et même si j’ai appelé le MLF à voter Mitterrand, pour moi, au-delà de la politique, il y a l’éthique. »

Comment pourrait évoluer concrètement la cause des femmes quarante ans après la création du MLF ?

« Je rêve d’un Grenelle des femmes. Pour globaliser la question, en allant du plus réel au plus symbolique. Pour prendre le problème de A à Z, du corps au droit de gérer la cité. Regardez en Espagne, c’est un bon exemple, il y a deux vices-premiers ministres, un homme et une femme. Ce qui ne veut pas dire que les femmes s’occupent des problèmes des femmes. Ne l’oublions pas : les droits des femmes font partie intégrante des droits de l’homme, c’est inscrit dans la charte de l’ONU. »

1. Génération MLF 1968-2008, aux éditions Des Femmes, 18 euros.

Savoir +

Dans le cadre du magazine « Empreintes », France 5 propose un portrait d’Antoinette Fouque vendredi, à 20 h 30, réalisé par Julie Bertuccelli. Prévu début octobre, il avait été remplacé au dernier moment par un magazine sur Jean-Marie Le Clézio, qui venait d’obtenir le prix Nobel de littérature.

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